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Sol et vie

La terre arable est une chose vivante. C'est parce qu'elle vit que nous pouvons tirer d'elle notre nourriture. Mais cette terre s'use, et, si nous n'y prenons garde, nous ne pourrons plus maintenir les rendements actuels et encore moins les accroître. Pour « refaire » indéfiniment ce sol et obtenir la fertilité permanente, il faut lui restituer tout ce que les récoltes lui enlèvent et le défendre contre l'érosion produite par les intempéries, pluies, vents et les eaux de ruissellement.

À cet égard la pratique de la mécanisation totale risque d'être catastrophique pour la conservation des sols. Mais nous n'afficherons pas un pessimisme excessif, car, si le paysan est de plus en plus favorable au progrès technique, son bon sens et son expérience l'inclineront toujours à ménager sa terre, à la traiter « en bon père de famille ».

On a cru à un certain moment pouvoir supprimer radicalement le bétail, c'est-à-dire le fumier, et utiliser machines et engrais chimiques. Bien sûr on a obtenu des résultats satisfaisants, mais temporaires ; on a exploité la terre, on l'a fait vieillir vite, on l'a appauvrie, on a supprimé l'humus. Alors, allez-vous penser, la motorisation est la pire des transformations, et il faut se hâter de la bannir ! Non, la motorisation et la mécanisation de l'agriculture sont des manifestations irréductibles du progrès et, qu'on l'admette ou non, l'agriculture se mécanisera de plus en plus. Toutefois cette transformation de l'exploitation agricole doit se faire tout en respectant les lois de la vie, car, on ne le répétera jamais assez, la terre arable est vivante.

À ce propos, il s'agit avant tout de veiller au maintien de la couche d'humus qui joue le rôle de catalyseur afin de maintenir et même d'accroître la capacité d'assimilation du sol. Le rôle de l'humus est un rôle vivant « biologique ». Constitué par des matières organiques et des débris de végétaux en décomposition provenant du bon fumier de ferme et des engrais verts, il multiplie la vie des microorganismes indispensables pour la transformation des éléments minéraux qui seront absorbés par les racines des végétaux. L'humus a en outre un rôle physique ; il donne une meilleure homogénéité aux éléments nutritifs du sol et les empêche d'être emportés par les pluies ; il est susceptible de retenir jusqu'à cinq fois son volume d'eau.

Aussi l'exploitant soucieux de maintenir sa terre dans un état de fertilité permanent et de la transmettre avec un coefficient de productivité accru à ses successeurs veillera à sa couche d'humus. L'humus qui s'exporte avec les récoltes sera remplacé ou plutôt « refabriqué » par des engrais verts ou des engrais organo-chimiques complets, mais surtout par le fumier. Le fumier s'obtient grâce aux restitutions organiques des animaux. Il est donc absolument nécessaire d'avoir sur son exploitation du bétail. Ainsi, si on ne peut pas se passer d'acquérir des machines, tracteurs et moteurs, on ne peut pas se passer non plus des animaux. Les agronomes ont défini la relation existant entre la surface des terres et le cheptel : « une tête de gros bétail par hectare ». Faut-il alors acquérir tracteurs ou motoculteurs et conserver ses bêtes de trait ? Non, mais il est indispensable, sous peine de porter un coup mortel à son exploitation, de les remplacer poids pour poids par du bétail de rente.

Il convient d'observer cependant que le fumier ne règle pas complètement la question de la fertilité permanente des terres. Les éléments exportés par les récoltes : azote, potasse, phosphore en quantités très importantes, ne sont pas restitués en totalité par le fumier ! Il y a donc lieu d'utiliser des engrais complémentaires en tenant compte des lois fondamentales :

Loi de restitution.

— Rendre au sol tout ce que les récoltes lui ont ôté.

Loi de minimum.

— On pourra en effet gorger son sol d'engrais : s'il manque un seul élément ou si, pour cet élément, le minimum n'est pas atteint, la plante ne se développera pas.

Loi de rendement proportionnel.

— Chaque plante possède un rendement maximum, et là encore le sol pourra être gorgé d'engrais et posséder une couche d'humus d'une épaisseur extrêmement importante. Si ce maximum est atteint, ce surplus d'engrais ne sera qu'une perte d'argent pour l'exploitant, mais le rendement ne sera pas dépassé.

La dose d'éléments fertilisants d'une terre et l'élément fertilisant minimum pour une culture donnée seront révélés par une bonne analyse du sol.

L'agriculture doit donc s'intégrer dans le grand courant de progrès qui marque notre époque ; elle n'a pas le choix, et ceux qui s'y refuseront ne pourront pas tenir, leur exploitation ne sera plus rentable, et ils disparaîtront. Toutefois ce progrès, cette mécanisation, cette motorisation doivent tenir compte des lois de la vie, car le paysan travaille sur un support vivant. Ceux qui ont cru pouvoir appliquer à la terre les méthodes de l'industrie se sont trompés. La mécanisation ne saurait supprimer impunément l'animal. Certes, elle libère l'homme de la peine, elle allège son effort, elle l'élève, mais elle ne modifie en rien les relations qui lient le végétal, l'animal et la terre. Pour avoir méconnu ces lois, des pays tels que l'Afrique du Sud, le Congo, le Brésil, la Chine, certaines régions des États-unis, du Mexique, de la Russie, connaissent un véritable désastre. Nous devons, quant à nous, montrer toujours une extrême vigilance dans ce domaine, afin d'éviter de semblables aventures.

G. DELALANDE.

Le Chasseur Français N°665 Juillet 1952 Page 421