La chasse qui s'achève, au moment où j'écris ces lignes,
m'amène à consacrer cette chronique aux râles, très abondants, en cette
période, sur les marais. C'est, en effet, en ce moment où la chasse va fermer,
tandis que les bécassines, farouches, ne sont pas toujours d'humeur à se
laisser approcher à bonne portée et que les canards vont par couples,
préoccupés par leur instinct de reproduction, que les râles sont un bon appoint
pour le chasseur qui, s'il a un chien rompu à cette chasse, peut passer des heures
agréables sans fatigue et avec la certitude de ne point rentrer bredouille.
Car, si le râle est un oiseau difficile à mettre à l'essor, il est, par contre,
des plus faciles à abattre.
C'est surtout à cette époque de la repasse qu'on en trouve
le plus. Tous les marais en recèlent quelques-uns, mais il en est qui sont plus
favorisés que d'autres et où ils s'abattent en plus grand nombre qu'ailleurs.
On peut alors faire de bonnes chasses; et tuer sans peine, en quelques heures,
une demi-douzaine d'oiseaux, ce qui n'est pas mal, eu égard à la difficulté de
les faire lever.
Nous avons chez nous trois sortes de râles, mais, au point
de vue gibier d'eau, seuls deux d'entre eux peuvent être considérés comme tels :
le râle commun à bec rouge et le râle marouette, le troisième, le râle des
genêts, n'étant pas à proprement parler, bien qu'on l'y rencontre par hasard et
qu'on lui ait reconnu parfois, à tort ou à raison — plutôt à tort,
avouons-le, — cette qualité, un oiseau de marais.
Le râle commun, appelé aussi râle rouge ou bec rouge, en
raison de la couleur de son bec, est, comme ses congénères, un échassier
coureur, assez haut sur pattes, au corps allongé et aplati, ce qui lui permet
de se faufiler avec une grande facilité à travers le fouillis des joncs, des
roseaux et de la végétation toujours très dense du marais. Brun foncé sur le
dos, gris au poitrail, la tête fine et l'œil vif, il est orné d'un long bec à
la teinte de corail qui rehausse sa livrée un peu terne.
Le râle marouette, lui, ou, tout simplement, la marouette,
est un peu plus petit que le précédent et n'a pas tout à fait la même allure.
Il paraît un peu plus ramassé, quoique ayant, lui aussi, un corps aplati, mais
bien moins que le rouge. Son bec, vert et jaune, est bien plus court, son
plumage brun verdâtre sur le dos avec des taches sombres et moucheté de blanc
sur les ailes ; la poitrine et le ventre sont gris et les pattes vertes.
Nous les trouvons tous deux, comme tous les migrateurs dont
ils font partie, à l'automne et au printemps, plus ou moins abondants mais, en
général, toujours solitaires semble-t-il, car il est rare d'en lever plusieurs
ensemble. C'est là, d'ailleurs, le propre de ces oiseaux et l'on ne peut courir
deux râles à la fois. Il est déjà assez difficile d'en lever un, et c'est là le
travail du chien. Un rude travail, croyez-le, pour lequel on a besoin d'avoir
un chien ardent, énergique, tenace et, au surplus, ayant un très bon nez. Car,
au marais, les odeurs sont fortes et multiples : odeur de la vase;
émanations des eaux stagnantes, odeur des diverses plantes aquatiques et aussi
des bêtes qui s'y cachent, notamment des rats. Le chien doit donc déceler parmi
elles, celle de l'oiseau de chasse et la suivre aussi bien dans l'eau que sur
la terre ferme et la vase. C'est qu'il a affaire à forte partie. Le râle, peu
confiant en ses qualités de vol qui sont très médiocres, ne se lève que quand
il ne peut plus faire autrement et quand le chien le serre de trop près. Ses
moyens de défense consistent uniquement en fuite à pattes, crochets, plongeons
même, destinés à dérouter et lasser son poursuivant. Il passe partout, se
faufilant comme un rat, s'arrête, repart, tourne autour des touffes, les
traverse ; le chien le suit, arrête, court, saute par-dessus les joncs. Ce
n'est certes pas là une bonne école pour un chien d'arrêt, surtout quand il est
jeune, car il est tenté de poursuivre et de bourrer. Le meilleur chien pour
cette chasse est le cocker. Par son allure vive, rapide, grouillante, endiablée
même, ne tenant pas l'arrêt ferme, ce chien, quand il a un bon nez, est le
meilleur auxiliaire pour la poursuite du râle ; car celui-ci n'a guère le
temps de s'amuser devant lui comme devant un chien d'arrêt, qui, par ses arrêts
successifs, lui laissera tout le temps de souffler et de se remettre, puis de filer
de plus belle devant son nez. Il est des corniauds qui s'entendent à merveille
à débusquer les oiseaux des grandes touffes de joncs, des fossés encombrés de
roseaux ou des grandes herbes du marais, et les poussent comme des lapins,
certains même donnant quelques coups de voix lorsqu'ils sentent l'oiseau tout
près. Le chasseur, lui, n'a qu'à attendre patiemment et avec calme, l'arme
prête, l'envol de l'oiseau. Alors, sans se presser, car le gibier part la
plupart du temps à quelques mètres seulement, un coup de fine grenaille — du
10 ou du 11 suffit — le culbutera facilement. Le râle est, en effet,
immanquable, partant de près et lentement, laissant pendre ses longues pattes
et volant droit et à hauteur d'homme, sauf par grand vent où il se laisse parfois
emporter comme une feuille morte. Si, par hasard, il est manqué, il ne va
généralement pas bien loin, une centaine de mètres tout au plus, mais alors
plus difficile à lever que la première fois. Si, enfin, et pour comble de
malchance pour le chasseur, il se sauve encore lors de sa deuxième envolée, il
sera alors à peu près impossible de le remettre sur l'aile et il vaudra mieux
en chercher un autre, quitte à revenir une heure après aux alentours de
l'endroit où il s'est posé et où l'on pourra, peut-être, s'il est remis de ses
émotions et décidé à recommencer le petit jeu, le faire lever une autre fois.
