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Causerie vétérinaire

La linguatule rhinaire

Un de nos lecteurs habitant le département de l'Aude nous écrit ce qui suit : « J'ai un chien basset, très bon lapinier, âgé de deux ans et demi, qui depuis environ deux mois est devenu très difficile pour la nourriture au point de rester toute une journée sans manger. De plus, il éternue fréquemment, se gratte le nez avec ses pattes, secoue la tête comme pour se débarrasser de quelque chose. Enfin, il est très maigre. Que dois-je faire pour le guérir ? »

Nous avons cru devoir attribuer la maladie dont la description sommaire suit, en l'absence d'un examen microscopique du jetage nasal, à la présence, dans les cavités nasales ou leurs dépendances, d'une sorte de ver appelé : linguatule rhinaire.

Les linguatules sont des Arachnides parasites, vermiformes, apodes, à corps annelé, n'ayant pour tous appendices que deux paires de crochets autour de la bouche. Ceux-ci peuvent se retirer chacun dans une petite gaine ou fossette. Les linguatules sont ovipares.

Les sexes sont séparés : le mâle, plus petit que la femelle, n'a que 18 à 28 millimètres de long et 3 millimètres de large en avant et un demi-millimètre en arrière, alors que la femelle atteint en avant de 8 à 10 millimètres de large, 2 millimètres en arrière et une longueur de 8 à 10 centimètres.

À l'état adulte, la linguatule rhinaire habite les cavités nasales de divers animaux, notamment des carnivores : chien, loup, renard, etc. À l'état larvaire, on l'a observée dans les viscères et en particulier dans le foie et le poumon d'un grand nombre de mammifères : mouton, chèvre, bœuf, lapin, lièvre, surmulot, etc.

Comme les ténias, y compris celui de l'homme ou ver solitaire, le cycle évolutif de la linguatule exige le passage dans un hôte intermédiaire. Les chiens s'infestent en mangeant le foie, le poumon ou les tripes d'animaux infestés de larves de linguatules. Par suite, ce sont surtout les chiens de berger, de bouvier, les chiens de chasse et les chiens de rue qui en sont le plus souvent porteurs, et on rencontre rarement les linguatules chez les chiens d'appartement.

Les linguatules adultes pondent, en nombre considérable, des œufs embryonnés dans les cavités nasales de leur hôte, du chien presque toujours. Expulsés avec le mucus (jetage), surtout dans les éternuements que provoque la présence du parasite, ces œufs peuvent tomber sur l'herbe des prairies, sur les fourrages. Ils y adhèrent grâce au mucus qui les englobe et sont capables de résister plusieurs semaines aux influences atmosphériques. Ingérés alors par un herbivore, ils arrivent dans l'estomac, où la coque se dissout et laisse échapper un embryon ressemblant à un acarien, muni d'un appareil perforateur qui lui permet de traverser la paroi du tube digestif et de pénétrer dans les vaisseaux sanguins dont le liquide les transporte dans le foie, la rate, les reins, etc.

En général, les larves seraient condamnées à périr si les viscères de leurs hôtes n'étaient dévorés par un carnassier (le chien plus habituellement). De l'intestin de leur nouvel hôte, elles gagneront les cavités nasales, où elles achèveront leur développement en passant à l'âge adulte, et le cycle recommence.

Les linguatules installées dans les cavités nasales occupent surtout le fond des méats, entre les cornets et dans les interstices des volutes ethmoïdales. Par exception, elles peuvent pénétrer dans les sinus frontaux. Les femelles choisissent le diverticule assez large et régulier qui constitue le cul-de-sac du méat moyen, où elles sont à l'abri des courants respiratoires ; de plus, elles paraissent s'alimenter au moyen de la sécrétion des glandules contenues dans la muqueuse à ce niveau. Ainsi logées, elles s'y tiennent en petit nombre, de quatre à six environ, enroulées sur elles-mêmes.

La durée du séjour des parasites dans les cavités nasales peut être fort longue ; elle peut dépasser quinze mois. A la fin, cependant, les linguatules sont expulsées par les éternuements ou meurent sur place, et avec elles disparaissent les symptômes.

Symptômes.

— Ceux qui trahissent la présence de ces parasites consistent surtout en éternuements saccadés, irréguliers qui, d'ordinaire, se manifestent d'une façon soudaine, par exemple lorsque la respiration est activée ou gênée par une cause quelconque. Souvent ces éternuements s'accompagnent de ronflements sonores, entrecoupés d'arrêts presque complets de la respiration. L'animal projette ses pattes sur ses narines, se gratte le nez, cherchant ainsi à se débarrasser d'un corps étranger apportant un obstacle à la respiration. En éternuant, le chien expulse un jetage muco-purulent et parfois un peu sanguinolent, renfermant un grand nombre d'œufs. Un examen microscopique du mucus rejeté, en décelant la présence de ces œufs, permet d'assurer le diagnostic.

Le traitement préventif consiste à empêcher les chiens de se repaître des entrailles crues des moutons, lapins, etc., qui peuvent loger les larves de linguatules, et notamment à ne pas jeter aux chiens les viscères malades d'animaux de boucherie saisis aux abattoirs. Le peu de gravité du parasitisme nasal ne justifierait pas cette mesure, si elle n'était utile pour d'autres affections parasitaires, telles que celles qui se rattachent aux nombreux ténias qui peuvent ainsi être transmis aux chiens.

Le traitement curatif offre quelques difficultés, car les malades ne s'y prêtent pas volontiers. Quand les parasites provoquent des troubles, on peut pratiquer dans les fosses nasales, tous les deux ou trois jours, au moyen d'une petite seringue en verre à canule arrondie, des injections avec une solution tiède de crésyl à 1 p. 100, d'ammoniaque très étendue ou d'eau vinaigrée au tiers. On pourrait aussi insuffler avec un tube de verre une poudre sternutatoire telle que saponine, tabac, bétoine, etc. Enfin, dans des cas heureusement rares, il y a lieu de pratiquer la trépanation des cavités nasales pour extraire les parasites dont la présence rend le chien inapte à la chasse.

MOREL,

Médecin vétérinaire.

Le Chasseur Français N°665 Juillet 1952 Page 404