Il y a quelque temps, une émission radiophonique donnée par
un centre œnologique mettait en garde les viticulteurs sur les dangers de casse
des vins.
Cette émission nous a incité à traiter ici ce sujet, qui
fera peut-être malheureusement beaucoup parler de lui.
En effet, l'année qui vient de finir a été particulièrement
néfaste à la vigne, qui a dû subir « la froidure et la pluie » du
fabuliste. La maturation du raisin a été incomplète, et nous avons pu nous-même
constater sur des pampres la présence de beaucoup de raisins verts n'ayant pu
être vendangés.
À part le pourcentage habituel d'exceptions, le vin a mal
fermenté en cuve d'abord, puis la seconde fermentation en cercles, dite
complémentaire, s'est faite plus ou moins bien.
Il en est résulté que les constituants normaux du vin ne
sont pas en proportions définies par la nature ; il y a
déséquilibre dans la constitution de celui-ci. Ce déséquilibre peut amener par
la suite sa mauvaise conservation ; il pourrait être comparé à une
charpente de toiture à laquelle il manquerait plusieurs chevrons.
N'oublions pas que le vin (comme le moût) est un liquide
complexe, où les éléments organiques constituants doivent s'équilibrer. Ces
conditions sont réalisées dans les fermentations tumultueuses de courte durée.
Nous savons tous que celles-ci se terminent en cercles fort lentement avant la
pose des bondes ; la levure travaille alors au ralenti. Mais, ce que l'on
sait moins, c'est qu'à ce moment il se produit une autre transformation, celle
de l'acide malique. Ce dernier existe en petite quantité dans le vin, en
notables proportions dans la pomme et en quantités variables dans les fruits.
Dans le vin, il forme une partie de l'acidité totale.
Cet acide va se transformer en un autre, l'acide lactique,
mais ici ce sont les bactéries (genre Micrococcus malolactus). Le plus
souvent, le froid empêche ou retarde ces deux transformations : le sucre
par la levure, l'acide malique par la bactérie — d'où la nécessité du
réchauffement du vin, ou cercles.
Une autre cause de la casse des vins, c'est le
développement, l'an passé, dans la vendange, de la pourriture grise due à un
champignon (le Botytris cinerea). Il est à remarquer, en passant, que ce
même champignon donne, dans certains vignobles à plants fins, dont le
Sauternais, des produits au goût merveilleux.
La pourriture grise agit pour la casse de la façon suivante :
« Cette moisissure sécrète de grandes quantités d'oxydase,
diastase oxydante des matières colorantes ; elle peut occasionner la casse
des vins. » (KAYSER, Microbiologie agricole.)
Parmi les remèdes que nous allons examiner, nous ne
parlerons que de la casse brune.
Tout d'abord, avant le soutirage, le vigneron devra
mettre un peu de vin dans un verre et le laisser en observation, à l'air.
S'il y a casse, il constatera pour le vin rouge l'apparition
à la surface d'une pellicule irisée, puis le trouble gagne ensuite tout le
liquide, qui prend une teinte rouge-brique et peut parfois former un dépôt.
Soyez patients, le début du phénomène peut apparaître au
bout de quelques heures, mais il peut s'écouler quatre jours avant le premier
trouble.
Les vins blancs jaunissent, puis tournent au brun, enfin un
dépôt peut se produire au bout d'un certain temps.
On peut éviter la casse brune :
1° En ne mettant en fermentation que des raisins sains ;
2° En pasteurisant (si possible) le moût entre 70 et 75° et
en l'ensemençant ensuite avec des levures sélectionnées (ce procédé est employé
dans les chais spécialement outillés) ;
3° Sucrer et acidifier les moûts (le sucrage et
l'acidification sont réglementés par la loi) ;
4° Obtenir une fermentation très active, rapide et complète.
Comme moyens curatifs, dès que l'on a constaté le trouble
dans le verre témoin, on peut :
1° Tanisage : employer 8 à 10 grammes de tanin par
hecto, suivant l'intensité du mal. (Employer le tanin dit à l'alcool, jamais
celui purifié à l'éther.)
2° Pasteuriser le vin entre 70 et 75°, comme dans le premier
cas.
3° Enfin, traiter le vin par l'anhydride sulfureux. La
quantité à employer varie entre 0gr,01 et 0gr,02 par
litre.
Pour trouver la quantité de solution du commerce à employer,
on se reportera sur le chiffre de concentration de cette solution, indiqué par
le fabricant.
L'emploi de l'anhydride sulfureux est de beaucoup
préférable, mais, si on ne peut se le procurer, on s'adressera au métabisulfite
de potassium et on mettra 8 à 10 grammes par hecto ; soutirer les vins à l'abri
de l'air.
Il faudrait à ce moment pouvoir les filtrer sur des
appareils conçus pour arrêter toutes les matières en suspension, y compris les
bacilles.
Les vins blancs seront décolorés par un collage à la
caséine ou au sang, de préférence à tout autre produit.
N'oublions pas que les vins ainsi traités devront être
l'objet d'une surveillance constante, afin d'éviter un retour offensif du mal,
et que leur mise en circulation dans le commerce est interdite par la loi.
Nous avons préconisé dans cette rapide étude l'emploi des pasteurisateurs
et de filtres, appareils qui coûtent cher et ne peuvent être acquis par la
petite propriété.
Mais nous croyons la chose possible en envisageant le
problème sous l'angle coopératif.
Beaucoup de machines ont été ainsi employées en commun.
Si nous insistons, c'est parce que de nombreuses expériences
ont montré que les moûts pasteurisés, puis ensemencés de levures pures,
donnaient d'excellents résultats. Le vin fait est bien équilibré, beaucoup
moins sujet aux maladies, et de meilleure conservation ; en outre, ses
qualités gustatives sont augmentées.
Quant au filtrage absolu, nous le voyons pratiqué après
chaque soutirage, à la condition que le vin filtré soit entonné dans des fûts
sains, détartrés, propres et bien méchés.
Là où ces pratiques auront lieu, on produira sans conteste
du bon vin commercial.
Depuis quelque temps on parle beaucoup de la pasteurisation
des moûts et des vins par les courants de haute fréquence. Ceux-ci rendent de
réels services dans certains laboratoires de recherches et en métallurgie.
Nul doute que ce soit le procédé de l'avenir pour la
pasteurisation des liquides ; il faudra attendre que les installations
soient mises à la portée d'emploi du viticulteur moyen, ce qui ne tardera sans
doute pas dans un avenir prochain.
V. ARNOULD,
Ingénieur agronome.
|