l s'appelait Gaston, il avait vingt-trois ans, il était
aide-comptable dans une papeterie de la rue Vivienne. C'était un jeune homme
très bien, très convenable.
Elle s'appelait Léonie, elle avait dix-neuf ans, elle était
échantillonneuse dans une maison de la rue d'Aboukir. C'était une jeune fille
tout à fait « comme il faut ».
L'idylle avait commencé, entre Noël et jour de l'an, dans le
café-tabac de la rue de Cléry où Gaston venait tous les matins, au sortir du
métro, prendre un chocolat et un croissant avant d'aller à son travail ;
elle y venait aussi, à la même heure, et prenait un café-crème avec un cake.
Pendant plusieurs jours, chaque matin, ils restèrent
quelques minutes l'un près de l'autre, debout au comptoir, à savourer leur
déjeuner, sans que jamais l'idée leur vînt de lier conversation. À vrai dire,
elle avait bien remarqué ce grand garçon brun, très correct, toujours
silencieux ; lui, de son côté, avait également noté la présence de cette
jolie petite blonde, gentiment élégante, qui ne disait mot, mais un peu
distraitement. Il fallut, pour briser la glace, qu'une auto renversât, un jour,
un tri en station devant le tabac. Et encore, les propos qu'ils échangèrent à
ce sujet furent-ils de ces bien plats lieux communs.
— Aussi, ils vont toujours si vite ! dit Léonie.
— Il faut être si prudent pour conduire dans Paris, fit
Gaston.
C'était peu mais c'était suffisant.
À partir de ce moment, ils se dirent « bonjour »
et parlèrent de la pluie et du beau temps. Un matin, Gaston alla conduire
Léonie à la porte de sa maison de tissus. Il lui dit qu'il habitait rue Monsieur-le-Prince ;
elle lui dit qu'elle habitait chez une vieille dame au début de la rue de
Vaugirard.
— Ah ! mais ... nous sommes voisins !
s'exclamèrent-ils ensemble.
Ils prirent ensemble le métro, chaque soir, jusqu'à « Odéon »
et Gaston accompagnait Léonie jusqu'au Sénat. Il n'allait jamais plus loin. Ils
se serraient gentiment la main et se disaient « au revoir ».
Comme c'étaient, nous l'avons dit, des jeunes gens « très
bien », ils parlèrent tout de suite mariage.
— Chère mademoiselle Léonie, dit un jour Gaston, je
suis, hélas ! seul dans la vie, mais mon plus cher désir est de connaître
le plus tôt possible vos parents, afin de leur faire ma demande officielle.
— Mes parents, répondit Léonie, habitent la province.
Oh ! pas bien loin. À deux heures de Paris en chemin de fer. Je vais dès
aujourd'hui leur écrire à ce propos.
— Et ce jour-là, continua Gaston, je vous ferai cadeau
d'un beau bijou ...
— Oh ! murmura la blonde enfant, les yeux en
extase.
— ... Oui, un bijou de famille, vraie pièce de
musée. Un magnifique collier de perles ayant appartenu à l'impératrice Eugénie.
C'est toute une histoire que je vous conterai.
Le pauvre garçon, emporté par son imagination, n'en dit pas
plus, mais « il en avait déjà trop dit ». À partir de ce moment, à
chacune de leurs rencontres, Léonie posait un tas de questions sur le collier :
combien de perles ? sont-elles grosses ? comment est le fermoir !
Gaston se contentait de répondre : « Vous verrez ... », ne
donnant aucun détail.
Et pour cause ! En effet, le fameux collier n'existait
pas ...
Ce que Gaston avait chez lui, c'était tout simplement un
écrin qu'il avait toujours connu chez ses parents, un grand écrin plat, doublé
de satin blanc et portant, au verso du couvercle, en lettres d'or bien ternies,
l'inscription : Jos. Brohmer, joaillier, rue Saint-Honoré, Paris.
Fournisseur de S. M. l'Impératrice. D'où venait cet écrin ? Mystère.
« Bah ! pensait notre amoureux, quand l'invitation
viendra, j'en serai quitte pour acheter un collier de perles ordinaire que je
placerai dans l'écrin. On n'y verra que du feu ... »
Le vendredi saint, Léonie arriva, radieuse, au café-tabac.
Elle avait une lettre à la main.
— Ça y est ! Cher monsieur Gaston, dit-elle, mes
parents m'ont écrit ! À l'occasion des trois jours libres de Pâques, ils
vous invitent à venir pour la demande. Je partirai ce soir. Vous, vous pourrez
partir demain par le train de 9 heures du matin et vous arriverez à 11 heures.
Vous irez retenir votre chambre à l’Hôtel de la Gare et puis vous
viendrez chez nous pour déjeuner, à midi et demi. Voici l'adresse : 24,
rue des Platanes. C'est un pavillon avec jardin devant. Alors ... à demain
pour le déjeuner, chez nous ! N'oubliez pas le beau collier !
Le soir, tout à sa joie, Gaston s'endormit en souriant et
fit des rêves couleur de rose. Si charmants étaient ces rêves qu'il ne
s'éveilla, le samedi, qu'à 8 heures ! Il n'avait que le temps de
s'habiller et d'aller à la gare. Il fit rapidement sa valise et, à tout hasard,
emporta l'écrin.
« Je verrai bien là-bas », se dit-il en appelant
un taxi. Il débarqua du train à 11 heures, suivant l'horaire. Sa chambre
retenue, bien rasé, bien pomponné, il calcula qu'il lui restait trois quarts
d'heure avant le rendez-vous fixé. Il pensa, alors, qu'il trouverait bien un
magasin pour acquérir un collier. Justement, le Grand Bazar se dressait
devant l'hôtel. Il entra. Un inspecteur s'empressa :
— Monsieur désire ?
— Un collier de perles très simple, répondit Gaston.
— Parfait, monsieur.
Et, se tournant vers un gros homme revêtu d'une blouse grise :
— Monsieur Daniel, veuillez vous occuper de monsieur.
Gaston suivit l'employé et fit l'achat d'un collier de
perles d'une fausseté remarquable pour le prix modique de 450 francs.
Ayant placé son acquisition dans l'écrin, il se dirigea d'un
pas vainqueur vers le 24 de la rue des Platanes.
Il fut reçu avec une aimable distinction par la maman de
Léonie. Celle-ci, discrètement rougissante, comme il convient, fit les
présentations.
Alors, jugeant le moment opportun, Gaston tira de sa poche
l'écrin et l'ouvrit.
— Oh ! firent les deux femmes en joignant les
mains.
— Et tu sais, maman, s'écria Léonie haletante
d'émotion, c'est le collier de l'impératrice Eugénie ! C'est d'une valeur
inestimable !
— Ma fille m'en a parlé, dit la maman très fière. C'est
un souvenir de famille, lui avez-vous dit ? Ce bijou aurait, paraît-il,
une histoire ...
— Voici, commença Gaston en se carrant dans un
fauteuil. Un jour de l'année 1852 — il y a juste cent ans, — mon
arrière-grand-père était de garde aux Tuileries. L'Impératrice sortit pour
monter en calèche. En traversant le vestibule, elle remarqua le bel officier
qui la saluait du sabre et dit ...
Il n'acheva pas.
La porte venait de s'ouvrir, et le papa entra.
Le papa ? ... C'était. M. Daniel, l'employé
du bazar !
Roger DARBOIS.
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