Accueil  > Années 1952  > N°663 Mai 1952  > Page 274 Tous droits réservés

Chiens de lièvre

Parlons maintenant des vrais chiens de lièvre : les chiens courants.

Dans quelques années, on ne songera peut-être au lièvre et à sa chasse que comme un lointain souvenir.

Le lièvre, en effet, dans bien des régions, est en voie de disparition.

Mais il y a encore des mordus inguérissables qui conservent toujours la foi.

Il faut avoir vraiment la foi, devant la raréfaction du lièvre et les difficultés de plus en plus grandes de sa chasse, pour persister dans la poursuite de cet animal avec des chiens courants.

Dernièrement, j'ai eu la grande satisfaction de recevoir la lettre d'un jeune débutant qui me demandait des conseils, en m'avouant qu'il était un mordu, et qu'il ne chassait pas pour le garde-manger, mais pour les grandes émotions de la chasse au chien courant.

Que des vieux gardent l'espérance et le feu sacré, c'est déjà très consolant. Mais je trouve très beau et très réconfortant que des très jeunes se lancent avec espoir et confiance dans ce sport si captivant et qui ménage peut-être de plus en plus de déceptions.

Eh bien ! c'est à ces jeunes mordus que je m'adresse pour les encourager et pour leur donner quelques conseils.

Conseils pratiques puisés dans une longue expérience, et non des affirmations de théoricien en chambre.

Lorsque mon excellent collègue et ami de Kermadec constate que le petit chien courant de train moyen et même de train ralenti, pourvu qu'il soit requérant et suffisamment allant, est de plus en plus en faveur et est le chien de l'avenir, il a certainement raison dans un certain sens.

Pour beaucoup de petits chasseurs qui ne veulent pas (ou ne peuvent pas), par suite de leur territoire de chasse assez restreint, permettre à leur animal de chasse de s'éloigner trop rapidement du lancer, cela se conçoit très aisément.

Ils espèrent tirer l'animal le plus rapidement possible.

Mais les mordus, les vrais, ne sauraient se contenter de cette chasse au ralenti et trop vite écourtée par le coup de fusil qui tue le lièvre ... et toutes les joies et toutes les émotions.

Qu'il chasse à courre ou simplement à tir, le mordu se moque bien de la prise ou de la mort du lièvre.

Même lorsque le fusil doit jouer son rôle final, ce qu'il aime, ce qui le passionne, ce qui le ravit, c'est la menée de la meute, c'est la musique des chiens, c'est tout l'enchantement, toute la poésie, tout l'imprévu, c'est l'oubli total de tout !

Pour qu'il se passionne vraiment, il faut que cette lutte de vitesse et de finesse entre les chiens et l'animal soit ardente et vive.

Avec des chiens lents et qui trament sur la voie, on n'a rien de tout cela.

On écoute, on se poste, on attend. Le lièvre passe. Pan ! Il fait la culbute. C'est fini !

Pour eux, la vraie chasse au lièvre, ce n'est pas cela. C'est autre chose de plus mouvementé, de plus prolongé, de plus palpitant.

Mais, pour palpiter, il faut avoir des chiens qui vont de l'avant, qui foncent, qui talonnent l'animal, il faut des chiens entreprenants et vites.

Pour ma part — et les vrais mordus pensent certainement comme moi, — je n'ai jamais vibré avoir et à entendre des chiens ravaudant sur la voie, ou la suivant mollement et lentement. Quel plaisir peut-on éprouver à voir et à entendre un pauvre basset infirme et sans entreprise s'époumoner à crier pendant une demi-heure, sur une distance de deux ou trois cents mètres ?

Et il y en a qui vont de ce train-là !

Ils mettent le nez en terre, ils s'arrêtent, poussent des hurlements, font deux mètres en avant, remettent le nez en terre, repoussant des hurlements, et, pendant ce temps-là, le lièvre est parti bien loin.

Car, même devant des chiens lents, les lièvres ne les attendent pas toujours.

On dit bien que tout animal devant les courants règle son train sur celui de ses poursuivants. En théorie, cela paraît normal et très logique. En fait, cela se produit assez souvent, mais pas invariablement et pas sur tous les terrains de chasse.

Dans une chasse gardée et tranquille, où ils ne sont chassés que par des bassets extrêmement lents, comme les bassets artésiens normands, les lièvres ont pris conscience que leurs poursuivants sont parfaitement inoffensifs. Ils peuvent alors se promener et folâtrer devant eux.

Mais, dans beaucoup de secteurs de chasse, banale ou communale, où ils sont assez, fréquemment bourlingués par des mâtins ou des corniauds, ils se sauvent le plus loin et le plus vite possible, quelle que soit l'allure de la meute.

