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Truite de mer et truite saumonée

La truite commune (Salmo Fario) présente de nombreuses variations de robe selon son habitat et comprend plusieurs races différentes, tout comme dans l'espèce « vache » ou dans l'espèce « chien » il existe de nombreuses races locales.

Dans les ruisseaux, et surtout dans les ruisseaux granitiques de montagne, la truite est de petite taille, jaunâtre, avec des points noirs et de nombreux points rouges. Dans les ruisseaux à fond tourbeux, elle est toujours de petite taille avec de très nombreux points rouges et de teinte générale foncée. Dans les grandes rivières telles que le Rhône et les rivières normandes et dans les lacs, la truite atteint de très grandes tailles, allant parfois jusqu'à plusieurs kilogrammes ; on a même capturé dans un lac suisse des truites pesant de 15 à 20 kilogrammes. La robe de ces grandes truites est gris bleuté ou gris vert, avec des taches noires en étoile dans la partie supérieure du corps.

Aucune variété de truite n'est, à proprement parler, sédentaire ; même la truite de ruisseau effectue de petites migrations pour se rendre sur les frayères. Mais plus la rivière est grande et la truite de grande taille, plus on assiste à des migrations lointaines dues à l'instinct sexuel. Enfin, il existe d'autres truites qui, après avoir passé une ou deux années de leur jeunesse en eau douce, se rendent à la mer. C'est cette race qui est la truite de mer, dont les mœurs rappellent celles du saumon, mais dont l'aire de répartition en Europe est beaucoup plus restreinte que celle du saumon.

Cette truite est surtout abondante dans la Baltique et la mer du Nord. Sur les côtes françaises, on la rencontre encore dans la Manche et les cours d'eau bretons. Elle devient rare au sud de la Loire, mais on peut tout de même en rencontrer quelques exemplaires dans l'Adour et ses affluents et dans quelques cours d'eau espagnols. Certaines de ces truites restent dans l'estuaire, mais d'autres entreprennent de véritables périples, et des individus marqués comme truitelles en Écosse ont été capturés sur les côtes allemandes.

La truite de mer grossit très rapidement en eau salée, tout comme le saumon, et c'est précisément l'identité de sa nourriture marine avec celle du saumon qui lui donne sa célèbre chair saumonée, c'est-à-dire cette belle couleur rose-saumon qui en fait le goût et la valeur. Mais toutes les truites saumonées ne sont pas des truites de mer. Dans certaines rivières où abondent les petits crustacés, notamment le petit gammarus et, dans certaines grandes rivières à fond herbeux, la crevette d'eau douce ou caridine, la truite ordinaire, de par sa nourriture, prend la chair saumonée ; il arrive souvent que, dans telle rivière où la chair de la truite est normalement blanche, l'on capture de temps en temps des bêtes à chair rose.

Il y a donc deux cas où la truite peut être saumonée : c'est ou bien une truite de mer, ou bien une truite de rivière dont la chair, de par sa nourriture de petits crustacés, est devenue saumonée ; mais dans aucun cas il n'y a, comme on le croit trop souvent, hybridation entre la truite et le saumon ; il est bon de le répéter, car la fécondation artificielle entre la truite et le saumon ne réussit que dans certains cas, et jamais dans la nature. La confusion vient de ce que souvent, sur les frayères à saumons, on voit de nombreuses truites ; ce qui les attire sur les lieux, ce n'est pas le désir sexuel, mais, seulement la faim et la gourmandise, car elles viennent se repaître des œufs de saumons.

La truite de mer est une truite de grande taille pesant de 1 à 7 kilogrammes. Sa livrée est semblable à celle du saumon de montée, c'est-à-dire qu'elle a le dos gris bleu, le ventre blanchâtre et la moitié supérieure du corps soit sans points noirs, soit avec des taches noires en étoile, mais jamais sans taches rouges. Au moment du frai, le mâle de la truite de mer, comme celui du saumon, porte de nombreuses taches orange. Enfin, le fameux « bec » du saumon bécard se retrouve également, mais moins développé, chez la truite de mer. La nageoire caudale de la truite de mer est coupée d'un trait droit, tandis que celle du saumon de fontaine se partage en deux. D'autre part, la bouche de la truite est moins grande que celle du saumon. Parmi les caractères anatomiques qui séparent la truite du saumon, on peut citer le vomer, qui est triangulaire et porte à la base 3 ou 4 fortes dents, tandis que celui du saumon a une plaque antérieure pentagonale sans dents.

Nous avons dit qu'en Europe plus nous allions vers le sud, plus la truite de mer devenait rare — en effet, on ne prend plus que quelques individus dans l'Adour ; elle ne devient vraiment abondante que dans les rivières normandes. La truite de mer remonte moins loin dans les eaux douces que le saumon. Dans le Rhin, elle ne dépasse pas l'embouchure du Main, tandis que le saumon parvenait encore dernièrement jusqu'en Suisse, et actuellement jusqu'au barrage de Kembs. En effet, la truite de mer peut frayer plus en aval que le saumon.

Les plus belles truites de mer se trouvent dans les rivières polonaises, et notamment dans la Vistule et son affluent, la Dunajec. Il est très curieux de constater qu'arrivés au confluent de ces deux rivières les saumons remontent tous dans la Vistule et les truites de mer toutes dans la Dunajec, et que, contrairement à ce qui se passe en France, c'est la truite de mer qui dépasse le saumon dans les eaux continentales puisqu'elle arrive à faire jusqu'à 1.200 kilomètres de la mer aux frayères.

La truite de mer est un poisson que l'on capturera, sur nos côtes françaises, surtout dans les eaux saumâtres et les eaux douces, mais on en capture aussi parfois en mer à l'approche des côtes ; il m'est arrivé d'en voir de superbes de la jetée de Boulogne. Extrêmement vorace, elle poursuit les bancs de sardines et d'anchois et se capture fort bien à la cuillère, même en mer.

La qualité de sa chair et sa sportivité sont telles que sa propagation dans nos fleuves côtiers de la Manche et de la Bretagne serait à encourager. Tout comme le saumon, c'est un poisson qui croît en mer et vient frayer en rivière et ne fait qu'augmenter la productivité de celle-ci sans enlever grand'chose à la nourriture naturelle du cours d'eau.

Quant à l'élevage en pisciculture de la truite de mer, il n'offre aucune différence avec l'élevage de la truite commune.

LARTIGUE.

Le Chasseur Français N°662 Avril 1952 Page 215