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Les fourrages déshydratés

La façon la plus courante et la plus ancienne de déshydrater les fourrages, c'est-à-dire de leur retirer l'excès d'eau qui nuit à leur conservation, c'est le fanage. L'opération est simple, peu coûteuse et depuis sa mécanisation presque totale peu pénible. Cela ne veut pas dire qu'elle soit toujours parfaitement faite et, dans bien des régions, le fourrage conservé contient encore un excès d'humidité qui se traduit par la fermentation du tas, la chaleur ainsi produite achevant la dessiccation. Les conséquences en sont assez fâcheuses : perte de matière sèche et de principes nutritifs, danger d'incendie, altération de la masse, etc.

Pour y remédier, on a cherché divers procédés, comme l'adjonction au fourrage de sel dénaturé à la dose de 0,5 à 2 et même 3 p. 100, suivant le degré de siccité du fourrage. Il serait imprudent de dépasser ce dernier chiffre, car il y aurait des troubles digestifs à craindre chez les animaux alimentés par ce fourrage et plus particulièrement de la diarrhée. Une surveillance des déjections est à exercer.

Quels que soient les avantages du séchage naturel, il y a cependant une contrepartie sous forme d'un certain nombre d'inconvénients. Tout d'abord, le producteur est laissé à la merci du temps. Si l'année est favorable, tout va bien, ou à peu près ; sinon il risque, après beaucoup de peine et de perte de temps, de ne rentrer qu'une denrée de bien médiocre valeur nutritive et qui ne vaudra même pas de la paille de qualité courante. Il ne faut pas oublier que le foin qui a subi la pluie perd non seulement de son aspect, mais encore de ses qualités alimentaires et cela dans une proportion qui atteint rapidement 50 p. 100 et plus.

Même si elle est réussie, la fenaison entraîne des pertes de matière sèche de l'ordre de 15 à 20 p. 100, et, ce qui aggrave cette constatation, ces pertes concernent surtout les protéines digestibles, pour lesquelles elles atteignent 30 à 35 p. 100, ce qui est considérable. Les vitamines, celles tout au moins qui figurent sous forme de carotène, sont en grande partie détruites sous l'action des rayons solaires et par l'augmentation de température consécutive.

Un autre inconvénient du fanage est de ne pouvoir se pratiquer qu'à la belle saison quand sont réunies les diverses conditions favorables pour un séchage rapide de l'herbe (les regains, soumis eux aussi au fanage, ne sauraient faire échec à cette remarque en raison de leur peu d'importance relative. Il est d'ailleurs patent que leur séchage est plus long et plus difficile que celui des foins). En fait, la masse essentielle soumise au fanage est composée de plantes de précocité variable coupées quand une fraction importante d'entre elles est déjà trop mûre et a, de ce fait, perdu une partie de sa qualité ; la cellulose domine et la richesse en protides digestibles a diminué de moitié par rapport à ce qu'elle était quand l'herbe était jeune.

La déshydratation artificielle n'a pas ces inconvénients. Elle n'a pratiquement pas à tenir compte du temps bon ou mauvais ; elle permet de multiplier les coupes de fourrage, qui peuvent commencer dès le printemps et se poursuivre jusqu'à la fin de l'automne. Au lieu de deux coupes, on en fera cinq ou six, ce qui laisse récolter l'herbe à son maximum de qualité. Les vitamines sont aussi mieux conservées et les pertes de matière sèche ne sont plus que de 5 p. 100.

Pour les fourrages de prairies artificielles, la luzerne, en particulier, un autre avantage de la déshydratation est d'éviter la perte des folioles, toujours importante, malgré toutes les précautions prises, avec le fanage traditionnel. Elle permet, en outre, de réduire celle-ci en poudre dite farine de luzerne, très appréciée pour remonter la teneur en protides digestibles des rations alimentaires. Elle est également utilisée dans diverses pâtées servant plus particulièrement à la nourriture des volailles.

La déshydratation peut également s'appliquer aux feuilles de betteraves ou même aux collets, à condition évidemment qu'ils ne soient pas souillés de terre. Les choux fourragers et les autres fourrages annuels peuvent aussi être déshydratés.

On peut déshydrater à l'air froid, mais le plus souvent on utilise l'air chaud porté à 150°. Tant que la matière à sécher possède une teneur en eau supérieure à 20 p. 100, l'évaporation qui se produit abaisse la température de la masse et l'opération est sans danger. Il y a lieu de prendre ensuite quelques précautions pour éviter la carbonisation du fourrage et aussi pour éviter la destruction des vitamines. Certains appareils travaillent à une température moins élevée ; leur action est moins rapide. La source de chaleur est produite par le charbon, le fuel-oil ou l'électricité.

Du point de vue technique, l'opération ne semble guère présenter que des avantages ; elle reste toutefois assez coûteuse, car il faut tenir compte de l'amortissement et de l'entretien des appareils nécessaires, et aussi de leur alimentation en combustible. Le fourrage vert contient de 80 à 90 p. 100 d'eau, il faut le ramener à 10 ou 15 p. 100 ; la quantité à évaporer est donc considérable et la consommation en fuel-oil pour déshydrater une tonne de fourrage vert est de l'ordre de 50 à 60 litres. Il y a donc un calcul à faire et il ne donne pas les mêmes résultats dans les divers pays, le prix des combustibles étant loin d'y être comparable. C'est cette constatation qui freine chez nous l'adoption de ce procédé et sa généralisation, qui reprend cependant tout son intérêt quand il s'agit de préparer une denrée destinée à subir ensuite des transports onéreux ou dont on cherche avant toute chose une conservation parfaite et de longue durée, cas, par exemple, de la farine de luzerne.

La déshydratation des fourrages apparaît donc comme un procédé intéressant et susceptible de développement, dans la mesure tout au moins où les conditions économiques le permettront.

R. GRANDMOTTET,

Ingénieur agricole.

Le Chasseur Français N°665 Juillet 1952 Page 420