Nous avons consacré plusieurs articles aux crustacés de nos
mers. La logique voudrait que nous parlions maintenant de leur pêche. Mais
cette pêche n'est jamais que le fait de professionnels. Surtout en Atlantique,
où l'on n'imagine guère un amateur armant un langoustier ! Moins en
Méditerranée, où la pêche, se pratiquant près du rivage, peut se faire avec une
simple barque, à condition évidemment de posséder les mêmes engins que les
professionnels : « casiers » en forme de tambours amorcés de
poisson mort ou de poulpes, filets d'« entre-maille » à grandes
mailles.
Mais la chasse sous-marine, là plus encore qu'ailleurs, est
venue tout bouleverser : désormais, on chasse la langouste comme, sur
terre, la bécasse ou la marmotte.
Du moment que le harpon des fusils à ressort a bien assez de
force pour traverser les cuirasses des crustacés, pourquoi ne chasserait-on pas
ce gibier succulent et de grand prix ? On n'a pas besoin d'être très
expert dans la connaissance des mœurs marines pour deviner que ce gibier n'a pas
la rapidité de certains poissons : les langoustes — et autres
décapodes — ne nagent pas ; elles marchent en avant sur le fond ou
sur les murailles rocheuses, ou bien elles procèdent par séries de bonds en
arrière, par de puissants coups de queue. Et, si on les a observées dans les
aquariums, on sait bien que, pratiquement, elles demeurent immobiles, proies
idéales pour le tir du chasseur.
Encore faut-il savoir où les chercher. Et là est toute la
question. On peut être remarquable chasseur sous-marin, avoir une grande
expérience de ce sport passionnant et ne jamais avoir rencontré d'autres
crustacés que crabes et crevettes, tout comme le dernier venu des estivants
barbotant près du rivage.
Mais il faut distinguer les mœurs des homards, des
langoustes et des « cigales ». Des homards, n'en parlons pas :
en Méditerranée, où fleurit la chasse sous-marine, ils sont bien moins
abondants que dans l'Océan, et, surtout, les exemplaires que l'on en a pris
sont bien trop rares pour que l'on puisse tirer de leur rencontre des
indications précises ; sans doute, ces homards s'étaient-ils écartés par
exception de leur habitat normal. Restent les langoustes et les cigales.
Pour ces dernières, quelques mots d'explication sont
nécessaires. Ce sont des crustacés décapodes et macroures (à dix pattes et à
grande queue) comme les langoustes et, cependant, bien différents. Alors que
l'on peut dire celles-ci tout en pattes, on peut dire celles-là tout en
carapace. Les pattes ne se voient guère, escamotées sous la cuirasse comme les
roues de certains jouets ; les antennes se réduisent à de petits filaments ;
les yeux, qui chez les langoustes sont portés par des pédoncules, sont ici
comme incrustés. Mais ce qui caractérise les cigales, c'est leur carapace, de
forme épaisse au bord antérieur presque rectiligne ; en somme, elles font
la transition entre les décapodes tels que les langoustes et les décapodes tels
que les crabes.
Tels sont les scyllares — c'est leur nom scientifique — inconnus
dans l'Océan, baptisés en Méditerranée de divers noms : « cigales »
parce qu'ils font entendre, quand on les sort de l'eau, une sorte de
stridulation, « pito-pito » pour évoquer ce bruit qui ressemble à un
tic tac ; « maciotta » à Nice, parce que le mot veut dire
chouette et que les scyllares le méritent ; « chambris » ou « chambre »
simplement parce que cela signifie écrevisse en provençal.
Où donc trouver ces crustacés, aussi succulents l'un que
l'autre ? ... Tout au long de l'année, il ne faut guère y songer. En
effet, ces animaux vivent trop profondément pour le chasseur sous-marin :
de 40 à 600 ou 800 mètres pour les langoustes, très approximativement. Mais, au
début de l'été, sans doute pour s'accoupler, ils se rapprochent des rivages
rocheux, mais, semble-t-il, en des zones bien déterminées, toujours assez
proches des grands fonds.
On a vu alors des langoustes tout près des côtes ; on
en a pris parfois ; un de nos amis en a même trouvé une à Nice, sous un
mètre d'eau, cachée sous un vieux panier abandonné, qu'il retourna par hasard.
Mais la présence côtière des langoustes n'est vraiment connue que depuis la
chasse sous-marine.
Le plongeur les aperçoit presque toujours à cause de leurs
antennes qui, au « tombant » des rochers, sortent de quelque
anfractuosité ; le débutant peut même prendre ces antennes pour quelque
plante ou quelque animal-plante.
Repérée, la langouste est acquise pour le chasseur : la
tirer est en effet très facile. Elle ne bouge pas ; on n'a qu'à la
harponner par côté, presque à bout portant.
Mais le plus souvent, aujourd'hui, on laisse tomber son arme
au fond pour ne se servir que de ses mains. Cependant, si l'on ne prend pas de
précautions, la main qui s'avance peut casser des antennes, et la langouste,
alors, peut s'échapper par un brusque recul.
Aussi la méthode inaugurée à Marseille par Georges Beuchat
et son équipe « Tarzan » est-elle à recommander : avancer vers
la langouste avec les deux mains libres ; remuer les doigts d'une main
juste en dessous de la langouste ; celle-ci, intriguée, envoie vers les
doigts ses antennes qui, ainsi, s'abaissent ; alors l'autre main, par un
subreptice mouvement tournant, vient coiffer la prise.
Quant aux scyllares, leur présence printanière était si bien
connue que, à Marseille, elle donne lieu, en mai, juin et juillet, à une pêche
particulière : par les nuits très calmes, en barque, avec une lampe à
réflecteur, on voit leurs yeux briller intensément par quelques mètres de fond ;
il n'est plus que de les percer d'une foëne.
Leur chasse sous-marine n'est guère une « chasse » :
plus exactement une cueillette. Il suffit de tendre la main pour les prendre,
immobiles, sur les parois et, surtout, aux plafonds rocheux de certaines
grottes privilégiées. Mais cette « cueillette » est hautement
sportive : s'aventurer sous des auvents de rochers par 5 ou 10 mètres de
fond, y chercher parfois vainement des cigales, les saisir, cela demande du
souffle et des nerfs. Le succulent gibier est si invisible, couleur de roche,
aspect de roche, dans l'ombre du rocher, que seuls peuvent le trouver ceux qui
connaissent certains coins qu'ils vont visiter à des époques bien précises.
Est-il besoin de dire que chacun conserve jalousement le
secret de ces chasses gardées ? Révélons cependant, sans préciser
davantage, le cap Roux, dans l'Esterel, et une zone à l'ouest du cap d'Ail.
Pierre DE LATIL.
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