Dans une causerie parue il y a quelques mois et relative à
l'interdiction de la chasse dans les vignes, interdiction promulguée dans
certains départements dans des conditions que nous estimions irrégulières, nous
avons été amené à préciser la limite des pouvoirs tant des préfets et des
maires que du ministre de l'Agriculture en ce qui concerne la fixation, et
éventuellement la modification, de la date de l'ouverture de la chasse. Nous
avons rappelé notamment que la date de l'ouverture générale de la chasse, fixée
primitivement par le ministre de l'Agriculture, pouvait, dans des cas
limitativement déterminés, être retardée par lui au moyen d'un arrêté
postérieur. Enfin, nous indiquions que tout arrêté relatif à ces matières qui
serait pris en dehors des cas prévus expressément par la loi devrait être
considéré comme illégal, et qu'en cas de poursuite exercée pour contravention à
un tel arrêté, le tribunal devrait en prononcer la nullité et, par voie de
conséquence, acquitter le prévenu.
Une application intéressante de ces principes a été faite
récemment par le Tribunal correctionnel des Sables-d'Olonne, dans les
conditions suivantes. Un arrêté ministériel en date du 7 mai 1951 avait
fixé la date de l'ouverture de la chasse au canard, pour toute l'étendue du territoire
français, au 29 juillet 1951 ; puis, le 28 juin 1951, intervint
un deuxième arrêté, applicable au seul département de la Vendée, portant que
l'ouverture n'aurait lieu, le 29 juillet, que pour les étangs munis d'un
dispositif permanent de pêcherie et pouvant se vider complètement. Un chasseur,
sans tenir compte de ce dernier arrêté, ayant été trouvé en action de chasse le
29 juillet auprès d'un étang non susceptible de vidange, fut traduit
devant le Tribunal de police correctionnelle, qui l'acquitta.
Les considérants à l'appui de cette décision étaient les
suivants :
« Attendu que la loi autorise le ministre de
l'Agriculture et, dans certains cas, les préfets et les administrations de
l'Inscription maritime à fixer le temps pendant lequel la chasse pourra être
pratiquée sur l'ensemble du territoire français ou dans chaque département ou
circonscription maritime, à l'égard d'une espèce de gibier déterminée (loi du 3 mai
1844, art. 3, 4 et 9 ; loi du 28 juin 1941, art 7 ; arrêté du 22 novembre
1945) ;
» Mais attendu que ces textes législatifs ne leur
permettent nullement de restreindre le droit de chasse à des parties du sol
autres que celles nommément désignées par la loi ;
» Qu'en effet, lorsque cette faculté leur est
exceptionnellement accordée, la loi prend soin de l'édicter expressément (art. 3,
§ 3 de la loi du 3 mai 1844) ;
» Attendu, ainsi, qu'en restreignant, en Vendée, la
chasse au colvert et en l'autorisant, le 29 juillet seulement, sur les
étangs susceptibles de vidange, l'arrêté du 28 juin 1951 a outrepassé la
permission de la loi ;
» Qu'il est donc illégal et ne peut servir de base à
une poursuite pénale ;
» Attendu que seule la date du 29 juillet 1951,
fixée par l'arrêté ministériel du 7 mai 1951, s'impose comme date
d'ouverture de la chasse au canard, sans restriction eu égard à la nature du
terrain ;
» Que G ..., en chassant le canard colvert, à Bois-de-Céné,
le 29 juillet 1951, n'a donc pas contrevenu à la loi ; que sa relaxe
s'impose ... »
Cette décision nous paraît devoir être entièrement
approuvée. Sans doute, le principe en vertu duquel le juge saisi d'une
poursuite pénale pour contravention à un arrêté des autorités administratives a
le devoir de vérifier si l'arrêté qu'il s'agit de faire respecter a été pris
régulièrement et d'acquitter le prévenu, s'il estime illégale la disposition à
laquelle il a été contrevenu, est depuis longtemps admis par tout le monde.
Mais l'intérêt de la décision n'est pas là ; il réside sur les motifs pour
lesquels le juge déclare illégalement pris l'arrêté en question.
D'une part, le Tribunal constate que l'article 3 de la loi
du 3 mai 1844 donne aux préfets (actuellement au ministre de
l'Agriculture) le pouvoir de fixer, dans chaque département, la date de
l'ouverture de la chasse, date qu'ils peuvent ensuite retarder à l'égard d'une
espèce de gibier déterminée ; que l'article 9 de la même loi les charge de
fixer les dates d'ouverture et de clôture de la chasse aux oiseaux de passage
et au gibier d'eau ; mais il constate qu'aucune disposition légale ne les
autorise à restreindre le droit de chasse à certaines parties du sol, si ce
n'est le paragraphe 3 de l'article 3 de la loi de 1844, lequel n'est applicable
que dans les forêts ou parties de forêts classées en vertu de l'article 4 de la
loi du 26 mars 1924, en prévision du danger d'incendie. Il en déduit qu'en
dehors de ce dernier cas toute disposition ayant pour objet de retarder
l'ouverture de la chasse pour certaines parties du sol est illégale, et que les
contraventions à de telles dispositions ne sont pas punissables.
Tout ceci est parfaitement juridique, et il n'est jamais
sans intérêt de mettre en lumière de telles décisions.
Paul COLIN,
Docteur en droit, avocat honoraire à la Cour d'appel de Paris.
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