Si l'on excepte les torrents alpestres ou pyrénéens, dans
lesquels la pêche de la truite revêt un caractère spécial et parfois dangereux,
les ruisseaux de nos contrées montagneuses du Centre, d'altitude moyenne (800 à
1.200 mètres), nous offrent plusieurs types différents, qu'il serait trop long
de décrire en détail, mais qu'on peut ramener à deux : le ruisseau de
prairie et celui de vallon boisé et penté. Le ruisseau de prairie coule sur de
hauts plateaux dénudés, le plus souvent, par la dent des ovins. Il sort de
terre en une ou plusieurs sources bouillonnantes et commence en ruisselet.
Bientôt, il en reçoit d'autres et grossit peu à peu. En général, sa pente est
peu accentuée ; il est étroit, sinueux, avec des parties rectilignes. Le
fond en est de sable ou de gravier ; la profondeur minime (0m,50
à 1 mètre), le courant modéré. Il y existe peu de trous profonds, peu
d'obstacles ; les rives sont dénudées et la prairie rase arrive jusqu'au
bord ; mais ce dont le profane est loin de se douter, c'est que les berges,
affouillées par les crues d'automne et de printemps, sont creuses et recèlent
d'admirables cachettes où truites et écrevisses ne manquent pas de se réfugier.
Pendant la grande clarté diurne, on n'en aperçoit cependant presque aucune, et
le non-initié croirait le ruisseau désert. Mais qu'un ver, un insecte
quelconque vienne à tomber à l'eau, il ne va pas loin. Un blocage, un remous,
un tourbillon, la bestiole a disparu, entraînée sous la berge creuse. Cette
constatation nous dicte la marche à suivre. C'est par un jet léger et discret
que nous surprendrons la vorace ou, mieux encore, en laissant tomber doucement
l'appât tout près de la rive minée par l'eau, en opérant dans le plus grand
silence et sans nous montrer. C'est pour cela que nous chausserons des
espadrilles et nous munirons d'une canne en roseau peint en vert, de 5 mètres
de longueur environ, au scion assez nerveux, de manière à toujours nous tenir à
3 ou 4 mètres de l'eau. La bannière sera moins longue que la canne, toute faite
de nylon de 18/100 et à peine plombée s'il n'y a pas de vent. L'esche, posée
sur l'eau, gardera tout d'abord la surface. Si elles est attaquée, le pêcheur
verra le scion brusquement saluer et le fil se tendre. Ferrage immédiat de
rigueur, et l'assaillante accrochée sera enlevée d'autorité, d'un mouvement
doux, lié, progressif, et déposée sur la prairie, en arrière, où elle sera
tuée, décrochée et mise au panier. Le plus souvent, c'est assez facile :
pas d'obstacles et taille minime des prises (80 à 150 grammes). S'il arrive
d'accrocher plus gros, chose rare, risquer le tout pour le tout et enlever
quand même sans hésiter ; cela vaudra mieux que de laisser débattre la
prise pour l'échapper assez souvent ; la résistance du nylon 18/100
mouillé le permet jusqu'à 1 kilo au moins ; on doit donc vaincre. Si
l'insecte n'est pas saisi à la tombée, il est bon de l'agiter en surface et, au
besoin, de l'élever un peu pour le laisser retomber. Si rien n'est venu après
deux ou trois essais, changer de place. Dans certaines parties rectilignes, des
lancers de volante, en remontant, sont possibles et souvent fructueux, mais, vu
l'étroitesse ordinaire des biefs, cela exige des jets précis.
Autrement ardue est la pêche en ruisseaux boisés. Ceux-ci ne
sont, le plus souvent, qu'une suite de trous et de rapides, de remous
restreints en aval des rocs et de courants bouillonnants. Rochers, obstacles
sont partout, étroitement encadrés par deux haies d'arbres plus ou moins élevés
parmi lesquels les vides se comptent. Tout cela présente un aspect compact,
bourru, hérissé, hostile, que peu de pêcheurs osent affronter. Si encore on
avait pu les parcourir d'avance, on aurait eu le temps de les étudier et, au
besoin, à l'aide d’un sécateur, de pratiquer d'utiles éclaircies, mais, le jour
de la pêche, c'est là chose impossible ; on ne peut que se fier à son
flair et à sa chance.
D'abord, l'équipement sera tout spécial. Il faut une canne
courte un peu raide, sans anneaux ni moulinet. La ligne, entièrement en nylon
20/100 (résistance 1.500 grammes), n'aura que la moitié de sa longueur, souvent
moins. Il est bon de plomber légèrement, à 0m,30 de l'hameçon, pour éviter les
balancements accentués ; l'appât descendra plus vite et le fil
s'accrochera moins. On devra s'approcher sans bruit, choisir son interstice, le
moins étroit possible, et observer. Il est rare qu'après un moment d'immobilité
absolue on ne voie pas à proximité quelque truite sauter ou moucheronner.
Introduire alors la ligne amorcée avec précaution, laisser tomber légèrement
l'appât, si possible un peu en arrière et sur un côté, si on aperçoit le
poisson immobile. Le plus souvent, il se retourne aussitôt et, sans méfiance,
le gobe.
Il faut ferrer au plus vite. Si on le voit hésiter, relever
l'esche de 20 centimètres et la laisser retomber ; cette seconde tentative
a presque toujours un bon résultat. Enfin la laisser plonger est quelquefois
décisif.
Quoi qu'il en soit, le ferrage doit être prompt, décidé,
jamais brutal.
Il s'agit maintenant de récupérer sa prise et ce n'est pas
le plus facile. Le scion et la ligne doivent repasser exactement dans
l'interstice par lequel ils sont entrés, sans heurt ni balancement. Si la
truite, pâmée de frayeur, pend inerte à l'hameçon, tout va bien, mais, si elle
se débat — c'est souvent le cas— il ne reste qu'à brusquer les choses
et se retirer vivement en arrière en attirant la captive à soi : tant pis
si on ne réussit pas, ce qui demandera un changement de place immédiat et un
déplacement de plusieurs mètres en amont ou en aval.
La pêche à la surprise est des plus passionnante ;
c'est une véritable chasse au poisson, sportive au plus haut degré.
Recommandons-la à nos jeunes confrères qui ne l'ont encore
jamais essayée ; je suis persuadé qu'ils nous remercieront.
R. PORTIER.
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