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Les ennemis du bois abattu

C'est, chaque année, au retour de la belle saison, le sujet de préoccupation des propriétaires, exploitants et scieurs. Les uns et les autres, peut-être pour n'être pas assez prévenus, sont responsables sinon d'une perte de matière première, du moins d'une détérioration d'un produit aussi précieux, actuellement, que le bois.

Dès que se réchauffent l'atmosphère et le sol, la vie reprend de plus en plus activement, et, dans la forêt, certains bostryches, par exemple, sortent du sol. Les larves de certains autres, engourdies à l'intérieur des bois oubliés en forêt, achèvent rapidement leur développement et, en quelques jours ou quelques semaines, tout au plus, passent à l'état de nymphes, puis d'adultes qui s'envolent rapidement. Ils cherchent pour s'accoupler et pondre, parmi les espèces de bois à leur convenance, des pièces dans un état d'humidité propre à recevoir et abriter œufs et larves.

C'est ainsi que tout ce qui est souche fraîche, ou grume abattue pendant l'hiver, offre à toute une série d'insectes des conditions favorables à la ponte, pourvu que l'écorce n'en ait pas été enlevée. Ce revêtement protecteur, comportant beaucoup de liège, s'oppose en effet ou ralentit considérablement l'évaporation de l'eau et maintient les bois en état de réceptivité, tan au point de vue humidité que température. Pour les bois écorcés, au contraire, la dessiccation superficielle beaucoup plus rapide amène, au moins dans les années normales, les couches externes à un état que l'insecte sait déceler, et qui est défavorable, au moins, aux premiers stades de la vie larvaire.

Les pontes effectuées directement sur les grumes écorcées sont extrêmement rares et correspondent à des états particuliers de dessiccation des bois.

La plupart des parasites installés ainsi que les bois se nourrissent aux dépens des substances de réserve accumulées dans l'aubier, d'autres se nourrissent aux dépens de champignons microscopiques prospérant dans leurs galeries, aux dépens de ces mêmes réserves.

Les uns creusent leurs galeries uniquement dans ce que l'on convient d'appeler la zone cambiale comprenant la couche la plus interne de l'écorce et la couche externe de l'aubier, dans lequel certains peuvent aussi pénétrer plus profondément au moment de la nymphose.

Les autres s'installent directement dans le bois, mais ne pénètrent pas au delà de quelques centimètres de profondeur et, pour le bois à cœur bien marqué, ne franchissent jamais la limite cœur-aubier. Dans ce cas, il s'agit, le plus souvent, de chêne, la présence des parasites n'a à peu près aucune signification. S'il s'agit de hêtre ou de sapin, elle déprécie une partie du produit, peu importante il est vrai, mais qui entraîne néanmoins une perte d'argent.

La troisième catégorie, enfin, comprend des parasites pénétrant profondément même dans les grumes d'espèces à cœur bien marqué comme le chêne et provoque, au cours de périodes de recrudescence d'invasion, des dégâts considérables.

Vivent dans la zone cambiale, d'abord une forte proportion de bostryches, puis de nombreux longicornes, enfin des buprestes.

Ces « bostryches », ou, pour mieux dire, certains coléoptères de la famille des Ipidae (ou Scolytidae), apparaissent au printemps, déposent leurs œufs dans des galeries groupées en dessins assez typiques de chaque espèce. La multiplicité des galeries larvaires sur une faible surface provoque, à la fin du développement, le décollement de l'écorce. Les plus connus sont le grand bostryche de l'épicéa (Ips typographus), le bostryche curvidenté (Pityokteines curvidens) du sapin, etc. ..., s'attaquant à des résineux divers ; le grand et le petit scolyte de l'orme (Scolytus scolytus et Scolytus multistriatus), responsables du transport des spores de la grave maladie de l'orme, l'hylésine du frêne (Hylesinus fraxini), etc. ..., parasites parmi beaucoup d'autres des essences feuillues.

Les larves des longicornes, souvent appelées « gros vers », naissent d'œufs déposés dans les fissures de l'écorce. Elles sont un peu aplaties, creusent des galeries larges, plates, bourrées de sciure brun clair (mélange d'écorce et d'aubier) et vont, pour la plupart, se nymphoser au fond d'un cul-de-sac creusé dans l'aubier, mais à faible profondeur.

Sur les chênes ou les hêtres, on trouve de nombreuses espèces de clytes (Clytus) à élytres bariolés de jaune et de brun. Les rhagies (Rhagium) se nymphosent toujours sous l'écorce dans une sorte de chambre formée par l'extrémité de la galerie et limitée par un anneau de copeaux de bois plus ou moins agglutinés. La callidie sanguine, à élytres et thorax rouges, sort souvent des bûches de hêtre et chêne entreposées dans les maisons, dans les caves ou les greniers pour le chauffage. En même temps qu'elle et dans les mêmes lieux apparaît la callidie variable (Callidium variabile) à élytres fauves ou d'un bleu métallique. Ni l'une ni l'autre ne présentent d'inconvénient pour les charpentes des immeubles. Elles ne pondent que sur les grumes abattues depuis moins d'un an.

Sur les résineux, on trouve d'autres rhagies avec les mêmes berceaux de nymphoses ceinturés d'une bordure de copeaux. Un grand nombre d'autres espèces, de tailles diverses, creusent pour se nymphoser des chambres qui plongent jusqu'à 1 ou 2 centimètres dans les couches externes du bois.

