Au début de l'année 1932, le célèbre Royal Corinthian Yacht
Club ouvrait un concours pour l'étude d'un cruiser de haute mer rapide. Parmi
plus de soixante projets venus de tous les points du globe, les juges
décernaient le trophée à un Français, M. Louis Vernette, ancien capitaine
de la marine marchande, faisant ainsi connaître au monde du yachting un
architecte dont les créations tant pour la pêche que pour la plaisance sont
fort appréciées.
Comme beaucoup d'architectes, M. Vernette s'est
préoccupé du problème des prix, et il a dessiné plusieurs études permettant des
constructions simples à la portée des amateurs désirant économiser le prix
élevé de la main-d'œuvre. Le cotre à dérive de 9m,50 dont on peut
voir ci-contre une réduction partielle des plans est une de ses plus récentes
créations, et elle répond à ces exigences.
C'est pour faciliter le travail de l'amateur que les formes
de sharpy avec surfaces développables ont été retenues. Ce bateau est destiné à
de petites croisières d'assez longue durée avec quatre personnes désirant vivre
à bord dans un confort suffisant. Le yacht doit pouvoir visiter les criques,
remonter les embouchures des petites rivières côtières ayant une profondeur d'à
peine un mètre. Les qualités dominantes recherchées sont la tenue à la mer, le
confort et la facilité de manœuvre. Elles devaient, dans le choix des
caractéristiques, avoir le pas sur la vitesse. Celle-ci sera cependant
excellente, surtout par vent de travers et aux allures portantes. Enfin un
moteur de 12 à 15 CV doit donner en réserve une puissance suffisante pour
pouvoir ne pas être arrêté par la mer debout. En eau calme, cette vitesse doit
atteindre 6 à 7 nœuds.
La plus grande difficulté pour la construction par un
amateur d'un bateau de cette taille réside dans l'approvisionnement du bois.
Les marchands de bois sont achalandés pour les besoins des menuisiers, et les
dimensions courantes de leurs pièces ne permettent pas la construction d'un
yacht en forme de 9m,50. Enfin, la plupart des bois de menuiserie ne
conviennent pas du tout à la construction navale. D'autre part, les bois à fil
courbe sont à peu près introuvables dans les bois de menuiserie, leur emploi
n'étant pas courant et leur transport présentant des difficultés. Les membrures
courbes ne peuvent se trouver que dans de très grosses pièces courbes. Les
membrures prises dans de petites branches courbes sont cassantes, le fil étant
coupé par les nœuds. Les membrures étuvées, en fin, effrayent les amateurs, qui
croient, à tort d'ailleurs, que leur ployage exige une installation onéreuse et
un travail compliqué. Toutes ces difficultés disparaissent avec la construction
sharpy classique où les membrures sont droites, et, pour la construction à
surfaces développables, il n'y a que des courbes peu accentuées. Mais le
principal avantage des surfaces développables est de pouvoir faire des bordages
droits et de largeur constante.
Dans la construction d'un petit yacht, la main-d'œuvre
représente 65 p. 100 du devis du chantier. Naturellement un amateur
n'économisera pas un tel pourcentage. L'achat du bois ne se fait pas dans les
mêmes conditions ; celui de la quincaillerie non plus. Il faudra emprunter
l'outillage mécanique, scies, dégauchisseuses, etc., d'un artisan. Enfin on
sera sans doute appelé à se faire aider plus ou moins par un professionnel,
pour la charpente médiane par exemple. Ce sera un résultat déjà appréciable si
on économise 30 p. 100. Mais il faut beaucoup de volonté, de patience et
de ténacité, car un amateur mettra sensiblement plus de temps qu'une équipe de
professionnels pour qui une telle construction demandera mille cent à mille
deux cents heures de travail.
Les dimensions générales de ce yacht étaient imposées par
les exigences du programme. Elles rendaient inévitable la limitation du tirant
d'eau, et partant l'emploi de la dérive. Cependant, une variante avec quille
fixe a été étudiée par l'architecte. La voilure devait être modérée, la
manœuvre devant pouvoir être éventuellement exécutée par une personne seule. La
surface unitaire des voiles devait être également limitée. C'est pour cette
raison que la grand'voile ne fait que 25 mètres carrés, et les voiles avant 7
mètres carrés chacune, ce qui est un maximum sans winches ou autres accessoires
onéreux. La complication qui résulte de cette division de la voilure n'est
qu'apparente. Ici, la trinquette est bornée avec écoute sur chemin de fer. Pour
virer de bord, il n'y a que l'écoute de foc à changer. Avec ce faible tirant
d'eau et cette voilure réduite, le déplacement en rapport de la longueur est léger
et n'atteint que quatre tonnes en ordre de croisière. Le lest est juste calculé
pour compléter la stabilité qui est surtout obtenue, comme sur les bateaux de
pêche, par une très grande largeur, ce qui donne une plus grande stabilité
initiale. Par brise modérée, ce bateau naviguera plus droit que beaucoup de
yachts lourdement lestés, mais étroits. Il sera plus sec et plus confortable.
Par rapport aux bateaux de pêche, il a l'avantage d'avoir le lest sous la
quille et plus de franc-bord. Enfin un bateau léger a une plus grande réserve
de flottabilité, et il se défend mieux dans la plupart des circonstances qu'un
bateau lourd, sauf en luttant au plus près contre la mer, où le cruiser lourd
classique aurait l'avantage. La lecture des plans révèle un bateau au profil
harmonieux avec arrière pointu et gouvernail extérieur. Ce type, dit norvégien,
est devenu cher à de nombreux plaisanciers, en principe pour ses avantages au
vent arrière, mais surtout pour le plaisir de l'œil qui aime la symétrie des
extrémités. Le mât est presque au milieu du pont, d'où meilleurs haubanage et
étayage, et réduction de la grand'voile. Celle-ci comporte trois bandes de ris,
l'architecte Vernette étant fortement partisan, comme la plupart des anciens
marins, des ris classiques. La question est depuis longtemps controversée, et,
personnellement, je préfère prendre mes ris en roulant ma toile avec un gui à
rouleau, manœuvre que je puis exécuter seul et vite. Les aménagements sont
distribués selon les goûts actuels : cabine avant avec deux couchettes
fixes, toilette, penderie, salon avec deux autres couchettes, cuisine sur
l'arrière avec réchaud et évier. Le moteur est dans son emplacement habituel,
derrière la descente sous le cockpit. Voici les principales caractéristiques de
ce cotre :
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longueur totale : |
9m,50 ; |
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tirant d'eau dérive basse : |
1m,50 ; |
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hauteur sous barrots dans le dog-house : |
1m,74 ; |
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largeur maximum : |
2m,86 ; |
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déplacement en eau de mer : |
3t,950 ; |
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lest : |
800 kilos ; |
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tirant d'eau de coque : |
0m,75 ; |
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surface de voilure : |
38 mètres carrés ; |
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dérive : |
75 kilos. |
Si l'on tient compte que beaucoup de plaisanciers envisagent
des croisières lointaines ou des courses croisières impressionnantes, mais que
rares sont ceux qui réalisent leurs rêves, il est évident que le bateau léger
comme ce petit cotre à dérive correspond aux besoins comme aux possibilités du
plus grand nombre d'amateurs.
A. PIERRE.
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