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Animaux collectionneurs

À première vue, et si l'on s'en réfère à la raison plutôt qu'à l'expérience, le goût de collectionner n'appartient qu'à l'homme. Lui seul, semble-t-il, peut trouver plaisir à réunir et à conserver des objets qui n'ont aucune utilité pratique. L'animal amasse pour se constituer des réserves alimentaires ou assurer l'avenir de sa progéniture, ou rendre plus confortable son abri. On ne voit pas pourquoi il perdrait du temps et des efforts à ramasser et transporter de la matière inerte qui ne lui sert à rien.

Et pourtant c'est ce qui arrive. Plusieurs espèces « s'amusent » littéralement à recueillir ce qui représenterait pour nous de véritables « bibelots » dont elles ne peuvent tirer aucun parti, mais qu'elles gardent à leur portée, et parfois jalousement, sans autre satisfaction apparente que de les regarder de temps en temps, ou plus simplement de « savoir qu'ils sont là ». Quel est le mobile qui les pousse ? Quel avantage en obtiennent-ils ? La réponse est si difficile qu'il semble que nous devons nous contenter de les regarder agir.

Le plus classique et le plus familier de ces amateurs est notre pie commune. Chacun a pu la voir opérer, car, si méfiante qu'elle soit à l'état sauvage, elle s'apprivoise avec une grande facilité. Et, pour peu que l'on se donne alors la peine de l'observer, on la voit s'emparer de menus objets, le plus souvent brillants : éclats de verre, de métal, papiers d'argent, etc., et s'envoler en les emportant au bec, pour aller les cacher on ne sait où.

Car, et c'est cela qui est curieux, elle a des cachettes soigneusement dissimulées, parfois assez éloignées des lieux qu'elle fréquente, et où, lorsqu'on les découvre, on s'aperçoit qu'elle a accumulé, en grand nombre, les choses les plus extravagantes, parmi lesquelles il peut s'en trouver de réelle valeur.

Ces habitudes fâcheuses ont provoqué des drames dont l'histoire nous a transmis le souvenir.

L'aventure de l'infortunée servante qui en fut la victime à Paris, au XVe siècle, est en effet célèbre et parfaitement authentique, car les pièces du procès ont été conservées. On se rappelle les faits, dont l'écho s'est prolongé jusqu'à nos jours, après avoir inspiré un larmoyant mélodrame, qui connut un durable succès au théâtre de la Gaîté, et un opéra de Rossini : La Gazza ladra. Nous les résumons, d'après le chapitre que leur a consacré J. Franklin dans sa Vie des animaux.

Un fondeur de cloches, demeurant sur la paroisse de Saint-Jean-en-Grève, à Paris, voyait régulièrement disparaître de chez lui des cuillers d'argent et autres objets de prix. Ses soupçons finirent par se porter sur une chambrière qui, seule, avait accès dans la maison. La justice du roi mena une enquête aussi rapide qu'énergique. Et, comme elle allait droit au but et savait faire parler les accusés, la malheureuse fille fut reconnue coupable et pendue.

Ce ne fut que longtemps plus tard que le fondeur, appelé à réparer les cloches de l'église, se trouva, dans le clocher, en compagnie d'une pie qui lui parut familière et dont il suivit les allées et venues. Il arriva ainsi jusqu'à un recoin difficilement accessible, vers lequel l'émotion croissante de l'oiseau l'avait attiré. Il eut la douloureuse surprise d'y reconnaître toutes les richesses pour lesquelles la pauvre servante avait perdu la vie.

On n'eut d'autre consolation que de faire dire des messes solennelles pour le repos de son âme. Et une cérémonie fut instituée, qui prit le nom de messe de la pie, célébrée tous les ans pendant de longues années, et au cours de laquelle les jeunes filles de la paroisse, vêtues de blanc et portant des branches de cyprès, chantaient un Requiem en faveur de l'innocente suppliciée.

D'autres oiseaux sont coutumiers des mêmes méfaits, principalement parmi les groupes voisins : corbeaux, corneilles, freux, choucas et consorts. Quelquefois, cet amour de tout ce qui brille leur joue de mauvais tours, quand ils se précipitent, par exemple, sur un morceau de charbon incandescent. On a cité des cas d'incendies propagés de cette manière et qui ne doivent pas être exceptionnels, puisque les anciens auteurs désignaient du nom d'avis incendiaria, oiseau incendiaire, le chocard.

À Ceylan, d'autres coraciformes, les anomalocorax, observés par Tennent, sont des voleurs d'autant plus audacieux qu'ils sont impunis, par l'effet de la superstition des indigènes. « Rien n'est en sûreté devant eux, précise cet auteur. Laissés près d'une fenêtre ouverte, le contenu d'un sac à ouvrage, les gants, les mouchoirs disparaissent instantanément. Ils ouvrent les paquets, même ceux qui sont noués, pour en examiner le contenu ... Ils arrachent même les clous ... Un jour, dans un jardin, une réunion ne fut pas qu'à demi effrayée en voyant tomber du ciel un couteau sanglant ! C'était celui du cuisinier, qu'un anomalocorax lui avait dérobé dans un moment d'inattention.  »

Nous retrouverons les oiseaux dans des manifestations bien plus curieuses encore. Citons d'abord de singuliers mammifères collectionneurs.

Dans les pampas de l'Amérique du Sud vivent des rongeurs de la taille d'un gros lièvre, mais assez voisins des chinchillas, les viscaches, qui habitent des terriers et se trouvent parfois réunis en si grand nombre que le sol est miné à l'emplacement de leurs villages et qu'on risque à chaque pas une chute quand on s'y aventure à cheval.

