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Sus au grand développement !

Une offensive a été déclenchée, il y a quelques mois, contre l'emploi d'une trop grande multiplication par les jeunes coureurs.

C'étaient les pouvoirs sportifs qui sonnaient le tocsin, approuvés par la majorité de ceux qui comprennent ce qu'est l'art de pédaler en souplesse et savent quel désordre physique amène l'usage contraire.

On alla jusqu'à envisager, tout d'abord, de fixer un plafond à ne pas crever !

On avait songé, ensuite, à la meilleure mesure d'ordre moral à prendre : éduquer les intéressés par le canal de dirigeants que l'expérience avait instruits.

La première méthode, brutale en elle-même, est d'application difficile. Elle sera, cependant, essayée dès cette année dans au moins une grande épreuve.

La seconde est à longue portée, pour autant que ceux qui entreprendront de l'expérimenter ne se lassent pas. Car l'histoire n'est pas nouvelle.

Nul n'ignore que le grand développement contracte les muscles ... qu'il use la machine humaine ... qu'il enlève tout espoir de redevenir souple ... qu'il rend maladroit ... que sa manœuvre est en opposition avec l'intelligence pratique ...

On sait tout cela, et cependant les jeunes continuent de « promener » d'énormes plateaux de 50 ou 52 enchaînés à un 14 dents ... parce qu'un jour de grâce, ou d'insignifiance de ses concurrents, X ... a gagné « avec le grand ».

Certains dirigeants recherchent trop la victoire du jour (sans se préoccuper du lendemain) parmi un lot de coureurs dont l'esthétique, l'usinage et l'amortissement n'ont aucun sens à leurs yeux ...

Courir ... gagner ... Rien d'autre ne vaut, trop souvent, alors que le sport n'est tout d'abord qu'un plaisir dans la recherche d'une santé meilleure ; la victoire en course (ou la meilleure place selon les moyens dont on dispose) étant, évidemment, le piment merveilleux à ce mets de jeunesse.

Que des sujets d'exception utilisent des moyens eux-mêmes d'exception, passe encore ... mais la masse ! Mais les anonymes qui doivent être aussi satisfaits d'une place obtenue que de la facilité avec laquelle ils l'ont conquise.

Il est vrai que le bon exemple ne fourmille point, si l'on s'en tient à observer le pédalage de ville, autant que le pédalage de course. C'est si vrai que, dans le Tour des Flandres, la plupart des coureurs mirent pied à terre dans une côte ! « J'appuie ... tu appuies ... il appuie ... » Ce verbe « marteau-pilon » se conjugue à longueur de journée, avec coups de guidon à l'appui. N'en rendons pas le dérailleur responsable. Son créateur (s'il en est un) a surtout songé à permettre aux cyclistes de monter mieux les côtes en disposant d'une petite multiplication. Le dérailleur est né par les cyclotouristes qui monteront toujours les côtes moins vite que les coureurs ... sauf ceux qui « calent ». Il a été déformé par les sans classe ...

Je connais bien ceux des grands champions qui, grâce à lui, ont endossé un maillot officiel ou gagné une gigantesque épreuve en accédant aux pics selon la formule consacrée qui consiste à « monter en dedans » ou « monter à sa main ».

D'autres : le Hollandais Schulte, pistard éternel ; l'Italien Coppi, routier ailé, pour ne puiser mes exemples qu'à l'étranger, sont des hommes à moulinet rapide.

Charles Faroux nous dira que, lorsqu'un cycliste pousse un développement exagéré, il augmente l'angle mort et amène plus vite la fatigue. Retenons-le.

Entre la vitesse de rotation et la force outrancière, trouvons une moyenne sage ...

Accélérons le rythme jusqu'au moment où, vraiment, l'on tourne dans le vide ... et nous constaterons combien il est dangereux d'appuyer ...

Le moteur d'automobile, sans être une image fidèle du moteur humain, devrait nous faire réfléchir lorsque nous l'entendons cogner ...

L'utilisation d'une trop grande multiplication est d'autant plus dangereuse qu'on ne sait pas encore quel sujet est apte à tourner plus grand qu'un autre.

Selon certains, les hommes lourds doivent tourner vite et petit ... C'est l'opinion de celui qui a beaucoup à perdre, encore que Jean-Marie Goasmat, qui pesait dans les 50 petits kilos (en pleine forme), soutenait cette thèse de son sept mètres pour monter les cols, qu'il craignait d'ailleurs de descendre ... Comme quoi il y a une justice immanente.

Le grand développement implique, enfin, une position avancée, voire de plus longues manivelles, toutes choses qui prouvent qu'on a perdu un peu la raison ...

Nous suivrons curieusement l'offensive que mèneront en fin de saison, contre les abus, les pouvoirs sportifs pris de court au printemps ...

La défensive offrira, elle aussi, un aspect non négligeable, si l'on s'en rapporte aux astuces déployées anciennement par les concurrents de la Médaille parisienne au Vél’ d'Hiv'. On y impose le 22 X 7 ou le 25 X 8 et, pour les manivelles, au moins 16,5 (car en réduisant la longueur de la manivelle au-dessous du classique 16,5 ... on gagne déjà sur la théorie, qui, dès lors, perd tous ses droits avec un diamètre de roue arrière clandestinement augmenté, ce qui est également interdit).

Je vois mal la possibilité de décompter les dents du plateau et des pignons enrobés de cambouis au départ d'un interclubs réunissant plusieurs centaines de jeunes coureurs ... ou leur imposer la mesure du plus grand développement sur une distance-étalon repérée au sol ...

Cependant je vois, aussi clairement, la nécessité d'empêcher des sujets frêles et en pleine croissance de pratiquer un exercice cycliste équivalent à une levée d'haltères impressionnants.

René CHESAL.

Le Chasseur Français N°664 Juin 1952 Page 347