Toutes les espèces d'insectes dont les larves vivent dans le bois sont, à des titres divers, vraiment dommageables et d'autant plus que leurs galeries sont plus profondes. Dans ce groupe, figurent encore des bostryches, des longicornes, les sirex, les insectes du bois de peuplier, que nous avons vu attaquer les arbres sur pied et qui peuvent continuer leurs dégâts après exploitation, et un certain nombre d'autres espèces qui n'ont pas, en fait, de nom commun dans la langue française.

Les bostryches, spécialisés dans l'attaque du bois lui-même, creusent, pour installer leurs larves, des galeries qui ne pénètrent guère au delà de 7 à 8 centimètres. Ces larves, qui ne creusent pas, se nourrissent, dans leurs logettes, de filaments de champignons microscopiques qui tapissent les parois de leur demeure comme d'une mince feuille blanche de papier à cigarette. Cette nappe de champignon finit, à la longue, par prendre une teinte brun foncé qui a fait donner aux dégâts de ces espèces le nom de piqûre noire. Ce n'est qu'un stade plus avancé de ce que les gens de la forêt désignent, au printemps, sous le nom de piqûre blanche. Ce qui frappe, en effet, à cette saison, c'est le travail des parents creusant les galeries et évacuant une sciure très fine, couleur de bois, par le trou d'entrée.

Les grumes de chêne, hêtre et de feuillus variés peuvent être atteintes par ces parasites, pour autant que l'écorce, encore présente, aura maintenu l'humidité suffisante pour le développement des champignons nourriciers. Les arbres en mauvaises conditions temporaires peuvent même être attaqués, et il n'est pas rare de constater les dégâts du « bostryche disparate » (Anisandrus dispar) sur les arbres fruitiers. Lorsque l'on débite les bois attaqués, la présence des parasites est facile à reconnaître à la forme des galeries qui comportent perpendiculairement au bois un couloir principal pourvu, parallèlement aux fibres, de couloirs secondaires plus ou moins longs. L'ensemble figure une grossière échelle de perroquet. Le bostryche liséré (Xyloterus lineatus) des résineux est le plus connu de cet ensemble d'insectes.

Parmi les longicornes, le plus spectaculaire peut-être des hôtes du bois est vraisemblablement le grand cerambyx (Cerambyx cerdo), dont la larve, qui vit plusieurs années, peut atteindre la dimension d'un doigt et habite les grosses branches mortes ou les troncs dépérissants des vieux chênes. Dans ces lieux, elle se trouve souvent en compagnie de la larve du « cerf-volant », cet élégant coléoptère d'une famille voisine du hanneton qui a la même taille, mais ressemble à un gros ver blanc.

Les longicornes des résineux sont nombreux. D'une taille analogue au grand cerambyx, l'ergate (Ergates faber) est très commun dans la forêt des Landes, et sa larve volumineuse vit surtout dans les bois en voie de décomposition.

Le platype (Platypus cylindrus), parasite des chênes, appartient à une famille très voisine des bostryches et, comme eux, creuse des galeries dans lesquelles les larves, sans autre travail, vivront aussi aux dépens des filaments de champignons. Mais ses dégâts sont infiniment plus graves. Les parents pénètrent en effet très profondément et même jusqu'au centre des billes de 60 centimètres et plus de diamètre. Pour des bois destinés à la menuiserie ou au déroulage, les dommages sont considérables.

Les sirex sont d'élégants hyménoptères pourvus d'une longue tarière leur permettant de forer dans le bois jusqu'à 2 ou 3 centimètres la place de l'œuf. Le plus connu, le sirex géant (Urocerus gigas), hôte des résineux, à corps annelé de jaune et de brun, donne une larve cylindrique blanche qui creuse très profondément dans le bois des résineux des galeries circulaires bourrées de sciure. Éclose sur des bois fraîchement abattus, cette larve vit deux ou trois ans dans le bois, et les adultes, en conséquence, peuvent parfois en sortir dans l'intérieur des maisons. Ils ne sont plus à craindre, à ce moment, pour l'immeuble. Mais leurs puissantes mandibules leur ont éventuellement permis, pour rejoindre la lumière, de percer du plomb ou des isolements de câbles électriques au contact avec les bois contaminés.

Enfin, dans cette trop courte revue des parasites des bois abattus, il faut encore signaler, sous nos climats, une espèce assez commune qui se rencontre à la fois sur les feuillus et sur les résineux. Il s'agit de l'Hylecætus dermestoïdes, coléoptère à élytres peu rigides, de couleur fauve, qui dépose ses œufs, en tas, dans les fissures d'écorce. Les larves qui en sortent, bien reconnaissables à leur prolongement caudal formant une sorte de queue, creusent des galeries profondes. Souvent, d'ailleurs, ces longues galeries reviennent affleurer à la surface du bois sur une partie de leur parcours, en donnant naissance à des sortes de morceaux de tunnels transversaux, dont le toit se serait effondré, très caractéristiques.

Contre les parasites ci-dessus et contre tous ceux, importants aussi, qu'il n'a pas été possible d'énumérer en si peu de place, l'écorçage dès abatage est un moyen de protection qui rend dans 95 à 99 p. 100 des cas. D'autres considérations, telles que protection contre les champignons, défaut d'un séchage trop rapide, peuvent intervenir pour interdire cet écorçage. Il faut faire un choix ou, mieux encore, débiter et sécher rapidement les produits.

Lorsque les pièces sont contaminées, le passage à l'étuve ou aux séchoirs, pourvu que le cœur du bois soit maintenu à 60° au moins, pendant un certain temps, peut tuer tous les parasites présents. Mais il ne préservera pas contre l'action ultérieure des parasites s'attaquant aux bois mis en œuvre.

LE FORESTIER.

Le Chasseur Français N°664 Juin 1952 Page 359