Accueil  > Années 1952  > N°665 Juillet 1952  > Page 409 Tous droits réservés

Pêche en mer

Le bar moucheté

Sur la pointe du scion de la grande canne plantée dans le sable, la touche a été très nette et de faible amplitude. Tac, tac, tac. Le nylon enroulé au doigt du pêcheur juste avant le moulinet a transmis aussi le frémissement attendu de la deuxième touche ; elle arrive quelques secondes après, toujours en saccades brèves et frémissantes. À la cadence rapide et à l'amplitude faible, on sent que c'est un petit poisson très vif qui est au bout, et très probablement un bar moucheté. En effet, le moulinet ramène sans peine le bas de ligne et son plomb à griffe, et la vague se retire en laissant sur le sable humide, dans la frange d'écume, un petit poisson semblable à un fuseau argenté, la tête soulevée par l'hameçon, les ouïes écartées. C'est bien un bar moucheté, dit « piguey » sur les côtés méditerranéennes, ou « picat » sur les côtes du golfe de Gascogne.

Deux espèces de bar fréquentent nos côtes : le bar proprement dit (Labrax Lupus), appelé « loup » sur les côtes méditerranéennes et « loubine » sur les côtes atlantiques, qui est un magnifique poisson pouvant peser jusqu'à 6 et 7 kilogrammes, et le bar moucheté (Labrax punctatus), son petit compagnon qui ne pèse qu'une centaine de grammes et dont des sujets exceptionnels atteignent péniblement 300 grammes. Ce sont des percidés, des poissons de la famille de la perche, caractérisés par des écailles cténoïdes, c'est-à-dire à bord extérieur dentelé et très rude au toucher, à bouche très largement fendue, à dents aiguës et à opercules terminés en pointe. Ils possèdent deux nageoires dorsales, dont la première est munie de rayons épineux qui tendent une membrane noirâtre.

D'autres labrax fréquentent les eaux atlantiques des États-Unis et l'un d'eux, le Labrax Chrysops, est complètement adapté aux eaux douces du Mississipi.

Nos bars européens recherchent également les embouchures de rivières, et même les eaux saumâtres. Le bar moucheté remonte même les rivières jusqu'à la limite de salure des eaux, accompagnant en cela le muge. Le grand bar, qui est un chasseur, se trouve à la fois sur les côtes méditerranéennes et atlantiques ; c'est un poisson d'excellente qualité et très recherché. Le bar moucheté est plus méridional ; on le trouve encore en Bretagne, mais il se plaît surtout au-dessous de l'embouchure de la Garonne ; il est fréquent sur les côtes espagnoles, marocaines et algériennes. Ce surnom de picat lui vient tant de la rudesse de ses écailles que des piquants de sa dorsale, toujours hérissés quand on le capture, et de la pointe aiguë de ses opercules.

C'est un très joli poisson de forme oblongue et, bien que percidé, le pêcheur novice peut le confondre, à première vue, avec une truite ; il en a, en effet, la forme générale, la taille et la robe, le dos gris bleu, le flanc et le ventre gris, le tout moucheté de nombreuses petites taches noires, sans taches rouges il est vrai. Tout en lui rappelle la truite de montagne. Très vif, très agile, il aime les remous, les vagues, les brisants, tout comme la truite aime les torrents. La tempête ne lui déplaît pas et c'est toujours par mer assez forte qu'on fera de belles prises. Sa défense est vive, frémissante et amusante, surtout si l'on est monté léger ; malheureusement, on le pêche le plus souvent au surf-casting avec une ligne montée en 60/100, et on ne peut guère apprécier sa défense.

Sur les côtes de l'Atlantique nord, on ne le trouvera que l'été, mais, toute l'année, il fréquente les côtes méditerranéennes et atlantiques au sud de la Garonne. Il est plus spécialement abondant l'été en juillet et août, en juillet surtout, avec une période d'absence qui s'étend de mars à mai.

L'été, il est de petite taille, de 50 à 80 grammes, l'hiver il est plus gros et atteint 150 à 200 grammes, et même 300 grammes. Il pond à la fin du printemps, en pleine mer, des œufs flottants très petits, d'à peine 1 millimètre de diamètre.

C'est surtout par mer forte et dans les brisants qu'on le trouvera. C'est là qu'il cherche sa nourriture (thalictres ou puces de mer). Il mord à tous les appâts : morceaux de seiche, arénicoles, couteaux, morceaux de poisson. Il aime également les mollusques tels que la coque et la moule. Sur la côte des Landes, les meilleurs appâts sont le petit ver des sables rose ou bleu (Ophelia bicornis), la moule des sables ou lagagnon (Donax vittatus) et, l'hiver, la civelle ou pibale, c'est-à-dire l'alevin d'anguille, qu'on enfile par quatre ou cinq à l'hameçon.

Le bar moucheté est un poisson sociable, qui vit par bandes nombreuses. Au moment du passage d'un banc, il arrive souvent qu'on trouve 2 et même 3 hameçons garnis sur 3. Les pêches de 10, 20 ou 30 bars mouchetés dans une marée sont assez fréquentes. Je me rappelle avoir atteint le chiffre de 60, un certain mois de juillet, à l'embouchure d'une petite rivière. C'est à la marée montante que le bar se rapproche le plus des bancs de sable où il risque de trouver sa nourriture, et c'est également au montant qu'il recherche l'embouchure des rivières et qu'il essaie de pénétrer en eau douce avec les apports d'eau salée amenée par les vagues. C'est donc au montant, souvent après trois heures d'eau, qu'on tombera sur un passage. Ce moment favorable dure à peine vingt minutes ou une demi-heure. Les touches se succèdent alors sans interruption et il faut en profiter : mouliner rapidement, décrocher le poisson, appâter et relancer tout de suite. Pêche très amusante, et que l'on rendra plus attrayante encore en péchant très fin au lancer léger, muni d'un très léger plomb à ancre et de petits hameçons n°5 ou 6, eschés d'un petit ver de sable. Enfin, si l'on peut pêcher à l’embouchure d'une rivière, on pourra utiliser une petite cuillère tournante ; la pêche ressemblera dès lors, fortement, à la pêche à la truite.

J'ai déjà dit que c'était au montant, vers la troisième ou quatrième heure d'eau, que le bar moucheté avait le plus de chances de manifester sa présence, mais la meilleure heure est certainement celle de la tombée du jour et les deux premières heures de la nuit. C'est à ce moment qu'il approche le plus du rivage et qu'il cherche la moindre petite anse remuée par les brisants ; un coup de senne, la nuit tombée, dans ces anses peu profondes agitées de petites vagues et qu'on trouve au milieu ou entre deux bancs de sable peut permettre de ramener plusieurs dizaines de ces jolis, poissons accrochés aux mailles par leurs ouïes piquantes, et écartées.

LARTIGUE.

Le Chasseur Français N°665 Juillet 1952 Page 409