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Le tir de chasse devant les chiens

La bécassine

Comme nous l'avons fait remarquer en passant : si toutes les méthodes de tir s'adressant à la bécassine se côtoient sur certains points et se séparent sur beaucoup d'autres, elles s'accordent toutes à traiter leur sujet sans y associer la présence d'un chien.

La sous-entendent-elles ou la considèrent-elles comme quantité négligeable ? On peut croire, sans crainte de se tromper, qu'elles optent pour une de ces deux conditions.

Les convaincus qui ont toujours poursuivi la bécassine sans se servir d'un chien seraient bien en peine de s'exprimer valablement au sujet d'un compagnon qu'ils dédaignent ou qu'ils répudient.

Les non moins convaincus de l'emploi obligatoire du chien ne peuvent pas penser que la bécassine soit « chassée » sans lui. Ils trouveraient un agrément si pauvre en l'allant tirer seuls qu'ils n'envisagent même pas cette éventualité.

Et ce sont eux qui ont raison ! Pas un vrai chasseur ne nous contredira.

Les tireurs appartenant à la catégorie des tueurs, n'ayant en souci que la chute du gibier qu'ils lèvent, et les tireurs en adoration devant la Chasse éternelle ne se ressemblent pas. L'amour à nul autre pareil de ces derniers, leur ferveur pour cette chasse que, par miracle, l'accoutumance ne sait pas émousser, pour cette chasse qui les regarde vieillir sans qu'une ride touche à sa jeunesse, en font des amants forcenés que l'infidélité ne tenaille jamais.

La présence des chiens fait varier les méthodes par la force des circonstances, et par les conséquences de l'attention qu'on porte continuellement sur eux. Attention qui retranche au tir la primauté que lui accorde le chasseur sans chien, qui la pratique presque toujours de surprise. Nous parlons bien entendu de celui qui accepte tous les départs et tire franchement dans les crochets.

Le tir de la bécassine devant un chien est en dehors de toutes les théories proprement dites. Il leur faudrait posséder l'inspiration d'un devin pour en disserter utilement, et c'est pourquoi elles le laissent de côté.

Rien ne s'évente de plus loin qu'une bécassine et n'excite davantage, par conséquent, l'émotion ravie de l'arrêt, accompagnée du petit sentiment d'angoisse qui se tient toujours au fond de l'inexprimable plaisir qu'il vous offre.

Beaucoup, parmi ceux qui s'en privent, ne s'y résolvent pas de plein cœur. Trouver, dresser, maintenir et entraîner par une pratique régulière un chien de bécassine n'est pas une grâce qu'il suffit de désirer pour la recevoir. Sa rareté relative est la cause de bien des renoncements au chien. Et, comme, à la rigueur, on peut s'en passer, puisque la bécassine se lève trop facilement toute seule, on la tire quand même. En tout cas, dans ces conditions, on ne peut la rechercher, même dans le style le plus près de la chasse, autrement qu'en aveugle.

En userait-on de même envers la bécasse, qui, souvent aussi, se lève seule ?

Mais peut-on comparer son envolement rusé aux crochets nobles de la bécassine qui ne la jettent pas derrière un arbre paralysant le tir ? Les plombs et la bécassine sont deux violences qui s'affrontent. Avec la bécasse, il n'en est plus qu'une seule.

Un chien de bécassine, aux yeux d'un homme pour lequel la chasse est la plus grande affaire de ce monde, est une manière de trésor d'autant plus inestimable qu'il n'est jamais certain de le découvrir.

Il ne s'achète pas : il se trouve. Ou, s'il s'achète, c'est à celui qui l'a trouvé et qu'un malheureux sort oblige à s'en défaire. Aucune race n'a pu s'arroger le pouvoir de le débiter à coup sûr, ainsi qu'une spécialité comme une autre. Même l'espèce considérée comme la plus qualifiée n'est jamais certaine d'en fournir un spécimen accompli, car il ne suffit point à ses représentants d'être vêtus pour l'eau, et de descendre d'une lignée ayant toujours chassé la bécassine, pour qu'ils obtiennent tous, automatiquement, le brevet de bécassinier.

Le chien de bécassine n'est spécifiquement pas le produit d'une race : c'est une intelligence et un nez.

