Comme toutes les espèces de clupéidés, l'alose est un
poisson marin, mais c'est le seul de la famille à fréquenter, pour se
reproduire, nos eaux fluviales françaises. Il existe toutefois en Europe, et
plus exactement en Italie, dans le lac de Côme, une petite alose qui passe
toute sa vie en eau douce : c'est l'agone. Mais l'agone était, il y a des
millénaires, un poisson marin, une alose remontant les eaux douces et qui, à la
suite d'accidents géologiques tels que la création brutale d'un obstacle
infranchissable sur le cours de l'émissaire du lac, s'est trouvée isolée de la
mer, tout comme le blège, saumon d'eau douce de Norvège isolé de la même façon
dans les lacs nordiques, a pu arriver à mûrir ses produits génitaux et à se
reproduire sans être revenu à la mer. Mais agone et blège sont des poissons
nains et de taille très petite comparés aux espèces marines originelles.
Laissons donc l'agone de côté, race d'alose sans intérêt pour nos eaux
françaises.
Les clupéidés forment une famille très homogène groupant
des espèces très voisines et dont font partie le hareng, la sardine et le
sprat, ainsi que l'alose. Les clupéidés sont des poissons à corps oblong, à
grandes écailles argentées se détachant facilement et portant sur le ventre une
carène d'écailles. La forme générale extérieure est celle du gardon ou de la
brème, avec une nageoire anale longue et une caudale fourchue.
Le genre alose comprend trois espèces : la grande
alose, ou alose franche, l'alose feinte, ou gate, et l'alose du Rhône, ou paralose.
Ces trois espèces ont des mœurs potamotoques, c'est-à-dire qu'elles grossissent
en mer pour venir se reproduire en eau douce et y passer les premiers mois de
leur vie. Le cycle vital comporte donc quatre parties très distinctes :
1° L'alose dépose ses œufs en eau douce en pleine eau, où ils éclosent au printemps.
2° La petite alose descend vers la mer à l'automne, ou quelquefois seulement l'automne
suivant, c'est-à-dire qu'elle reste alors un an et demi en eau douce.
3° Elle reste ensuite deux ou trois ans en mer, où elle effectue sa croissance.
4° Elle remonte dans les fleuves et pond en eau douce.
L'alose fréquente tous nos grands fleuves de France :
les cours d'eau du Nord et de la Manche reçoivent sa visite ; elle remonte
la Seine jusqu'au barrage de Poses ; elle est abondante dans la Loire et,
dans la Garonne, elle remonte presque jusqu'à Toulouse ; elle fréquente
également la Dordogne. Enfin, on la capture en assez grande quantité dans
l'Adour et ses affluents, la Nive et le Luy. Elle arrive même à remonter dans
les eaux très froides comme les gaves, et on en signale des captures dans le
gave d'Oloron jusqu'à Navarrenx, dans la zone à truites.
La phase intéressante pour les pêcheurs est la montée des
reproducteurs. Cette montée est printanière et commence dès que l'eau des fleuves
à l'embouchure atteint 12° ; à mesure que la température monte, les aloses
deviennent plus nombreuses. Dans la Garonne et l'Adour, la remontée commence en
mars et, dans le Nord, en avril seulement, mais la grosse période de montée est
le moi de mai. La ponte a lieu à partir de 18° sur les frayères, dont les
emplacements sont bien connus dans chaque rivière. Les mâles sont en général
plus petits que les femelles et ils sont mûrs une année plus tôt, ce qui est
général chez la plupart des poissons. Il est assez curieux de constater que les
mâles remontent plus tôt, en saison, que les femelles. Tout comme les saumons,
les aloses ne s'alimentent guère pendant leur séjour en eau douce, qui dure de
deux à quatre mois ; aussi, une grande partie des individus meurent-ils
après la ponte, mais ceux qui remontent une deuxième ou une troisième fois sont
beaucoup plus nombreux que chez le saumon.
La fraie de l'alose est un phénomène à la fois bien et mal
connu. Elle a lieu fin mai — début juin en pleine eau, et la nuit sur des
gravières ou des sablières de faible profondeur. Les aloses s'assemblent par
troupes et sautent bruyamment ; leur fraie est aussi mouvementée que celle
des carpes. Les œufs mesurent 1mm,5 de diamètre, mais s'imbibent
d'eau rapidement et doublent vite de volume. En gros, leur taille est celle
d'œufs de brochets. Une femelle peut produire 50.000 œufs par kilogramme de son
poids. La fécondation se fait en pleine eau courante, aussi y a-t-il un certain
nombre d'œufs qui ne sont pas fécondés.
Depuis longtemps, on a essayé en France d'en faire la
fécondation artificielle. Ces opérations de fécondation artificielle ont été
réussies il y a une trentaine d'années, dans la région d'Elbeuf, mais, depuis,
on n'a jamais su reconstituer les conditions de la fécondation. Les Italiens la
font couramment au lac de Côme et les Américains la font également dans les
rivières, mais il s'agit d'espèces différentes de nos aloses. Cette
fécondation, en Amérique, se fait comme pour la truite par éjection des ovules,
fécondation par sperme de mâles et incubation des œufs dans des carafes
analogues aux carafes de Zoug. Dès que les alevins éclosent, il faut les
déverser, car on ne sait pas les nourrir. Les aloses étant en forte diminution
en France, on a cherché à les reproduire artificiellement, mais tous les essais
ont été un échec ; un espoir a été donné par les expériences de Gallois et
de Hoestbandt, qui sont arrivés à féconder artificiellement il y a deux ans
quelques aloses qui allaient frayer dans l'Ardèche. Il est très difficile
d'avoir en même temps des mâles et des femelles mûrs. En effet, souvent la
femelle ne veut pas lâcher ses œufs ou les lâche de force avec éjection de
matières sanguinolentes. Sur ce point, on est arrivé à soulever un coin du mystère :
la femelle ne veut lâcher ses œufs que la nuit, et encore à une heure bien
précise située entre deux heures et cinq heures du matin.
Il y a encore du pain sur la planche pour nos chercheurs,
car il est du plus haut intérêt de reproduire l'alose en abondance, excellent
poisson qui est en voie de raréfaction, par les pêches abusives certes, mais
surtout par les pollutions et les barrages. Ces toutes dernières années,
l'alose vient de déserter l'Adour en raison de la pollution industrielle d'une
grosse papeterie.
LARTIGUE.
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