À diverses reprises, j'ai signalé que le têtard constituait
une amorce de premier choix pour tous les poissons carnassiers et que sa
vitalité lui conférait une bonne place parmi les « vifs ».
Piqué par la queue sur un hameçon fin de fer, au bout d'un
nylon 18/100, il est incomparable : tous les voraces en sont friands, même
les gros.
Plus tard, à un autre stade de sa métamorphose, le dernier,
il nous rendra encore d'inappréciables services ; la grenouille est
l'appât idéal pour le black-bass et, de plus, fort appréciée par le brochet.
J'eus l'idée de l'employer pour celui-ci, lorsque je vis, un
jour d'été, en plein soleil, un gros Esox culbuter un trimmer pour s'emparer de
la grenouille qui sa prélassait dessus. C'était une grosse, pourtant, mais Esox
était un fort gaillard aussi et il l'eut vite engloutie.
Malheureusement pour lui, ce fut son dernier repas.
Lors de la recherche du black-bass, j'eus plusieurs fois
l'occasion d'assister à des « chasses » sur des batraciens assez
volumineux que la vorace perche noire attrapait par les pattes, le plus souvent
par une seule. Inutile de dire que, s'il lâchait sa proie pour s'assurer une
meilleure prise, c'était une fuite éperdue pour le fouillis tout proche.
Je pensai qu'une toute petite grenouille eût été avalée plus
aisément, et, fouillant le déversoir d'un étang, je récoltai les plus petits
échantillons de la gent coassante et les emportai dans une bouteille à large
col.
Arrivé au bord de mon lieu de prédilection, je cherchai à
repérer un black-bass, ce qui ne tarda pas. Je fixai une petite grenouille par
la peau du dos à un hameçon n°12 et la posai délicatement près du pirate, fil
tendu.
La grenouille n'eut pas plus tôt touché l'eau qu'elle
détendit ses grandes pattes pour s'enfuir vers le fond : le drame fut rapide,
le dénouement aussi, et je cueillis à l'épuisette un beau poisson de 800
grammes.
Mais on n'a pas toujours un « beau poisson » près
du bord ; on en voit plus au large, et il faut lancer pour les tenter.
Le fil n'est plus aussi tendu, moins contrôlable, et la
grenouille plonge dès son contact avec l'eau : voilà l'écueil ;
devant être considérée, à juste titre, comme un appât de surface, il faut
qu'elle y reste.
C'est alors que j'utilisai le « buldo ». Je fixai,
en avant ou en arrière de la boule, un avançon en nylon de 10 centimètres
environ et accrochai ma grenouille. Lançant le tout, j'eus le plaisir de
constater que les évolutions de mon batracien étaient freinées en profondeur
par la boule de cellulo et que les sautillements du flotteur n'effrayaient
absolument pas le black-bass.
Je fis mieux : j'employai un bouchon de liège non
plombé et le résultat ne se trouva pas modifié.
Et voilà un nouvel appât fort attirant à notre disposition.
Un de mes correspondants me fait part de ses déboires en déclarant que la
grenouille entraîne tout, qu'elle est trop grosse, qu'elle effraie le
black-bass au lieu de l'attirer, etc.
Auriez-vous l'idée de pêcher le goujon avec un gros lombric
pour anguilles ? Non ! ... Tout est relatif : cherchons
donc de petites grenouilles, il n'en manque pas dans les mares, même les plus
minuscules, dans les fossés herbeux, dans les prés humides. De bon matin, vous
en ferez une belle provision.
J'ai écrit, tout à l'heure, que je fixai l'appât par la peau
du dos ; l'opération n'est faisable qu'en péchant avec une longue canne
qui permet de « poser » l'appât et non de le lancer. Dans ce dernier
cas, il faut procéder différemment.
Fixez sur un nylon 18/100, par exempte, deux hameçons nos
10 à 12, l'un à la suite de l'autre, et placez la monture comme l'indique la
figure : un hameçon piqué dans la lèvre supérieure et l'autre à
l'extrémité du corps. C'est le premier qui supportera l'effort du lancer et,
comme il aura une prise solide, il ne déchirera pas la peau de l'appât ;
l'autre ne servira que pour mieux armer la bestiole.
Mais il est bien évident que toute autre monture, quelles
que soient sa conception et sa forme, peut être utilisée.
Nous éviterons le lancer brutal qui endommagerait l'appât :
c'est bien le cas d'employer le fameux lancer « devant soi », si
précis en direction ; cette précision est tellement nécessaire quand on
opère dans un cours d'eau ou un étang herbeux : les bonnes places y sont
rares et vous connaissez l'axiome halieutique : les bons coups sont les
plus difficiles à pêcher.
Si, un jour, vous avez la curiosité de vous rendre compte, de
visu, de l'attirance exercée par la petite grenouille sur le black-bass,
procédez ainsi.
Enfermez une de ces bestioles dans un tube de cellulo
transparent, comme ceux où on place la brosse à dents : bouchez-le
hermétiquement et lancez-le près d'un bass en chasse.
Vous verrez avec quel entrain il essaiera de saisir la
grenouille affolée par son voisinage. Il est même probable que, s'il est assez
gros, il emportera le tout — contenu et contenant : j'ai fait
constater le cas dernièrement à un sceptique.
D'ailleurs, ce procédé est employé dans la pêche des « blancs »
au buldo, lequel est remplacé par une petite bouteille (ou un étui de cellulo
assez lourd), dans laquelle on a enfermé des fourmis ailées, ou des mouches ou
des sauterelles bien vivantes.
Les chevesnes, vandoises, ablettes viennent voir ces appâts
qu'ils ne peuvent atteindre et se rabattent sur ceux, saisissables, qui pendent
aux avançons.
Et j'ajoute : je n'avance jamais rien que je n'aie
contrôlé ou expérimenté.
Qu'en coûte-t-il d'essayer ? Si on craint d'être
plaisanté, on attend d'être seul Il faut toujours penser : on perd plus de
temps dans la routine que dans l'expérience d'une nouveauté.
Et, maintenant, en chasse aux grenouilles et, si vous
trouvez le moyen — ou plutôt si cela vous est possible — faites-en
une provision pour l'hiver : messire Brochet en est aussi friand et il
vous récompensera de votre prévoyance. Réservez-lui les gros spécimens, sa
gueule immense lui permettra de leur offrir un vaste, sinon confortable, asile.
Marcel LAPOURRÉ,
Délégué du Fishing-Club de France.
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