Aux ordres de deux mentors aussi puissants, les pattes se plient aux circonstances. Dans ce cas tout particulier, la plus grande influence qu'on puisse leur attribuer ne se mesure ni à leur vitesse, ni à leur lenteur ; mais à la coordination de leur allure avec le poids qu'elles supportent, afin d'entourer leur quête du moins de bruit possible. Autrement dit : un chien léger pourra se permettre un train plus vif qu'un chien lourd, sans que l'eau clapote davantage.

Cette question du bruit est capitale ! La bécassine en a horreur; et, lorsqu'on lui sert un vacarme de galopade s'ajoutant à l'aubade que lui offrent les bottes qui s'enfoncent, s'arrachent et traînent leur sillage hésitant dans un silence plus que relatif, on peut faire son deuil de leur tir.

Un chien de bécassine complet ne se peint pas avec des mots. Intelligence et nez forment un poème qui se compose difficilement.

Où le trouver, ce chien ; où le choisir ?

Le plus souvent parmi les enfants de la balle, nés, puis élevés au bord d'un marais et sur lequel, après leur dressage préparatoire, ils ont fait leurs premiers pas et se sont déclarés sur la bécassine, sans savoir que, pour le plaisir des hommes, il existe aussi des perdrix.

En signalant cet avantage, nous ne prétendons pas qu'il soit absolument conditionnel et qu'un chien dressé sur le perdreau ne puisse pas s'éprendre de la bécassine et la chasser à la perfection s'il possède les qualités que l'on sait, capables de le rendre exceptionnel. Les circonstances, toujours secondaires, dépendent du hasard, tandis que l'intelligence et le nez descendent directement du ciel, grand semeur de destins.

Sans l'intelligence, le nez est un simple accessoire au mécanisme admirable dont le fonctionnement demeure incomplet. Seul, il ne peut venir supérieurement à bout d'un jeu difficile à bien jouer, qui demande à la réflexion de lui prêter son secours passager.

Ce que nous avons dit de l'émotion provoquée par l'arrêt du chien sur la perdrix se reproduit également devant la bécassine ; mais dans une proportion bien moindre.

La tension nerveuse provoquée par l'imminence d'un brusque départ que l'on sait devoir être bruyant et coupeur de moyens est autrement forte et, par conséquent, agissante que celle de l'arrêt sur la bécassine dont le départ n'est pas impressionnant. C'est à peine si l'on en reçoit la sensation.

Il arrive même qu'on ne la subisse pas du tout. Ou, quand, au contraire, elle vous frappe, elle n'a guère le temps de durer parce que la bécassine ne vous fait pas souvent languir entre l'instant de son arrêt et celui de son départ. Lorsque le chien l'évente de loin et qu'il avance prudemment, le nez haut, on le suit et l'on ne ressent pas au même degré, pendant l'action de la marche, l'effet crispant de l'attente dans l'immobilité ou dans le piétinement inquisiteur qu'impose l'obligation de lever le gibier soi-même.

Et puis, en ce qui concerne la bécassine, on sait qu'on ne se trouvera pas devant une compagnie, mais devant des isolées, ou devant trois ou quatre oiseaux qui ne partiront pas d'un seul bloc.

Donc, ce qui milite contre l'emploi du chien pour le tir du perdreau, en cas de nerfs indomptables, transforme son concours en avantage pour celui de la bécassine.

En somme, ce tir, qu'on peut avoir à chaque seconde l'occasion de pratiquer quand on suit le chien qui marche en pointant son arrêt, revient à celui qui s'exécute en marchant également, mais sans chien, avec cette différence qu'on est prévenu que la « surprise » est proche.

Cet avertissement tempère l'effet de cette surprise, sans détruire son charme, et facilite le tir par l'état de plus grand sang-froid dans lequel il vous place pour sa préparation.

En revanche, il ne simplifie pas sa réalisation. Les crochets sont toujours les crochets, et ce n'est pas la présence du chien qui les atténuera. À ceux qui s'en font un épouvantail de ne pas s'entêter vainement et de se passionner pour un sport plus près de leurs moyens.

La surveillance du chien, les fluctuations de sa quête ne sont certainement pas sans influence sur le comportement de leur maître.

Le chien peut même gêner le tir, les jours où les bécassines rasent le sol devant lui. Il faut faire attention où le plomb va ; ce qui ne rend pas la besogne plus aisée.

C'est un inconvénient qui sert d'argument aux adversaires du chien, mais un inconvénient si mince auprès des services qu'il vous rend, qu'il faut faire de son mieux pour l'affronter toujours ...

Raymond DUEZ.

Le Chasseur Français N°663 Mai 1952 Page 263