Il peut paraître lassant de revenir sans cesse sur les mêmes
propos et de ne pas apporter dans chacune de ces chroniques mensuelles des
aperçus sensationnels qui bouleverseraient les conditions de la production
agricole entraînant avec l'abondance des facilités de mieux vivre. Hélas !
voici quarante années que le signataire apporte sa collaboration au Chasseur
français et, si l'on suivait attentivement la réapparition de tous les mois
de juin — au fond, la récolte des fourrages n'a eu lieu que quarante fois
depuis 1912, — on pourrait reconnaître quelques changements et discerner
une certaine évolution. Peu à peu de nouvelles acquisitions ont lieu, le
laboratoire d'une part, le machinisme d'autre part, enrichissent notre bagage,
la tradition devient plus précise et l'on a l'impression que les biens communs
à l'humanité présentent des contours plus précis. Il est même important d'être
attentif à la masse des nouveautés apparues, et l'adaptation locale, chère à
Jacques Bijault, conserve toute sa valeur malgré l'uniformité vers laquelle
notre époque paraît nous condamner.
À propos des soins d'entretien des cultures dont il était
question en mai, il est possible que des lecteurs aient eu la pensée qu'il
conviendrait d'être moins sévère à l'égard des mauvaises herbes et même que
l'on pourrait s'en accommoder sous prétexte que leur présence tend à réduire le
ravinement au sol et que les particules de terre desséchée ne s'envoleront plus
sous l'influence des vents violents.
En réalité, les appréhensions manifestées à ce sujet ne
résultent pas seulement de ce désir, qu'il faut affirmer en toute circonstance,
de conserver les sols, mais aussi de la valeur indéniable que présente un sol
couvert. En vérité, c'est la plante cultivée qui doit couvrir le sol le plus
complètement possible ; on n'insiste jamais assez sur la nécessité de bien
préparer la terre pour recevoir la semence, sur l'utilité des éléments
fertilisants que la plante issue d'une semence choisie doit rencontrer dès sa
naissance ; ainsi le végétal prend de l'avance et peut se défendre
vigoureusement ; il forme avec ses voisins un ensemble protecteur, les
tiges et les feuilles exercent une action dispersante sur les gouttes de pluie
qui tombent, le sol n'est pas frappé violemment ; n'étant pas battu, ce
sol ne croûtera pas lorsque l'effet de la pluie sera passé, infiltration et
évaporation ; ou d'action nuisible du vent sur un sol desséché.
Évidemment, il ne s'agit pas d'attendre que cette couverture voulue, calculée,
se développe toute seule dès l'instant où semailles et plantations sont
terminées. Nous voulons réserver, ainsi qu'il a été dit, eau et éléments
fertilisants pour la plante à laquelle ils doivent revenir, mais un binage
n'est pas un piochage, malgré la confusion fréquente des termes dans la
pratique. C'est donc une question d'opportunité et d'outillage.
Nous n'envisagerons pas ici la défense des terrains
consacrés aux cultures fruitières ; dans les intervalles plus ou moins
larges qui existent entre les rangées d'arbres, il y a place pour une occupation
du sol par des engrais verts, du fumier, du paillis ; l'an dernier, au
Maroc, je voyais, chez un propriétaire possédant de remarquables vergers
d'orangers, les plantes adventices abandonnées à leur croissance, mais, en
temps voulu, divisées par le crover-crop, incorporées à la couche superficielle
la protégeant encore par un matelas humifère. Il y a donc un ensemble de
techniques à mettre au point, à combiner pour le plus grand bien de la terre
conservée et de la plante cultivée.
Cela est un exemple de l'évolution des connaissances ; moins
d'absolu qu'autrefois, un adoucissement des règles, une tradition renouvelée,
enrichie, en définitive une amélioration de la production. Travaux d'entretien,
dit-on, l'expression veut sans doute dire une phase particulière dans
l'ensemble des travaux de l'année ; interprétons dans le sens entretien en
vue de la progression.
Ce sont les fourrages dont la récolte bat son plein en juin,
quelles sont les notions qui caractérisent les moments actuels ? A-t-on
réalisé des progrès sérieux ? N'appelons pas progrès en soi l'intervention
de la machine, celle-ci, sous ses diverses formes, est un moyen, moyen qui
devient de plus en plus efficient, il diminue la peine des hommes, il doit même
contribuer à réduire le prix de revient des fourrages.
La préparation des foins constitue, en définitive, un
ensemble d'opérations destinées à mettre en réserve des aliments grossiers pour
la mauvaise saison, pendant les mois plus ou moins nombreux où le fourrage vert
n'existe pas pour le bétail. Trois siècles ont vu les fourrages artificiels
venir relayer les foins de prairies naturelles, l'expansion du bétail a été
rendue possible et, entre temps les racines fourragères ont apporté leur
contingent d'aliments, grossiers, mais sous un état aqueux rappelant l'herbe
verte.
Deux progrès ont été réalisés : la reconnaissance de la
valeur du fourrage jeune, plus riche et plus digestible, condition d'abord
affirmée pour la consommation sur pied par le pâturage, puis étendue au
fourrage transformé en foin ; d'autre part, la découverte de procédés de
conservation des fourrages à l'état frais par l'ensilage. Dans les deux
directions, on constate des réalisations de plus en plus sûres. Il convient
d'ailleurs de ne pas se dissimuler les difficultés de la mise au point.
Le produit fourrager le meilleur est le produit jeune, mais
cet état très vert de plantes plus courtes se prête mal à la fenaison,
néanmoins on peut penser à ce propos aux populations des régions de l'Est, du
Massif central, qui préparent à l'automne avec un soin inlassable et une
réussite magnifique des regains précieux. Pour rentrer du foin sec, il faut
opérer rapidement et substituer aux fourches légères et aux râteaux, d'un
maniement moins simple que ne l'indiquent les apparences, un outillage mécanique
au fonctionnement accéléré. C'est peut-être là que devrait pénétrer cette
déshydratation accélérée des fourrages dont les applications commencent à
peine. Des semaines seraient gagnées et, après avoir emmagasiné des produits de
haute valeur, on obtiendrait plus tôt des regains importants pour peu que dans
les secteurs assez humides (climat, sol, irrigation) on répande rapidement des
engrais azotés assimilables.
L'ensilage se perfectionne de jour en jour ; à
l'empirisme basé sur des observations remarquables de praticiens excellents
agriculteurs, se substituent des techniques basées sur des travaux
scientifiques de plus en plus nombreux. Les deux aspects de la question se
rejoignent pour que l'agriculture dispose de sérieux éléments de réussite.
Pour revenir à une conclusion qu'il s'agira de renforcer :
le développement de la connaissance et la possession de moyens de travail
indispensables pour accroître la production.
L. BRÉTIGNIÈRE,
Ingénieur agricole.
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