Accueil  > Années 1952  > N°666 Août 1952  > Page 451 Tous droits réservés

Chasse au chien courant

"Feu follet"

« Les chiens, voyez-vous, mon jeune ami, sont à la chasse notre unique sûreté. On peut leur faire confiance et, dans les moments difficiles, où vous doutez de tout et où vous cherchez la vérité, seuls souvent ils peuvent vous tirer d'embarras. » Et c'est par ces mots, formant tout un dogme, que M. Horace de Puyperdu trompait la longueur d'une soirée d'hiver où, après avoir en sa compagnie chassé un renard l'après-midi, j'avais retraité aux Aubiers. De lourdes bûches de chêne brûlaient dans la cheminée où le blason des Puyperdu présentait sur la pierre de la hotte ses figures curieusement héraldiques ; les lueurs rouges du brasier baignaient d'une chaude lumière le visage si caractéristique de mon hôte ; je le vois encore, immobile et flegmatique, conter de sa voix prenante des souvenirs vivants au fil de sa mémoire : « Ainsi, je songe dans mes premiers chiens à Feu Follet, un grand briquet tricolore très racé, ayant sûrement dans les veines du sang noble car il suait l'espèce par tous les pores de sa peau fine, et je peux le citer comme exemple. Il avait été acheté par un de mes parents de Charente aux alentours de La Roche-sur-Yon, qui, le trouvant trop vite pour ses chiens, me l'avait cédé. C'était un drôle d'animal, d'un caractère entier, lunatique, mais fort intelligent et capable de rendre de réels services, comme beaucoup de chiens courants quand on sait les comprendre. Feu Follet fut pendant son séjour à l'équipage, quelque cinq ans je crois, mon meilleur « baromètre ». Oui, je vois, le terme vous étonne, et cependant il serait difficile d'en trouver un plus juste. Il avait été ainsi baptisé par La Trace, le vieux piqueux de mon oncle Jehan, et La Trace, un rude preneur de gorets, s'y connaissait en chiens ! Feu Follet, en effet, les jours où la terre ne valait rien, nous le faisait vite savoir. À peine découplé, je le vois encore nonchalant, se rouler, bâiller, restant sur la lisière des bois, et alors c'était toujours la retraite manquée qui rassemblait la meute.

» Vous savez comme moi combien les circonstances atmosphériques prennent de l'importance au courre du lièvre. Par beau temps, lorsque l'air est calme, le ciel gris, le sol légèrement humide, quand la terre est bonne pour tout dire. Ses chiens paraissent voler et gobent le plus vigoureux capucin avec facilité ; mais, par vent ressuyant, l'approche de la neige, le dégel, quand la voie est mauvaise, qu'elle s'évapore et disparaît d'une façon inexplicable, vos meilleurs chiens sont vite dans l'embarras. Et c'est peut-être pour cela, ajouta mon hôte non sans malice, que l'on voit rarement de grands équipages chasser cet animal si difficile et si rusé et, je l'avoue, qui est un trop mince personnage pour le poursuivre en grand apparat ; cependant, sa prise, toujours incertaine, et qui ne dépend ni des chiens ni des hommes, ne peut convenir à des laisser-courre tant soit peu mondains, où l'on doit et où l'on veut sonner l'hallali. Le veneur qui chasse lièvre est généralement un modeste, un convaincu, suivant seul sa petite meute ou accompagné de quelques intimes, aussi passionnés que lui ; un insuccès ne le blesse pas, le triomphe prochain n'ayant que plus de prix à ses yeux de croyant.

» Or je veux vous conter un fait où Feu Follet, mauvais chien, je le répète, décida de la victoire. Cet animal paresseux et boudeur ne chassait, nous le savons, que lorsque la terre était bonne, ou que ses camarades étaient à bout de voie. Il fallait que le temps lui convienne parfaitement pour que notre « baromètre » entrât au fort ; bon rapprocheur et très fin de nez, il lançait souvent. Mais, dès que l'équipage avait rallié, il quittait la chasse et venait se mettre derrière mon cheval ou derrière celui du piqueux. