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Les ennemis de la forêt

Les chermès parasites du sapin et du Douglas

Sous ce nom de chermès sont compris de nombreux insectes hémiptères qui peuvent, à certains stades de leur développement, ressembler à de minuscules pucerons ailés. Ils sont surtout connus par certains autres stades, de larves ou d'adultes, capables de sécréter abondamment des fils de substances cireuses qui les recouvrent et les emballent comme du coton.

Ils sont proches parents du phylloxéra de la vigne et du puceron lanigère des pommiers.

Ce sont toujours des organismes de petite taille, souvent presque microscopiques, qui, à tous les stades de leur développement, sucent la sève des aiguilles de l'écorce des jeunes rameaux et du tronc des résineux. Pour un développement normal, deux hôtes successifs leur sont nécessaires. C'est d'abord une espèce d'épicéa sur lequel leur présence est repérée par la formation de galles ressemblant un peu, soit à un cône d'aune, soit à un ananas de 1 ou 2 centimètres. C'est ensuite, pour le cas qui nous occupe, un sapin ou le douglas sur lequel les insectes, localisés sur les aiguilles ou la toute jeune écorce, provoquent des déformations ou le jaunissement. Pour des arbres en conditions difficiles, la mort peut survenir en quelques années.

Le Chermès du sapin (Dreyfusia Nüsslini C. B.) est originaire d'Europe orientale, région du Caucase, où il est l'hôte alternatif de l'épicéa d'Orient (Picea orientalis Carr.) et du sapin de Nordmann (Abies nordmanniana Spach.). Pendant la première année de son cycle bisannuel, une femelle dépourvue d'ailes, et qui a hiverné, pond au printemps un amas d'œufs à l'aisselle du bourgeon terminal d'un rameau de l'épicéa. Les jeunes larves écloses s'installent à la base des aiguilles naissantes, y plongent leur rostre très fin et très long et sucent la sève. Leur présence détermine des réactions du tissu des aiguilles qui, au lieu de s'allonger, s'épaississent et forment un cône minuscule d'écailles juxtaposées abritant les jeunes larves. Ces cônes peuvent se trouver, sur les arbres, en quantités telles qu'ils font plier les branches. Il ne semble pas cependant qu'ils puissent agir autrement que par un léger ralentissement de l'accroissement. Vers le mois de juin, il sort de là des pucerons ailés qui gagnent les sapins de Nordmann voisins, s'y installent et pondent des œufs d'où sortent encore des insectes aptères qui hivernent. C'est d'eux qu'au printemps de la deuxième année naissent par parthénogenèse des individus toujours aptères qui se répandent sur les pousses et les aiguilles et qui, dans le cours de l'été, donneront une nouvelle série ailée repartant sur l'épicéa d'Orient.

Sur le sapin de Nordmann, cependant, l'insecte peut, dans certains cas, se maintenir pendant plusieurs années sans retourner sur l'Épicéa.

Introduit accidentellement chez nous à la fin du siècle dernier, il n'a, en dehors des parcs ou collections d'arbres, trouvé aucune des deux espèces que nous venons de signaler. Il a cependant, et malheureusement, trouvé le moyen de s'adapter à notre sapin, sapin des Vosges ou de Normandie (Abies alba Mill.), pour lui causer de graves dommages.

Comme pour tous les cas analogues, c'est aux arbres dans de mauvaises conditions qu'il accorde sa préférence. Ce sont surtout les jeunes régénérations, jusqu'à 5 ou 6 mètres de hauteur, qui en souffrent. Partout où le sapin est en dehors de son aire normale de répartition, à une altitude trop basse et sur des sols trop perméables ou aux expositions chaudes, on peut être sûr qu'à un moment ou à un autre, le Dreyfusia Nüsslini fera son apparition plus ou moins tôt. Exceptionnellement, lorsque surviendront des périodes sèches comme nous en avons connues entre 1945 et 1949, les attaques pourront même gagner les abords de l'aire normale de répartition de l'essence. Mais le phénomène est sporadique et sans conséquences graves.