Or on a pu dire, et prouver, que tout objet qui se perd dans la prairie est infailliblement ramassé par un viscache et ramené au seuil de sa demeure, où on a toutes les chances de le retrouver si on en prend le temps.

Ici, ce n'est pas seulement ce qui brille qui est ainsi prélevé, mais tout ce qui est transportable : fragment d'os ou de ferraille, étui de cartouche ou boucle de harnais, montre ou couteau, clef ou tire-bouchon, éperon ou pipe, tout enfin ce que l'homme peut utiliser dans ces parages et laisser tomber par mégarde, chemin faisant.

Quel peut être le but ou l'intention de l'animal en agissant ainsi ? À quoi peut lui servir, en quoi l'intéresse, la paire de lunettes ou le sifflet, le talon de botte ou la boîte de sardines qu'il a ramassés parfois très loin et qu'il dépose toujours devant son trou, sans les porter jamais à l'intérieur ? Évidemment, il ne songe pas à les ronger, à en renforcer l'entrée de son refuge. On ne l'a jamais vu non plus jouer avec, comme pourrait le faire un chat d'une balle abandonnée. On a retrouvé jusqu'à un pistolet, encore chargé, recueilli de la sorte. Quelle aimable surprise pour l'acquéreur si la gâchette avait fonctionné pendant le transport !

Le plus singulier encore est que, dans les mêmes régions, d'autres animaux, d'un ordre tout différent, ont les mêmes habitudes. Tel, entre autres, l’aguarachay, qui, en Amérique méridionale, représente les renards.

Rengger, après beaucoup d'autres voyageurs, évoque cette sorte de bizarre manie.

« Trouve-t-il quelque objet inaccoutumé, dit-il, il le saisit dans ses dents, l'emporte sur une certaine distance, finit par le cacher dans un buisson ou sous une touffe d'herbes ... Les voyageurs qui passent la nuit à la belle étoile sont obligés de veiller sur leurs bagages, qui seraient pillés. Au cours de mon voyage, je perdis ainsi une bride, et mon compagnon un mouchoir. Nous les retrouvâmes le lendemain dans un buisson, assez loin du campement. Tschudi trouva, dans un terrier d'aguarachay, un étrier, un éperon et un couteau, que l'animal y avait ainsi apportés. »

Pour terminer, et parce qu'il faut bien abréger cette liste qu'on pourrait étendre, revenons aux oiseaux pour citer un exemple où les apparences semblent rapprocher l'animal de l'homme de bien amusante façon.

Il existe en Australie tout un groupe aux noms assez rébarbatifs : chlamydères, ptilonorynques, etc., que nous nous contenterons, pour simplifier, d'appeler, comme les Anglais, « oiseaux-satin » (satin-birds), ou même satins tout court, et qui se distinguent par d'étonnantes mœurs.

Ce sont, eux aussi, d'actifs collectionneurs, mais qui méritent ce titre bien plus encore que les autres parce qu'eux, au moins, s'intéressent à leurs collections, s'y passionnent presque, en véritables amateurs, et, s'élevant au-dessus des espèces de chiffonniers que nous avons rencontrés jusqu'à présent, opèrent en artistes, avec des méthodes qui, si elles ne sont pas inspirées par un sens esthétique, y ressemblent de bien près.

Ils commencent par édifier un surprenant ouvrage d'architecture, une sorte d'allée couverte ou de tonnelle, faite de branchages entrelacés qui se rejoignent par leur sommet, de façon à former une voûte sous laquelle ils peuvent aller et venir le long d'une plate-forme qui en constitue la base et est dégagée de tout obstacle. Notons tout de suite que cette construction n'a rien d'un nid. Le nom le plus approprié qu'on puisse lui décerner est celui de jardin de plaisance ou de lieu de rendez-vous.

Mais, pour mériter mieux encore ce titre, il doit être agréablement décoré et c'est ici que nos « satins » montrent tout ce qu'ils savent faire. Le bosquet est alors garni du haut en bas de tout ce que l'oiseau peut ramasser de brillant, de coloré, de chatoyant : plumes de perroquets, coquillages, pierres de couleur, petits os blanchis, coquilles d'escargots et, une fois de plus, tout ce qui vient de l'homme : tuyaux de pipe, morceaux de papier, débris de vaisselle, déchets de fer-blanc.

Cela n'est pas rapporté au hasard, mais disposé en bonne place à l'entrée du berceau ou entrelacé dans sa charpente. Quand la distribution est suffisante, que tout l'ensemble de la construction scintille de vives couleurs, que la charmille est pavoisée comme le serait celle d'un cabaret de village le jour de la fête locale, le mâle satin s'en va rôder et voltiger dans les environs jusqu'à ce qu'il ait rencontré une femelle de sa race. Alors il parade autour d'elle, il s'agite, il la presse, il la pousse, il la décide enfin à le suivre, il lui fait les honneurs de sa galerie en s'y promenant gravement à ses côtés, comme un Salomon recevant une reine de Saba dans son palais de pourpre et d'or ...

Tout se termine à la satisfaction de chacun, comme bien on pense. Mais, si hasardeux qu'il soit de comparer les actions des animaux avec celles des hommes, est-ce qu'il ne vient pas à l'esprit, malgré soi, en l'occurrence, de penser à quelque galant don Juan impatient de séduire une Elvire innocente et qui, sous prétexte de l'entraîner, lui propose :

« Venez donc chez moi, je vous montrerai mes collections d'art ! »

L. MARCELLIN.

Le Chasseur Français N°664 Juin 1952 Page 375