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La productivité et le vignoble

Le mot est à la mode. Mais que signifie-t-il ? Le dictionnaire consulté, on trouve : Faculté de produire. État de ce qui est productif.

Mais il y a deux façons de produire. Prenons, par exemple, le cas d'un petit vignoble donnant en moyenne par an 10 hectos de vin. Si l'exploitant veut augmenter sa récolte de moitié, il peut encépager une surface équivalente à la moitié de son vignoble, et en année moyenne il obtiendra 15 hectos. Mais, comme il aura proportionnellement plus de frais généraux et d'achats, le prix de revient par hecto n'aura pas changé.

Si, au contraire, avec la même surface encépagée, il fait produire 15 hectos, il aura réduit son prix de revient.

Nous pensons que c'est ainsi que l'on doit envisager, dans les circonstances actuelles, le mot productivité diffusé par la parole et l'écriture.

Vous allez sans doute dire que c'est impossible, et vous aurez raison, si vous n'apportez aucune amélioration à l'encépagement, aux façons culturales et à la vinification.

Le premier article que nous avons écrit dans les colonnes du Chasseur Français (n°608 de juin-juillet 1946) avait pour titre : « La misère du vignoble français. » Que s'est-il passé depuis cette date ?

Les grands vignobles, eux, se sont remis sur pied, ont amélioré leurs procédés de vinification, et les vins des bonnes années sont une réussite absolue.

Mais les autres, disséminés dans les exploitations de polyculture, ont-ils marché de pair avec leurs aînés ? Oui et non. Oui, dans les exploitations de polyculture où la production du vin est la principale. Mais, dans ceux où la culture de la vigne est secondaire, on peut affirmer, à part un certain pourcentage d'exception, que tout reste à faire.

D'abord l'encépagement. Combien de petits vignobles possèdent encore les cépages interdits par le décret du 16 janvier 1935, soit : l'Othello, le Noah, l'Herbemont, le Jacquez, le Clinton et l'Isabelle ?

Or il y a actuellement sur le marché un nombre impressionnant de bons hybrides, bien adaptés aux différents sols, et donnant sans épuiser ceux-ci des récoltes fort intéressantes. Ils donnent soit de bons vins de cuve, soit des raisins de table appréciés.

Donc il ne devrait plus y avoir, dans ces petits vignobles, de cépages interdits ou de cépages mal venus, inadaptés au terrain ou déficients; ceux-ci, ne donnant que des récoltes très médiocres, doivent être supprimés et remplacés.

Qui trouvera des excuses à cela ?

Ensuite les façons culturales.

Quand on parcourt les grandes régions viticoles françaises, suisses ou rhénanes, pour ne citer que celles-ci, on constate que les ceps sont alignés selon des lignes géométriques et que le terrain qui les supporte ne montre pas une herbe, et ce quelle que soit la saison.

Or il est bien connu que les herbes parasites absorbent les produits fertilisants du sol qu'elles enlèvent à la vigne.

Pour illustrer ce fait, supposons qu'une ménagère prépare son repas pour six personnes vivant normalement au foyer et qu'il lui arrive à l'improviste six autres personnes. Ne pouvant augmenter le menu, songez un instant à ce que les douze convives auront dans leur assiette !

La même chose se passe pour les plantes cultivées ; seulement celles-ci, ne pouvant se plaindre, se vengent en diminuant leurs rendements.

Les mauvaises herbes augmentent les risques de gelée, ralentissent notablement la pénétration de l'eau dans le sol ; enfin un vignoble enherbé dispose mal le visiteur vis-à-vis de l'exploitant.

Conclusion : pas d'herbes parasites, et pour les éviter prenons conseils d'un praticien en la matière, M. R. Carles, conseils que nous extrayons de son excellent ouvrage.

Premier labour : après les vendanges, avec la charrue vigneronne, et terminé le 15 novembre; profondeur 14 à 16 centimètres.

Deuxième labour : déchaussage à la charrue vigneronne entre le 1er décembre et le 15 janvier, complété par la décavaillonneuse et le déchaussage du pied ; même profondeur que le premier.

Troisième labour : à effectuer au cultivateur à dents vibrantes ou au pulvérisateur à disques, du 10 mars au 30 avril; profondeur 7 à 10 centimètres.

Quatrième labour : chaussage à la charrue vigneronne du 1er au 20 mai ; profondeur 12 à 15 centimètres.

Cinquième labour : bineuse ou cultivateur avec ailes, fin mai au 15 juin, au milieu de chaque rangée ; profondeur 8 centimètres environ.

Sixième labour : à la bineuse coudée, une raie de chaque côté du rang de souche ; la lame excentrée de la bineuse coudée doit passer à quelques centimètres de la souche et ne laisser qu'un mince ruban de terre qui sera enlevé à la main, profondeur 7 centimètres.

Septième, huitième et neuvième labours : du 1er juillet à fin août, alterner, en passage seulement au milieu de la rangée, une fois le cultivateur avec queues d'hirondelles et, l'autre fois, la bineuse ou cultivateur à ailes, à une profondeur de 7 centimètres.

En respectant les dates fixées, ajoute l'auteur, ces labours doivent permettre d'avoir toute l'année des vignes absolument sans herbes.

Ces nombreuses façons culturales nécessitent évidemment un moyen de traction assez rapide; il faudra donc abandonner la bête à cornes, beaucoup trop lente, pour le cheval ou le mulet, suivant les régions, ou encore le motoculteur. Pour le choix de ce dernier, on portera son attention surtout sur les modèles où les parties travaillantes pulvérisent le sol et non le retournent, comme le font les charrues ordinaires.

Il reste à parler de la vinification, laquelle dans certains vignobles est faite d'une façon déplorable. Nous avons écrit sur ce sujet beaucoup de choses ; nous nous sommes efforcé d'éclairer le petit vigneron, mais cette opération est suffisamment complexe pour que de nombreuses années se passent encore avant d'obtenir partout une vinification rationnelle.

Celle-ci sera améliorée si on ne met dans la cuve que des grappes saines, si on n'enfonce pas le chapeau et si le local où se fait la fermentation est propre, bien calorifugé contre le refroidissement nocturne.

Quand l'intérieur des tonneaux sera détartré à la chaîne, de façon à mettre le bois à nu, etc.

Enfin, quand les températures de fermentation seront maintenues à un degré voulu, par l'emploi du système dit thermo-siphon, soit que ce soit le moût qui circule dans le réchauffeur, soit que l'eau de ce dernier circule dans la cuve. Dans cette opération, il ne faut pas que le moût reste en contact avec une partie chauffante, dont la température dépasse 70 degrés centigrades, pour éviter la caramélisation.

Enfin le réchauffement par le dernier venu : les rayons infra-rouges, semble être l'avenir ; ce procédé évite la caramélisation et possède d'autres avantages.

Quant aux engrais, nous avons traité la question dans les numéros d'octobre et de novembre du Chasseur Français. Rappelons que la tendance actuelle du marché est la livraison d'engrais complets équilibrés à forte teneur en éléments fertilisants avec pour la vigne nette prédominance de la potasse.

Ces engrais apportent une économie de transport, de main-d'œuvre et de sacherie.

V. ARNOULD,

Ingénieur agronome.

Le Chasseur Français N°661 Mars 1952 Page 164