La journée avait bien mal débuté. La partie de chasse
sous-marine devait commencer vers six heures et demie. Tout paraissait
favorable au chasseur : le ciel très bleu déjà et l'horizon brumeux
présageaient une chaude journée, une houle d'est très légère, qui ourlait la
mer d'écume blanche le long des rochers dorés, permettait d'espérer un gibier
nombreux et peu farouche.
Et, pourtant, ce ne fut qu'à huit heures, alors que le soleil
était déjà haut, que Marc arriva sur la plage. Au moment du départ, un « sandow »
avait montré de profondes crevasses, une vis était cassée au ras du métal de
l'arbalète. La réparation avait été longue pour l'enragé chasseur.
Enfin il arriva à la petite calanque qu'il avait choisie
comme point de départ. Vite, assis dans l'eau tiède dont les vaguelettes
clapotaient contre son corps bronzé, il chaussa les longues palmes grises.
Rinçant rapidement son masque dans l'eau claire, il se l'appliqua sur le visage
après une légère inspiration, puis il passa la bande de serrage derrière la
tête. Après avoir glissé le tube coudé du « respirateur » de matière
plastique sous cette bande, il mordit l'embout de caoutchouc bleu et souffla
pour s'assurer du bon fonctionnement de l'appareil. Le fusil enfin armé,
l'accroche-poisson à la ceinture, le jeune homme se laissa glisser dans l'eau,
dont il reçut avec un frisson voluptueux la douce caresse.
Comme chaque fois, malgré sa longue habitude de cette
chasse, il fut saisi par l'étrangeté du monde sous-marin : algues
balancées par la houle, rochers fleuris de mousses aux formes bizarres, petits
poissons aux vives couleurs nullement effrayés. Mais, bientôt, il ne fut plus
que le chasseur ardent d'un gibier méfiant — trop méfiant, — singulièrement
agile.
Ses palmes doucement agitées le firent avancer lentement,
sans bruit. Ses poumons s'étaient habitués au tube du respirateur, et sa
respiration s'était régularisée. Sa main droite serrait la poignée-pistolet de
l'arbalète et son index s'impatientait déjà sur la détente.
De nombreuses calanques tourmentaient la côte, et l'eau
profonde était bordée de roches aux pointes aiguës.
Marc n'était dans l'eau que depuis quelques minutes quand il
aperçut un beau loup qui disparut dans une étroite crique de rochers
blanchâtres ponctués des taches noires et brunes des oursins. Il pénétra à son
tour dans la crique, le cœur battant. Le loup était là, contre un rocher lisse,
dans un fond de trois mètres, le museau noir, arrondi, tourné vers le large,
les nageoires frémissant légèrement ; l'œil de gauche, tout rond, le regardait.
Les muscles de Marc se tendirent, sa gorge se serra.
— « Il » fait plus d'un kilo certainement !
Le corps du jeune homme se cassa à angle droit, la tête
disparut sans bruit, le tronc bascula souplement. Marc fila vers le poisson, le
dos arqué. Il tenait le poisson à moins d'un mètre. Le doigt appuya
nerveusement sur la détente, et la flèche, libérée, partit ...
Le bruit de la pointe d'acier contre le rocher sonore,
l'ombre rapide du poisson qui passa sous lui à le toucher lui firent serrer les
dents sur le caoutchouc du tube. La précipitation lui avait fait manquer une
occasion unique. D'un ciseau rapide des jambes, il se propulsa vers sa flèche,
rai brillant au fond de l'eau. Relevant la tête, il vit la surface de la mer comme
un rideau mouvant au-dessus de lui. Il remonta comme un trait ; l'eau bruissait
à ses oreilles. Il chassa brusquement l'eau contenue dans le respirateur. La
poignée-pistolet contre la hanche, il arma rageusement son fusil, maugréant
contre le poisson, contre sa malencontreuse nervosité. Rechercher le poisson était
inutile, il ne lui restait plus qu’à continuer son chemin.
Mais alors la mer devint déserte. Plus un poisson, si ne
n'est des labres verts vite disparus sous des pierres et dont le poids trop
faible et la chair un peu grasse ne tentaient pas le fusil de Marc.
