Les sonnailles vont bientôt retentir ... écho
lointain à l'airain des clochers dont l'allégresse pascale ouvre tant
d'horizons aux cyclotouristes. Pâques ! C'est la porte ouverte sur la
grand-route ...
À nous les premières chevauchées, dont certaines iront buter
jusqu'au rivage méditerranéen. Si nous voulons nous souvenir de certaine
dégringolade sur Saintes-Maries-de-la-Mer, nous n'affirmerons pas que le temps
y sera nécessairement serein ... Cependant il serait bien rare que nous
n'arrivions pas à capter, au passage, la lumière crue des Arènes d'Arles pour
une course de taureaux, ni à bénéficier de cent kilomètres de pêchers en fleurs
autour du Ventoux.
Avec un peu de chance le Vercors — à moins que ce ne
soit le Forez — établira la transition.
Venant du nord, il n'est pas à prévoir autre chose que la
pèlerine avant cette délimitation, d'ailleurs très approximative.
Mais le Jura, mais les Vosges, mais les Pyrénées autant que l'Alpe,
mais le Massif Central direz-vous ?
Bien sûr ! Et avec cela la Bretagne, le Cotentin, la
Picardie, la Sologne, le Poitou et la Lande (qui borde cette Côte d'Argent que
chanta tant Maurice Martin ...).
Nous n'aurons que l'embarras du choix, au moment de partir,
après avoir considéré notre porte-monnaie ... C'est bien pourquoi nombre
de sorties de Pâques s'exécuteront à courte distance ...
Ce sera avec regret ; car chacun — les plus
pondérés en tête — s'acharne à croire que le bonheur est loin. Le
cyclotouriste a été gagné par la folie. Tel Parisien se croirait déshonoré de
dire qu'il n'est allé que dans l'Avallonnais ...
Nous-même, trop inlassable pérégrin, n'avons soufflé que
lorsque des centaines de kilomètres nous séparent du bruit et des fumées de
notre capitale. Il n'en faut pas tant, cependant, pour y échapper ...
Pâques donc ! Et en route ! À bicyclette.
Résistons à l'appel du train, du car, de l'auto, sinon pour
nous poser à pied d'œuvre ... car il n'est pas prouvé que ces engins ne
soient — si l'on savait mieux les utiliser — complémentaires à notre
recherche de la liberté et du silence.
En une nuit on va des cheminées d'usines aux calanques ...
on rejoint dans le même temps les alpages et bien avant eux les puys ...
Un ami partit cinquante et une fois sur les cinquante-deux
vendredis que comportait une année. C'est à peine s'il ramena son vélo deux
fois à Paris, le laissant pour réaliser la liaison d'un week-end à l'autre ...
Certes, au cours de l'hiver, il troqua souvent sa bicyclette
contre des skis ...
Mais, dès que fondirent les neiges ... hop ! à vélo ...
* * *
Nous y sommes ... car, avec Pâques, elles s'écartent de
nos routes, remontant peu à peu vers les crêtes.
Il arrive cependant qu'elles sont encore un charme
printanier ...
Les Pâques m'ont fourni plusieurs fois cette occasion.
Le mont Ventoux chaque année, à ladite époque, reçoit
l'assaut de quelques intrépides. L'enjeu en vaut la chandelle, croyez-moi. Il y
a, généralement, de 4 à 6 kilomètres à parcourir à pied, par le versant nord.
C'est la plus enivrante randonnée de mars ou d'avril qu'on
puisse concevoir.
Les fleurs dans la vallée.
La neige au faîte du mont d'où l'on embrasse à souhait, si
l'on fait front au septentrion, la chaîne des Alpes, à peine dégarnie de sa
parure hivernale, et, si l'on se tourne vers le midi, l'immense déclivité qui
glisse (parfois sans l'ombre d'une brume) vers la grande bleue.
L'humilité succède à l'enthousiasme, lorsque, après avoir
contemplé, en vainqueur, l'infiniment petit qui vit dans les dessous, on
apprend (ou on se rappelle) que Pétrarque vint là dès 1336 (le 9 mai),
posant ainsi la première pierre de l'alpinisme littéraire ; car non
seulement cet humaniste lointain avait foulé un sommet jusqu'alors inviolé,
mais il avait décrit (ou mieux chanté) son odyssée.
