Accueil  > Années 1952  > N°663 Mai 1952  > Page 278 Tous droits réservés

La carpe en étang

La pêche au pain.

Tous les pêcheurs n'apprécient pas à sa valeur la pêche en étang ; certains la trouvent monotone, insipide, et prétextent que l'on n'y prend, le plus souvent, que des carpillons ou des tanchettes insignifiantes, au goût de vase prononcé. Je ne suis pas de cet avis et j'estime, qu'une douce matinée de printemps au bord d'un bel étang ombragé est le remède souverain au souci des affaires, par son calme reposant.

La réussite de la pêche en étang dépend surtout de la place adoptée. Si celle-ci est bien abritée du vent, que le fond, devant vous, se trouve assez creux, à peu près exempt de vase et que des arbres vous abritent de leur ombre, vous êtes bien près d'avoir réuni les meilleures conditions requises pour faire bonne pêche.

Le vent est l'ennemi numéro un, surtout quand il vient de face. Il ramène constamment fil et flotteur vers le bord ; le tremblotement du second et les oscillations du premier se répercutent jusqu'aux esches dont les vibrations anormales inquiètent les carpes. La profondeur est utile, parce que les poissons adultes n'approchent pas volontiers de la berge, pendant le jour, là où il n'y a que quelques décimètres d'eau. Si la couche de vase est épaisse, les amorces et appâts s'y enlisent. Enfin l'ombre protectrice des arbres diminue, dans une large mesure, la visibilité du pêcheur et de ses engins.

Je sais fort bien qu'à défaut de l'endroit idéal pour établir son coup on peut en créer un de toutes pièces quand latitude vous en est donnée. Il n'est pas très difficile de couper très près du fond les joncs ou roseaux qui l'encombrent, à l'aide d'un goyard tranchant fixé au bout d'une perche de 2 ou 3 mètres ; il est de même assez aisé de retirer algues ou mousse avec un râteau, à long manche ; on peut enlever la vase sur plusieurs mètres carrés à l'aide d'une petite drague à main faite d'une vieille boîte à biscuits. Il n'est même pas impossible d'établir un fond artificiel de quelques mètres carrés, en immergeant, côte à côte, des mottes de gazon ras, de façon à former un tapis continu et résistant, sur lequel reposeront les esches, sans crainte de les y voir disparaître. Il ne faut pas hésiter à employer ces moyens radicaux quand on ne peut faire autrement, mais ils ont un inconvénient assez ennuyeux, c'est qu'il faudra ensuite attendre un temps plus ou moins long avant que le poisson, habitué au changement d'aspect des lieux, consente à y revenir. Supposons, maintenant, ces conditions remplies.

Dans la plupart des étangs, il ne faut pas compter sur la touche de ces carpes monstrueuses qu'on rencontre parfois dans les fleuves et les profondes rivières. Ces pièces d'eau, exploitées industriellement, sont destinées à produire la « carpe marchande » du poids de 1 à 2 kilogrammes. Il n'est donc pas nécessaire d'employer un matériel aussi robuste et aussi lourd qu'en eau libre. Une bonne canne de 5 à 6 mètres, en roseau ligaturé ou en bambou noir léger, fera fort bien notre affaire. Nous la munirons d'anneaux de laiton et d'un moulinet ordinaire capable de contenir 40 mètres de soie imperméabilisée, grosseur G. Le bas de ligne sera en nylon 24/100 (résistance 2kg.), de 3m,50 environ de longueur. À son extrémité sera empilé un hameçon carré, bronzé, du n°7 ou 6. Comme flotte, une forte plume-tempête ou un bouchon dit « anglais » de dimension réduite, que l'on équilibrera par une série de petits plombs commençant à 0m,30 de l'hameçon et égrenés sur 0m,40 environ. Le poids total de cette plombée doit être calculé pour rendre la flotte très sensible. Les matières nutritives qu'accepte la carpe sont nombreuses et, parmi elles, surtout en eau dormante, le pain se place au premier rang : vous vous en êtes certainement rendu compte quand vous avez vu avec quel empressement accourent celles des bassins des jardins publics lorsque les enfants qui se promènent sur leurs bords lancent à l'eau des fragments de brioche ou de michons. Nous emploierons donc le pain pour essayer de capturer les plus belles carpes de notre étang ; mais il y a la manière.

La première chose à faire est de les habituer à venir à l'endroit choisi par nous et, pour cela, il n'est rien de meilleur que d'y déposer chaque soir, pendant plusieurs jours consécutifs, des fragments de pain trempé et essoré, jetés en éventail sur notre coup. L'absence de tout courant fera qu'ils couleront aussitôt et resteront sur le fond, là même où ils sont tombés. La veille du jour de pêche, l'amorçage sera réduit.

Le lendemain matin, de bonne heure, nous arriverons en catimini, pour nous installer sans bruit, munis de tout notre matériel. Au fer de notre hameçon, nous fixerons un morceau de mie de pain frais en le traversant de part en part et en faisant légèrement saillir le dard du côté opposé à l'entrée. Nous en presserons l'extrémité supérieure sur la palette, mais là seulement. Ainsi fixé, il tiendra assez pour supporter plusieurs jets, qui, d'ailleurs, seront les moins nombreux possible ... Lui donner la forme et la grosseur d'une olive permettra aux carpes à partir de 500 grammes de l'avaler avec facilité. Cette esche sera descendue sur le fond s'il est propret, ou restera à 5 centimètres au-dessus en cas contraire. Il en sera de même si nous employons un cube de pain rassis de la grosseur d'un dé, pris tout près de la croûte, ou un fragment de pain d'épice un peu grossier que nous arrondirons sur les angles.

On peut également pétrir de la mie chaude avec du miel et la rouler sur de la poudre de chènevis moulu, laquelle sera maintenue au fond. La touche de la carpe, sur le pain, est franche et peu hésitante. Quelques légères oscillations, et le flotteur part délibérément au large. Laisser filer un mètre ou deux et ferrer nettement, sans raideur. Les lèvres de la carpe sont solides, et le nylon l'est aussi. La lutte est donc loyale et se fait de la façon habituelle ; elle n'a rien de commun avec celle que doit soutenir le pêcheur avec les monstres des grands fleuves. Néanmoins, il est prudent d'avoir une bonne épuisette à portée de la main.

R. PORTIER.

Le Chasseur Français N°663 Mai 1952 Page 278