M. Pierre Gauroy, dans Le Chasseur Français de
décembre, se fait l'écho de nombreuses inquiétudes au sujet du réchauffement
général de la terre. Il est certain que nous traversons une période où les
glaciers donnent plus d'eau qu'ils ne reçoivent de neige et que les icebergs
descendent moins bas en latitude. Nombreux sont les auteurs qui ont déjà
discuté sur ces phénomènes et s'en inquiètent ; les théories les plus
diverses ont été échafaudées sans résoudre ce problème, et trop souvent (que M. Gauroy
me pardonne) le public est mal renseigné.
En réalité ce réchauffement de la terre est plus apparent
que réel. En plus, nous avons tous l'habitude et le défaut de comparer les
grands mouvements géologiques à notre petite échelle humaine. Qu'est-ce que
soixante-dix ans d'une longue vie d'un homme auprès d'un des mouvements de la
terre (le plus long il est vrai) appelé par les savants : précession des
équinoxes, qui représente environ 25.000 ans ?
M. Paul Veyret, de l'Université de Grenoble, nous parle
du recul des glaciers et tente d'en expliquer en partie les causes dans un
article fort bien illustré (La Montagne, revue du C. A. F., n° 355).
L'amaigrissement des glaciers, dit-il, peut avoir comme
cause une déficience d'humidité ou un réchauffement persistant de la température
moyenne ou les deux à la fois. Mais, pour établir des calculs, les observations
climatologiques anciennes et dignes de foi nous manquent. Les observations
actuelles sont aussi en désaccord, et il ne faut pas toujours prendre à la
lettre leurs mesures, car, par exemple : le Parc Saint-Maur et Montsouris
montrent un accroissement très net de température, mais qui semble surtout dû
aux agglomérations environnantes et à la multiplication des sources de
chauffage. Tandis que l'Observatoire de Nantes, beaucoup plus isolé, enregistre
seulement une hausse de température de 0°,05 en quatre-vingt-dix ans.
Toujours d'après Veyret, les neiges tardives n'ont pas le
temps de s'agglomérer en glaciers et les vents du sud, vents chauds, font
fondre des masses de neige sans pourtant avoir d'influence sur la moyenne des
températures.
D'autre part, une décrue des glaciers commencée, va en
s'accentuant, car, si une masse importante de neige est très peu influencée par
l'insolation, il n'en est pas de même des rochers mis à nus qui s'échauffent
considérablement et renferment beaucoup de chaleur qui fait fondre neige et
glace dans un rayon assez grand.
Il conclut en disant que le recul actuel des glaciers n'est
pas un phénomène isolé, mais périodique, et qu'il n'y a pas lieu de s'en
inquiéter, car rien ne prouve qu'il y a tendance constante vers la diminution
des glaciers et que, depuis quatre siècles d'observation, les glaciers de
Chamonix et de Suisse ont eu des crues et décrues bien plus importantes que
celle que nous observons aujourd'hui.
Dans la « glaciation quaternaire » (Revue
scientifique rose d'avril 1951), le professeur Dauvillier discute ce
problème sur une bien plus grande échelle, et nous y retrouvons un peu les
mêmes arguments que dans Veyret. Tout d'abord il nous dit que le facteur
déterminant la glaciation est beaucoup plus l'abondance des précipitations que
la température du lieu ; c'est ainsi que la Sibérie septentrionale n'a pas
connu de périodes glaciaires par suite de son aridité. Une fois les inlandsis
constitués, ils sont stables et réfléchissent plus de la moitié du rayonnement
solaire. Il étudie également les effets géographiques de la dernière époque
glaciaire, qui a eu des effets qui nous semblent surprenants. Par exemple, dans
nos Pyrénées, les glaciers avaient une épaisseur de l'ordre du kilomètre ;
le glacier du gave de Pau s'étendait de Gavarnie jusqu'à Pontacq, bien au delà
de Lourdes. À cette échelle, notre beau glacier du Vignemale est un petit
mouchoir de fine batiste.
Nous pourrions ajouter comme vestige : la splendide
moraine qui sépare la vallée de Gripp et la vallée de Payolle sur cinq
kilomètres et qui va mourir à Sainte-Marie-de-Campan.
Le relief des côtes était méconnaissable. La Seine, la
Tamise, tous les fleuves côtiers de la Manche étaient des affluents du Rhin,
ainsi qu'en attestent toutes les vallées sous-marines que l'on retrouve
également en Atlantique ; par exemple : l'estuaire de l'Adour
fossile.
Dauvillier étudie le phénomène proposé par différents
auteurs. La terre traversant un nuage cosmique obscurcissant le soleil. En
effet, des diminutions de 5° ont été constatées en France (26-30 septembre
1950) lors de l'apparition du soleil bleu (phénomène dû à des poussières
volcaniques) ; mais, dit-il, sans nier l'importance de ces fumées
volcaniques, ces poussières que nous observons sont rapidement entraînées par
les précipitations et par conséquent sans influence sur les moyennes générales.
Par contre, si le soleil traversait un nuage cosmique, le résultat serait tout
opposé en ce sens que la lumière solaire serait légèrement réduite, mais sa
constante serait accrue par la diffusion. Le résultat de cette diffusion serait
de faire disparaître les nuits ordinaires et polaires et d'accroître la
température moyenne du globe.
Dans son chapitre sur le mécanisme des glaciations, il dit
que la période historique nous montre à l'échelle des millénaires une
remarquable constance de la température. Depuis 3.400 ans, la température
moyenne de la Palestine, accusée par les limites entre lesquelles croissent les
palmiers et la vigne, est demeurée comprise entre 21 et 22°.
Cependant, dit-il en terminant, nous observons des
variations séculaires considérables dans la glaciation mondiale, et, fait
capital, cette décrue des glaces intéresse les deux hémisphères et il a été
démontré que la température moyenne s'élevait partout de 0°,5 à 2°,2 par
siècle. Nous nous éloignons donc de la période glaciaire.
Gamow, dans une théorie astronomique, prévoit la prochaine
période glaciaire dans ... 60.000 ans, mais il est possible qu'elle arrive
beaucoup plus tôt.
Soixante mille ans, ce n'est rien pour les cinq milliards
d'années de la terre ; mais pour nous les humains ? De tout ce qui
existe aujourd'hui, il ne restera rien, mais absolument rien. Ni les mêmes
villes, ni les mêmes monuments, ni les races, les religions, les langues, ni
les mêmes fleuves, ni les mêmes montagnes. Absolument personne dans 60.000 ans
ne se souviendra de ce qui se passe aujourd'hui et de ce qui s'écrit ;
aucune archive, aucune loi ne résiste à une épreuve de temps semblable. Tous
les grands qui actuellement président (plutôt mal) à nos destinées devraient
philosopher un peu là-dessus.
Quoi qu'il en soit, tous les savants sont d'accord pour
constater que nous nous éloignons de la dernière période glaciaire et que la
terre va en se réchauffant. Ils constatent également que ce réchauffement n'est
pas progressif, mais marche par pulsations, c'est-à-dire par périodes de crue
et de décrue à la fréquence d'un siècle environ. Mais tous les savants sont
également d'accord sur le fait que, dans l'ensemble, ce réchauffement général
est de l'ordre d'un degré par siècle.
Qui de nous, par nos moyens d'observation ordinaires, peut
s'en apercevoir ?
P. DE BERNADE.
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