Toutefois, il n'est pas que le Ventoux ...
Je vécus, déjà, en avril, au ballon d'Alsace notamment, des
journées de bonheur épanoui. La neige atteignait deux mètres de hauteur (alors
qu'au Ventoux elle ne dépasse pas 10 centimètres à cette époque). Un puissant
chasse-neige avait dégagé la route, élevant, de chaque côté, d'infranchissables
murailles.
Quel prestigieux décor !
J'eus sans doute un mirage ... à moins que mon souvenir
ne se trouve embelli par le recul ... mais je crois encore avoir accompli
les derniers hectomètres sous un ciel aussi bleu qu'au Lavandou ...
J'affirme, à qui veut l'entendre, que le soleil — bien
sûr — brillait de feux réconfortants et que la neige ... lisez-moi
bien :
la neige ... en flocons épars, tombait cependant encore ...
J'ai rêvé ?
Alors quel beau rêve ...
Ce fut vrai ? ...
Alors, comme la vie est belle à qui sait aller en cueillir les
fruits ... après les avoir gagnés ...
Giromagny ! Je n'avais cependant pas fière allure
lorsque j'y arrivai la veille pour y dormir.
Une sale bûche, dans les environs d'Audincourt (sur des
rails qui franchissent la route en diagonale et où des générations de cyclistes
sont tombés, en course ou en randonnée), m'avait, par les soins d'un
pharmacien, ramené à l'état — partiel — de momie ... Mais le
cœur y était ... Et jamais on ne vit plus heureux fou pédalant le lendemain
envers et contre tous les avertissements du ciel, qui, déchaîné au pied du
ballon d'Alsace, se calma à mi-col et m'offrit, au sommet, le spectacle inouï
décrit plus haut et dont je voudrais, au moins, garder l'illusion ...
* * *
Sans ma bûche à Audincourt, je passais, peut-être, le ballon
d'Alsace dans la grisaille du soir ; de même que, sans le secours d'un
montagnard, certaine autre année, dans les Alpes (mais en été cette fois), je
n'aurais pu, à mon tour, le lendemain, enlever à une mort certaine (et déjà
consommée) une imprudente nageuse.
Son vrai sauveur fut l'homme qui, m'apercevant mal embarqué
dans un pierrier du col (muletier) de X ..., accourut vers moi :
— Qu'est-ce qu'il fait là ... avec son vélo !
avait-il grogné.
Nous étions, lui et moi, en altitude ... Lui, accouru,
sûr de ses « clous » ; moi, en équilibre instable, glissant
petit à petit, grâce à des chaussures cyclistes parfaitement impropres et
lustrées, vers le précipice ...
L'idée de passer dans un tel endroit, avec un vélo, avait
paru curieuse à cet homme ... même après lui avoir expliqué que dès la
première amorce d'un sentier je sauterai en selle et glisserai dans la
descente.
Comme quoi le danger est partout ... et toujours ...
Tout cela ne vaut-il pas d'être vécu ?
Ah ! « que si » !
Vive donc la bicyclette et ses dérivés !
Et n'ayons pas peur de rouler ... On écrit trop que le
cycliste est en danger, ou qu'il en est un pour l'automobiliste.
Les Pâques sanglantes appartiennent à la littérature des
chiens écrasés ... car le cycliste possède cet avantage, sur le chauffeur,
qu'il est mieux à l'aise sur les petites routes que sur les grandes ; plus
encore sur les chemins ... pour atteindre à l'idéal dans les sentiers ...
(voir plus haut).
Prudence, certes !
La peur ... non ...
Volcan là ... ou ailleurs ... nous dansons dessus
depuis que notre monde est monde ... et j'apprends, à l'instant, que M. Dubois-Durand-Dupont
vient de se casser une quille (lui qui ne sort jamais de chez lui) en se
prenant le pied dans un tapis ...
Allez, en selle ...
« Sonnons les cloches » ... comme nous disons
dans notre délicieux jargon ...
René CHESAL.
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