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Les cynocéphales en Afrique occidentale

Les cynocéphales — singes à tête de chien — sont très répandus en A. O. F. ; d'assez grande taille, ils peuvent atteindre 1m,40, ils vivent en groupe ou en bandes nombreuses.

Ils se nourrissent de graines, de fruits, de racines, etc., mais ne sont pas essentiellement végétariens ; ils ne dédaignent pas les œufs trouvés dans les nids, etc.

Très agiles et vigoureux, ce sont de terribles déprédateurs, ils saccagent en un rien de temps des plantations de manioc, de sorgho, de maïs ; ils sont friands de bananes.

Lorsqu'ils passent à proximité d'un village, ils volent, pillent tout ce qui leur tombe sous la main.

En général, c'est au moment de la plus forte chaleur qu'ils se faufilent entre les cases, massacrant la volaille, s'attaquant au petit bétail : chèvres, agneaux, qu'ils tuent et mutilent par plaisir.

Dans ces conditions, les menaces des hommes suffisent le plus souvent à les faire déguerpir.

Il n'en est pas de même si on a la malheureuse idée de les attaquer en pleine brousse. Non seulement ils se défendent avec acharnement, mais leurs réactions les rendent dangereux.

J'ai eu l'occasion de faire amplement connaissance avec ces animaux et avec leurs moyens de défense.

Nouveau venu au Sénégal, j'avais, au cours d'une tournée, quitté mon embarcation ancrée au bas d'un escarpement à la pente très raide couvert d'un herbage du plus bel effet.

J'avais atteint le haut de cette pente abrupte en la contournant ; mon calibre 12 au bras et six cartouches à plomb dans mes poches, je cherchais quelque menu gibier ; arrivé en bordure d'un petit bois, je vis derrière un arbre un cynocéphale qui me regardait, puis cachait sa tête pour la montrer à nouveau.

Par jeu et sans mauvaise intention, je le mis en joue. Peut-être avait-il été déjà tiré, car il prit peur, poussa un cri bizarre et se mit à fuir non sans m'avoir lancé un assez gros caillou ; alors, estimant qu'étant donnée la distance qui nous séparait mon petit plomb ne lui causerait pas grand mal, je tirai sur lui.

Il accusa le coup en hurlant plus fort ; en quelques secondes, neuf de ses congénères, sortis de je ne sais où, se mirent en devoir de me lapider ; tout leur était bon : cailloux, mottes de terre argileuse très dures parce que sèches, morceaux de bois avec ou sans épines.

Je me défendis tout en battant en retraite, je blessai deux de ces démons plus enragés que les autres et, en rechargeant mon fusil, j'en vis un autre s'avancer vers moi, déféquer dans sa main et me lancer son répugnant projectile.

« Cela passa si près que mon casque tomba. » Je ne fus pas atteint, l'honneur et l'odorat étaient saufs.

L'audacieux paya son geste, car il tomba face au sol après avoir reçu en pleine poitrine ma charge de 32 grammes de plomb n° 6 tirée côté choke à moins de dix pas. Les deux premiers blessés s'étaient enfuis. Comme j'étais sur le bord de l'escarpement dont j'ai parlé tout à l'heure, je n'hésitai pas à me laisser glisser sur ce toboggan d'un nouveau genre afin de me débarrasser plus rapidement de mes agresseurs.

Arrivé près de mon embarcation, les regards des laptots et une certaine fraîcheur ressentie au bas du dos me firent comprendre que j'avais laissé une grande partie du fond de ma culotte sur ma glissoire de fortune.

Les cynos, qui n'étaient plus que six, restèrent sur le haut de l'escarpement, gesticulant, grimaçant, m'insultant sans doute ; j'abattis le plus grand avec ma carabine restée au bord de l'eau ; il dégringola jusqu'aux pieds de mes hommes qui l'assommèrent aussitôt tant ils redoutaient les crocs des singes.

Les cinq derniers cynocéphales disparurent alors.

Peu après, je retournai sur les lieux du combat, je voulais voir le cadavre de ma première victime.

J'étais accompagné de deux indigènes chasseurs chevronnés ; nous vîmes du sang à terre, mais de cadavre, point.

Mes compagnons m'affirmèrent que les cynos emportaient et cachaient leurs morts. Où et comment ? Ils ne surent me le dire.

C'est en remontant le fleuve Sénégal bien au delà de Podor, à hauteur de Matam, mais sur la rive droite, c'est-à-dire en Mauritanie, que les cynos apparaissent.

Les femmes indigènes les craignent beaucoup, elles ne se risquent jamais seules dans les parages hantés par ces quadrumanes, et, lorsqu'elles doivent s'y engager, elles se réunissent en bande.

Les démonstrations amoureuses et l'audacieuse lubricité des cynos seraient, paraît-il, la cause d'une pareille tactique.

Pendant la saison sèche, un observateur patient pourrait voir, dès le coucher du soleil, les animaux les plus divers descendre les berges du fleuve pour s'abreuver ; parmi eux sont les cynos.

Ils s'avancent avec précautions sous la conduite d'un chef ; arrivés au bord de l'eau, c'est la débandade ; ils se bousculent, s'envoient des bourrades, boivent et souvent se frottent les mains mouillées ; on ne peut pas dire qu'ils se lavent les pattes, mais ils en font le simulacre.

Après quoi, ils se hâtent de regagner leurs retraites nocturnes qui sont autant que possible des anfractuosités de rochers.

En Guinée française, les cynos sont plus nombreux. Dans une région sauvage au bas d'une magnifique chute d'eau, entre Timbo et Ditin, il nous a été donné de voir un défilé d'une centaine d'individus du type « papion » se suivant lentement à la queue leu leu.

Surveillés et conduits par de solides mâles, ils passaient, les femelles portant leur progéniture, qui, accrochée par les membres antérieurs et postérieurs au dos de leur mère, pendait littéralement sous le ventre de celle-ci et dont, bien souvent, l'épine dorsale devait frictionner les aspérités de la piste.

Quand un arrêt se produisait, un des conducteurs accourait, distribuait de magistrales claques, il y avait des cris, des grincements de dents, puis la marche reprenait en bon ordre.

Ce spectacle aurait tenté bien des porteurs de caméras.

Passant en automobile sur les routes escarpées du Fouta-Djalon, on voit souvent des cynos qui regardent curieusement ; parfois certains imprudents veulent traverser la route ; calculant mal leur élan et trompés par la vitesse du véhicule qui passe, ils se font bousculer et parfois écraser.

L'un d'entre eux, ratant son élan, avait pu se suspendre au pare-chocs d'une auto durant une centaine de mètres, après quoi, le véhicule ayant ralenti son allure, le singe était reparti sans aucun dommage.

Certains animaux dont on craint la disparition sont protégés par des règlements qui interdisent de les chasser au fusil ou de toute autre manière.

Bien que les cynocéphales ne soient pas portés sur la liste des tabous, laissons-les en paix dans la lointaine brousse, mais, en revanche, ne les ménageons pas aux abords des villages, des plantations et des cultures où leur présence devient trop souvent une calamité.

MENGARDE

Le Chasseur Français N°665 Juillet 1952 Page 437