Une heure passa et l'accroche-poisson restait obstinément
vide. Marc, découragé, se dirigea vers le bord pour s'en retourner à pied.
Quand, tout à coup, entre un éboulis et une muraille rocheuse, une ombre noire,
monstrueuse, étonnamment rapide, passa. Elle disparut dans un trou. Un mérou ...
Le cœur de Marc battit la générale. Le trou noir s'ouvrait
sous lui à huit mètres environ. Un peu de sable noirâtre s'étalait devant
l'antre du « monstre ».
Marc-respira longuement, essaya de ralentir les battements
de son cœur. Et il plongea. Ses pieds battirent rageusement l'eau. Une forte
pression plaqua le masque contre son visage, ses oreilles tintèrent. Il arriva
près du trou, vit dans la pénombre le poisson, qui lentement battait des
nageoires. Marc tira au jugé et remonta, la poitrine écrasée par l'air
comprimé. Son filin n'avait que six mètres. Il lâcha son fusil et arriva à la
surface. Sa respiration retrouvée, il regarda sous lui : son arme bleuâtre
se balançait, verticale, animée par de brusques secousses. La tête était bien
harponnée.
Marc fut alors plus calme. Il plongea à nouveau. La flèche
dépassait du trou noir plein de boue noirâtre, soulevée par les violents coups
de queue du poisson. Il la saisit ; s'arc-boutant contre le rocher, il
tira. Mais le poisson s'était comme encastré dans le rocher. Marc dut remonter.
Deux fois, il plongea et, quand il émergea la deuxième fois, il tenait à la
main sa flèche qu'il avait arrachée du mérou solidement fixé par toutes ses nageoires
et sa puissante queue aux murailles rugueuses de son trou.
Marc s'enfonça à nouveau sous l'eau. Son bras tout entier
disparut dans la grotte, puis la tête et les épaules. Notre chasseur sentit
vaguement un corps élastique au bout de sa flèche et appuya sur la détente. Une
brusque secousse du filin de nylon lui apprit qu'il avait touché à nouveau
l'énorme poisson.
Mais il lui sembla qu'il ne pourrait plus sortir de la
faille où son corps était à demi engagé. Il se lança en arrière, s'entaillant
profondément les doigts aux arêtes coupantes. Lâchant tout, il remonta en
s'aidant des bras. Il jaillit sur l'eau comme un bouchon, ouvrant largement la
bouche.
Il se sentait épuisé. Déroulant un morceau de filin de
réserve, il plongea et l'attacha à la poignée de son arme. Il nagea vers la
côte, relié à l'arbalète par le fil de nylon. Il s'allongea sur un rocher
lisse, et il reçut la chaude caresse du soleil du midi. Il s'assoupit ...
Quand il secoua sa torpeur, ses membres avaient repris leur
souplesse, l'eau lui apparaissait à nouveau comme une amie.
Une plongée rapide le ramena vers le trou. Quelle ne fut pas
sa surprise quand il sentit venir à lui la flèche traînant un corps lourd. Une
queue monstrueuse, puis le poisson touché — ô dieu des chasseurs sous-marins
— en plein cœur, comme il put en juger plus lard, quand, assis sur une
roche brûlante, il contemplait avec tendresse le poisson, son mérou.
Quel merveilleux poisson ! Sept à huit kilos, une tête
énorme, une gueule rouge-orange, armée de dents redoutables, tous les tons du
cuivre, du brun sur ses écailles, rehaussés de teintes vertes, mordorées.
Il l'avait enfin, son mérou ! ...
Et puis ce fut le retour triomphal, le mérou pesant lourd à
l'accroche-poisson et battant d'une claque humide et fraîche les jambes de
Marc. Ce fut l'accueil enthousiaste des amis et l'air faussement modeste du
héros.
Chez lui, il fut félicité, acclamé certes, mais moins qu'il
l'avait espéré. Se doutait-il, le pauvre garçon, que la ménagère cherchait déjà
le plat où elle pourrait faire cuire une telle pêche ! ...
A. R ...
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