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La sécurité à la ferme

Les visiteurs du 61e Concours général agricole, qui s'est tenu du 4 au 10 mars 1952 à la Porte de Versailles, ont pu remarquer l'ensemble présenté en liaison avec l'I.O.S.T.A. (Institut d'organisation scientifique du travail en agriculture) pour appeler leur attention sur les risques fréquents de la vie rurale et les précautions à prendre pour s'en préserver. L'utilité de cette exposition est évidente.

À la campagne, les accidents sont nombreux et souvent graves. Les secours sont rarement aussi immédiats qu'il le faudrait, car le médecin, qui n'habite pas sur place, passe en outre une grande partie de sa vie sur les routes. Il n'est donc pas facile à joindre ; l'officine du pharmacien est à 5 ou à 10 kilomètres ; trouver une ambulance pour transporter le blessé dans une clinique ou un hôpital demande du temps ; tous ces retards dans les soins à donner aggravent la situation et peuvent rendre mortelles des blessures qui ne l'étaient pas par elles-mêmes.

Il convient donc d'être particulièrement prudent et il faut bien reconnaître que la plupart des accidents pourraient être évités si les précautions nécessaires étaient prises.

La première est évidemment de posséder à la ferme même une trousse de premier secours et ... une personne apte à l'utiliser. Désinfecter une plaie, faire un pansement ou une ligature, pratiquer la respiration artificielle ne s'improvise pas, mais s'apprend ; cet enseignement est donné dans les établissements scolaires, dans les écoles ménagères et dans les dispensaires ; est-il suivi aussi assidûment et aussi attentivement qu'il le mérite ? On n'oserait l'affirmer.

Parmi les dangers les plus fréquents figurent les machines actionnées par des courroies (locomobile et batteuse, hache-paille ou coupe-racines mus par un moteur, etc.). Un foulard, un cache-nez, une blouse flottante et l'ouvrier ou l'enfant sont entraînés par la courroie. La mort en résulte habituellement. Dans l'industrie, des appareils protecteurs sont imposés par l'Inspection du travail. La surveillance de cette mesure de sécurité n'est guère possible dans l'agriculture, l'utilité de ces appareils protecteurs n'en est pas moins évidente.

Un autre danger grave est constitué par les trappes qui existent fréquemment dans les greniers et les fenils, dissimulées sous le foin ou la paille. Parfois elles restent ouvertes, d'autres fois elles sont fermées, mais vermoulues, et cèdent sous le pas ; l'accident est toujours grave, souvent mortel, et pourtant facile à éviter.

Bien des échelles sont en mauvais état ; il peut leur manquer des barreaux ou, ce qui est peut-être encore plus grave, des barreaux sont pourris, quand ce ne sont pas les montants. La chute est inévitable. Faut-il rappeler que les échelles en bois se conservent à l'abri de l'humidité ? Il arrive aussi que l'échelle soit trop courte et alors la tentation est double : la dresser presque verticalement ou la placer sur un support généralement en équilibre instable et insuffisant. On peut même cumuler les deux fautes. Cette acrobatie réussira un certain nombre de fois et puis, un jour, elle ne réussira pas ...

Le tracteur est fait pour tirer une remorque ou une machine, mais non pour transporter des êtres humains sur la barre d'attelage. Il y a là un risque grave et toute chute ou perte d'équilibre expose l'imprudent à se faire écraser ou déchiqueter par l'appareil tracté.

Et cette herse ? Pourquoi est-elle déposée les dents en l'air ? C'est sa position de transport, mais ce n'est pas celle de repos. Et cette fourche et ce croc qui traînent, prêts à embrocher le passant, et ce râteau qui se redressera brutalement et assommera à demi l'enfant qui marchera dessus, pourquoi ne sont-ils pas rangés dans le magasin aux outils ?

N'y a-t-il pas quelque part un sac d'arséniate de chaux qu'on a oublié de mettre sous clef, ou une bonbonne d'acide sulfurique ? Combien d'accidents causent chaque année les escaliers démunis de main courante, disjoints ou trop raides ! Le puits est-il bien obturé ?

Combien de fois ne voit-on pas le conducteur du tracteur en remplir le réservoir à essence sans avoir au préalable éteint sa cigarette ! Il se rit des conseils de prudence qui lui sont donnés ; l'explosion se produira un jour cependant et, ce jour-là, il ne rira plus ; les autres victimes ne riront pas non plus.

Les « baladeuses » électriques sont une cause de danger d'autant plus grand qu'on les emploie souvent pour travailler dans les endroits humides : fosses, caves, etc. En pareil cas, le simple courant de 110 volts peut être mortel. Que penser du 220 volts, si répandu dans les campagnes ? L'isolement de ces baladeuses est généralement suffisant quand elles sont neuves, mais l'usure est rapide et il importe de surveiller attentivement leur bon état.

Bien d'autres exemples pourraient être trouvés et un souci constant des mesures de sécurité à prendre éviterait d'invoquer une « fatalité » qui mérite le plus souvent les noms de négligence et d'imprudence. La presque totalité des accidents causés par les « choses » pourraient être évités, et même la plupart de ceux qui sont causés par les « animaux ». La sécurité est moindre dans ce cas, car il n'est pas toujours possible de deviner les réactions d'un être vivant. Bien des ruades, bien des coups de corne pourraient cependant être évités.

Quelques-unes des précautions à prendre sont génératrices de frais ; ils sont bien minimes auprès du profit assuré par la sécurité et, quand bien même il n'y aurait pas d'accidents à craindre (ou quand bien même on se refuserait à envisager cette hypothèse), il y aurait intérêt à avoir des échelles en bon état, des escaliers commodes, des baladeuses soigneusement isolées, etc. Le rendement de la main-d'œuvre serait accru par le sentiment de sécurité et par les commodités d'utilisation du matériel. Le facteur « humain » joue ici dans le même sens que l'intérêt de l'exploitant.

R. GRANDMOTTET,

Ingénieur agricole.

Le Chasseur Français N°663 Mai 1952 Page 294