D'autre part, les spécialistes du courre du lièvre, possédant un véritable équipage, ne sont pas légion. La grande majorité des passionnés de la chasse du lièvre ne chassent qu'avec une meute réduite, et le plus souvent à tir, tout en s'offrant les joies de quelques bonnes randonnées, avant le meurtre.

Ces petits chasseurs ont l'occasion, au hasard des rencontres, de lancer aussi bien un renard et même un sanglier. Ils n'ont pas la prétention de le forcer. Ils veulent le tuer.

Mais, avec des chiens vites, on a bien plus de chances de tirer ces animaux qu'avec des chiens lents. Ils ne sont pas de ceux qui s'attardent à gambader près de la meute. Ils filent presque tout de suite et rapidement, sauf parfois lorsqu'ils se font battre dans une enceinte extrêmement fournie, où les chiens sont eux-mêmes bien empêtrés et sont incapables de pousser l'animal.

Ils ne sont point non plus comme le lièvre et le chevreuil, qui ont la candeur de venir s'arrêter sur une allée, pour écouter et pour scruter l'horizon. C'est avant de sauter sur l'allée ou même de franchir l'allée d'un bond qu'ils prennent leurs précautions. Ils écoutent, ils flairent et, s'ils ont connaissance de quelque chose d'anormal, ils continuent leur route en bordure du layon, qu'ils ne franchiront que plus loin.

Lorsqu'ils ont une grande avance devant les chiens, ils ont tout le temps et toutes les facilités d'être prudents. S'ils sont talonnés de près par des chiens vites, le danger immédiat de l'arrière les oblige souvent à négliger le danger possible à l'avant.

Comme lieutenant de louveterie, j'ai fait pas mal de battues au sanglier et d'innombrables battues aux renards. J'ai toujours observé qu'on réussissait mieux avec des chiens rapides.

C'est lorsque j'ai eu mes deux meilleurs et plus vites chiens de mon existence de chasseur que j'ai fait les chasses au renard les plus jolies, les plus captivantes et aussi les plus fructueuses.

Une saison, dans un petit secteur boisé très restreint, où je ne convoquais à ces chasses que cinq ou six chasseurs de la commune, très épris de la chasse au chien courant et connaissant parfaitement les passages, nous avons fait douze sorties (où nous n'avons attaqué qu'un animal chaque fois, parce que la poursuite avait été longue). Nous avons tué onze renards à la randonnée devant les chiens et pris le douzième au terrier, après l'avoir vigoureusement chassé.

Certains avaient même effectué de lointains débuchers. S'ils n'avaient pas été bousculés, ils ne seraient peut-être pas revenus, ou auraient peut-être trouvé un terrier ou un caniveau pour s'y cacher.

J'ai souvent remarqué que, si un renard n'est pas lancé tout près de son terrier, ou s'il n'a pas l'idée de s'y mettre tout de suite, plus il est mené vite, moins il a de tendance à se terrer. Après un certain temps de chasse rapide, il hésite beaucoup à aller au terrier. Il est essoufflé et sait très bien qu'il y étoufferait. Un jour où mes chiens avaient chassé vivement un renard pendant trois heures, l'animal se terra. Mais, cinq minutes plus tard, il ressortait de lui-même de son trou où il ne pouvait plus respirer. Lorsqu'on le tua, il était raide comme un animal forcé.

Et puis, dans le fond, chiens vites ou chiens lents, c'est surtout une affaire de goût. Mais je crois que tous les vrais mordus aiment que ça barde.

Tenez, supposez que vous voyiez jouer la même pièce de théâtre par deux troupes différentes : l'une de mazettes qui hésitent, qui ne savent pas leur rôle ou le récitent bêtement : vous bâillerez, vous aurez envie de quitter la salle ; l'autre de grandes vedettes qui incarnent magistralement leurs personnages : vous êtes pris, vous êtes empoignés, vous vibrez, parce que vous vivez le drame ou la comédie. Eh bien ! les chiens lents et traînards sont pour moi ces déplorables acteurs qui ne savent pas leur rôle, qui gâchent la pièce à grand spectacle et vous gâtent le plaisir.

Avec des chiens lents, j'ai l'impression que j'ai envie de bâiller ! Ça traîne, ça traîne, et cela n'aboutit à rien.

Avec des chiens bien allants, requérants, débrouillards et vites, c'est de la chasse palpitante, ce sont des élans, ce sont des joies et des émotions incomparables pour tous ceux qui ont l'effroyable passion du chien courant.

Paul DAUBIGNÉ.

Le Chasseur Français N°663 Mai 1952 Page 274