C'est une mouche du début de l'été, excellente, très simple
et qui dure jusqu'à l'automne.
Vers le 20 juin une vague de chaleur due aux coups du
sirocco nord-africain produit deux effets concomitants : la fin de la
fonte des neiges (Pyrénées) et une apparition soudaine et nombreuse d'une
quantité d'insectes divers, de toutes grandeurs, depuis le lucane (cerf-volant)
que l'on voit au crépuscule voler au bord des bosquets, comme un hélicoptère un
peu lourdaud, jusqu'au plus microscopique des éphémères d'été. Tous les ordres
sont représentés ; mais, pour le pêcheur, un peu désemparé après les
grosses mouches de printemps, le plus important, à ce moment, est certainement
l'ordre des tricoptères avec les phryganes, auquel il faut joindre la famille
de nemoures. Ces deux classes aboutissent en cette saison, dans ma collection
personnelle tout au moins, à ce que j'ai baptisé spontanément depuis longtemps
la mouche « chocolat » à cause de la couleur d'une phrygane cueillie
sur ma main droite en action de pêche, un soir avant le crépuscule.
Or une revue halieutique française très « à la page »,
nous annonçant récemment la parution d'un « nouveau dictionnaire des
mouches anglaises » (ouvrage qui doit réaliser le petit livre
d'entomologie du pêcheur dont j'ai rêvé ici même et peut-être au delà puisqu'il
comprend quatre cents modèles de mouches, décrits avec la monographie de
l'insecte correspondant), nous parle d'une mouche inspirée des phryganes de
couleur chocolat : « la paragon ». Comme cet ouvrage est édité
en anglais, à Londres, nous attendrons qu'il soit traduit en français pour
l'acquérir. En attendant, contentons-nous des quelques lignes trop courtes
traduites par l'auteur de l'article (1). La mouche « paragon »
serait, d'après lui, la représentation des petites phryganes diurnes « chocolat »,
notamment du Sericostoma personatum si répandu à partir de mai. Je n'ai
donc pas inventé la mouche « chocolat » dont je vérifie, chaque
année, après la Saint-Jean le surprenant succès. « Étant venu trop tard
dans un monde trop vieux », je m'en doutais bien un peu ...
Mais comment est faite la mouche « paragon » ?
Je n'en sais rien, l'auteur ne le dit pas, je n'en ai jamais vu ; il nous
dit bien que cette mouche fut baptisée « par erreur », par Halford
Welshman's Buton, « ce qui désignait un coléoptère » ; par
ailleurs T. Burnand, dans Parlons mouche, nous la flatte, mais de
description : point ...
Je me décide donc à vous parler de la mienne.
Disons, d'abord, qu'elle est une imitation assez exacte et
sincère, dans l'ensemble, d'une petite phrygane à corps marron-chocolat. Est-ce
le Sericostoma personatum ? Je n'en sais rien et ne me risque pas
de le dire. Les phryganes de couleur rousse, brune, marron, chocolat, fauve,
sont très nombreuses dans des tailles très voisines à cette époque. Il en est de
même des nemoures, guère plus grandes et de couleurs semblables. De telle sorte
qu'après avoir créé et expérimenté ma mouche, je me suis demandé si son succès
n'était pas dû au nombre considérable d'insectes semblables, se ressemblant par
la forme et la couleur, qui sont sur l'eau à cette époque. Autrement dit, ne
suggère-t-elle pas une foule d'autres phryganes : Odontocerum albicorne
par exemple ou Acetis albicorne, Philopotamus variegatus, pour ne
citer que quelques petites, correspondant à la taille de l'hameçon choisi,
parmi les phryganes brunes ?
Ou bien, parmi les petites nemoures de la saison (mai à
novembre), ne suggère-t-elle pas encore des insectes très voisins et
ressemblants, tels que Nemura cinerenea, Nemura variegata, Leuca
geniculata ?
Mouche exacte ou mouche d'ensemble, peu importe après
tout : ce qu'il fallait trouver, c'était la mouche favorite qui prendrait
du poisson, de jour, en cette période ingrate qui précède le calme plat de la
fin de l'été. Je suis parti de la nature, comme il se doit ; que d'autres
l'aient fait aussi avant moi, et sans doute mieux, rien de plus naturel.
Mais, en attendant que vous fassiez l'acquisition du Dictionary
of Trout Flies, voici mes deux « chocolat » dont j'assume la
paternité. Deux ? Oui et non. Ce qui les distingue ne réside que dans la
façon. La façon de l'une est plus scientifique, l'autre plus pratique et plus
simple. Toutes les deux me donnent le même résultat. La deuxième façon sera
donc préférée ; mais, pour un puriste, un tantinet artiste, la première se
soutient.