C'est vraiment une chasse amusante et fructueuse. En
outre, un rôti de râles, surtout de marouettes, n'est pas à dédaigner. Car, si
le râle commun à bec rouge est plutôt quelconque au point de vue culinaire, la
marouette est, elle, un délicieux morceau à condition de la manger très
fraîche. J'ai eu, récemment, l'occasion d'en déguster quelques-unes tuées ces
derniers jours, en même temps que quelques bécassines, et, ma foi, elles ont
fort bien supporté la comparaison avec ces dernières, ce qui n'est pas peu
dire.
Que les chasseurs nouveaux venus au marais ne dédaignent
donc pas les râles. S'ils ont la chance d'avoir un chien qui veuille se mettre
à cette chasse, ils y trouveront, je les en assure, un aimable délassement
plein d'agréments et de ressources.
Pour terminer, disons quelques mots du râle des genêts,
appelé aussi roi de cailles, quoiqu'il n'ait aucune ressemblance avec cet
oiseau. C'est, lui aussi, un échassier de la famille des rallidés, alors que la
caille est un gallinacé. Mais comme il effectue sa migration en même temps que
celle-ci, là est peut-être la cause de cette appellation.
Légèrement plus gros que le râle d'eau, il a exactement la
même conformation que lui : haut sur pattes, le corps allongé et aplati,
le cou assez long et les mêmes moyens de défense, Son plumage est brun roux
avec quelques reflets dorés, et quelques mouchetures foncées comme la caille.
On le trouve surtout en septembre, dans les prairies humides et herbues, les
trèfles, les luzernes, et c'est surtout un hôte des lieux bas. Il n'empêche
qu'on peut le rencontrer en des endroits très secs et imprévus, et j'ai
souvenance de l'un d'eux, tué, il y a deux ans, en pleine garrigue, dans les
pierrailles et les chênes kermès. Ce n'est donc pas à proprement parler un
oiseau de marais ; mais il s'y rencontre quelquefois en bordure, quoique
ce ne soit pas son habitat accoutumé. Cependant je me souviens avoir lu, dans
le temps, une chronique relatant un jugement qui, à la suite de poursuites
contre un chasseur, avait relaxé ce dernier en déclarant le râle des genêts
gibier de marais. Mais cette décision n'a qu'une valeur d'espèce et toute
relative, qui ne peut conférer à l'oiseau une qualité que semblent ne pas lui
donner les ornithologistes. Il est parfois, avouons-le, des décisions de
justice un peu tirées par les cheveux, et qui ne sont pas susceptibles de faire
jurisprudence.
Le râle de genêts est lui aussi, en général, un solitaire,
et il faut des lieux exceptionnellement propices et des passages anormaux pour
en tuer plusieurs au même endroit. On peut dire qu'il est un gibier d'occasion,
souvent inattendu, et dont la surprise est toujours agréable. C'est, comme son
cousin des marais, un coureur forcené et aussi difficile à mettre au vol que
lui ; mais il n'a pas, comme ce dernier, parmi ses ressources défensives,
celle du plongeon, puisqu'il n'est jamais dans l'eau. Son tir est aussi facile,
et point n'est besoin de gros plomb pour l'abattre. Quant à sa chair, elle
procure un succulent rôti qui n'a, en général, que le défaut d'être trop petit,
car il est rare que l'on puisse en apporter plusieurs à la fois dans le plat.
Et c'est dommage, car, si l'on ne chasse pas uniquement pour la cuisine, il
n'est certes pas désagréable, à l'occasion, de déguster un mets de choix et de
compléter les joies saines et profondes de la chasse par celles, peut-être plus
prosaïques, mais tout de même appréciables, de la table.
FRIMAIRE.
|