La présence du parasite est révélée au début par des petites taches blanches sur les écorces et les jeunes pousses, puis par de petits points noirs à la face inférieure des aiguilles lorsque les insectes se disséminent, au printemps. Enfin et surtout, dès la fin de la première année, par des déformations des aiguilles qui, sur les pousses terminales, se recourbent vers la face inférieure en donnant un aspect frisé qui contraste singulièrement avec l'aspect normal, doublement pectiné, des rameaux.

La deuxième année, les aiguilles des nouvelles pousses sont rares, déformées, et, la troisième année, la flèche est souvent tuée, ainsi que les extrémités des rameaux latéraux. Le mal est alors sans remède, l'arbre est destiné à périr.

Il arrive fréquemment que l'on trouve, en forêt, des sujets de 15 à 25 centimètres de diamètre à hauteur d'homme dont l'écorce est comme poudrée de minuscules flocons blancs. Il s'agit là d'une espèce très voisine, le Dreyfusia piceæ, cantonnée uniquement sur les vieilles écorces, sans grande importance pratique et dont la détermination ne peut être faite que par des spécialistes.

Le Chermès du douglas (Gillettella Cooleyi Gill.) est, lui, originaire d'Amérique du Nord où il se trouve cantonné dans l'aire naturelle de cette belle essence forestière.

Importé aussi en Europe, accidentellement, il a été découvert sur le douglas, en dehors de la France, pour la première fois, vers 1928-1929, en Allemagne, en 1938 au Danemark, en 1947 dans le Sud de la Suède, et est en continuelle extension.

Aux États-Unis, c'est un hôte alternatif de divers épicéas : épicéa de Sitka (Picea sitchensis Trautv.), épicéa d'Engelmann (Picea Engelmanni Engelm.), épicéa glauque (Picea pungens Engelm.) et du douglas (Pseudotsuga Douglasii Carr.). Comme le précédent, il ne retrouve ces associations que dans les parcs ou collections. Mais, ailleurs, il s'est abondamment répandu dans les reboisements de cette dernière essence. Il est localisé sur les feuilles, qui présentent des macules jaunes aux alentours des points d'implantation du rostre et sont quelquefois pliées à ce niveau.

Ses dommages sont réduits, mais sa présence est assez spectaculaire, car, abondamment pourvu de fils de cire, chaque insecte représente une boule cotonneuse de 1 millimètre de diamètre. Leur nombre donne parfois à penser, au mois de mai ou juin, qu'une neige fine vient de couvrir les arbres. Il en résulte très certainement une perte notable d'accroissement lorsque les arbres sont couverts d'une grande masse d'insectes.

On a pu penser, dès le début, à lutter, au moyen d'insecticides, contre ces parasites. La multiplication des insecticides de contact a permis de grands espoirs. Ces insectes sont, hélas ! bien protégés par leur revêtement cireux, et c'est encore à des formules anciennes que l'on a dû avoir recours, telles que pulvérisations de solutions ou de bouillies à base de nicotine, alcool et savon, par exemple. Ce sont des formules que l'on utilise pour la lutte contre le puceron lanigère. Mais leur prix de revient en élimine l'emploi en forêt, pour les réserver aux traitements de pépinières, d'arbres de parcs ou de collections. Les études se poursuivent dans divers pays, au fur et à mesure de la découverte de nouveaux produits, ou de la mise au point de nouvelles formules.

Il reste, en tout cas, un moyen préventif pour mettre les essences sensibles à l'abri des attaques. C'est, lors de l'exécution des reboisements, de ne planter que dans les conditions de milieu, température, sol, humidité, convenant à l'essence. Dans son milieu normal, même si une attaque se déclenche, elle est de peu d'importance et, en général, sauf cas particuliers de sécheresse anormale par exemple, sans danger pour l'ensemble du peuplement.

Ce point, sur lequel les reboiseurs ne porteront jamais assez leur attention, est valable pour la protection des peuplements aussi bien contre les attaques de toutes sortes d'autres insectes que contre celles des champignons parasites.

LE FORESTIER.

Le Chasseur Français N°665 Juillet 1952 Page 423