Première façon.
— Matériaux :
deux hackles de coq, l'un très roux brun avec partie
centrale sombre, l'autre clair, gris doré, blanc jaunâtre doré ou crème. Soie
ou coton mercerisé couleur chocolat. Hameçon n°16.
— Montage :
1° Prélever sur chacun des deux hackles un pinceau de
barbules gris clair doré et roux brun plus fourni. Superposer les deux
pinceaux, à l'aide d'une pince, et les mettre de côté.
2° Faire le corps en prenant ce qui reste du hackle brun en
dessous, hackle tourné vers l'oeillet.
3° Faire les pattes en enroulant ce hackle brun à 3
millimètres de l'œillet et taillant à ras les barbules du dessus.
4° Transporter les pinceaux de barbules, précédemment mis de
côté, sur le corps, pinceau clair en dessous, et les fixer en finissant corps,
thorax, tête et nœud final.
5° Parachever le petit chef-d'œuvre en taillant aux ciseaux
les ailes et les pattes. Les ailes : quant à la longueur surtout et la
forme. Elles dépassent le corps d'un tiers de la longueur totale. Les pattes :
remarquez que le tricoptère forme sous le thorax en repliant ses pattes, dont
la hanche et le fémur, de formes globuleuses et coniques, sont relativement
gros, une masse à profil triangulaire très caractéristique. Essayez de la
suggérer en taillant aux ciseaux les barbules réservées aux pattes. Dégager le
corps en supprimant les barbules inutiles, en raccourcissant les trop longues ;
mais laissez les pattes dépasser le dard de l'hameçon. Vous remarquerez (voir
croquis) l'importance et la longueur des pattes de la phrygane.
Deuxième façon.
— Monter une araignée imitant l'insecte (c'est-à-dire
une araignée travaillée avec les doigts au montage et aux ciseaux après, de
façon à n'avoir, en place de collerette, qu'ailes et pattes), avec un hackle
roux brun et du fil couleur chocolat, soie ou coton mercerisé. Rabattre les
barbules supérieures sur le dessus du corps pour obtenir des ailes couchées.
Incliner vers l'arrière celles du dessous pour avoir les pattes dirigées dans
le même sens. Terminer aux ciseaux pour donner la forme définitive, ailes et
pattes, longueur, pattes dépassant le dard de l'hameçon, masse triangulaire
sombre sous le thorax. Supprimer les barbules sur les côtés.
Action de pêche.
— Méthodes :
pêche au lancer mouche classique sèche (2) et noyée, d'abord ;
puis, pour les débutants, les maladroits et simultanément pour les plus forts
et les plus malins : le buldo. Je dis bien buldo ou mieux flotteur lesté à
votre goût, dans les grands remous chahutés, compliqués et vifs. Vous y aurez
des surprises : truites, vandoises, chevesnes, et l'occasion de pêcher
intelligemment au sens de l'eau en lançant en amont, avec précision, sous peine
de voir votre flotteur suivre un parcours imprévu, en un point judicieusement
choisi et en guidant ensuite votre flotteur là où vous supposez que se tient le
poisson dans ce qui paraît être un chaos et un fouillis. Et vous serez surpris
de constater combien cette petite mouche ne passe pas inaperçue dans ce courant
indescriptible. Trois mouches dont deux en amont du flotteur. Si, dans un
courant à peu près régulier, vous n'avez de prise que sur la mouche du milieu,
c'est que la plus haute est trop loin du buldo ou que sa potence est trop
courte.
— Temps favorable :
jours clairs, chauds, remarquables par le nombre des petits
insectes volants en zigzaguant vivement au-dessus de l'eau. Le changement de
temps occasionnant des tornades de vent est aussi favorable par suite de tout
ce qu'il fait tomber à l'eau. Le temps maussade et gris, mais chaud, peut être
aussi très bon. Le temps froid succédant au temps chaud est mauvais.
— Endroits favorables :
chutes, barrages naturels, petites cataractes suivies de
remous et de courants irréguliers. Courants profonds et lisses où passent les
insectes, et tous les courants en général où le travail de la mouche, le lancer
varieront très souvent selon les circonstances, l'expérience du pêcheur, la
nature des rivières et le comportement du poisson.
P. CARRÈRE.
(1) Pierre Barbotin.
(2) Dans ce cas, il est préférable de tailler les barbules
donnant les pattes dans un plan horizontal parallèle à la hampe de l'hameçon, à
1 ou 2 millimètres au-dessous du dard.
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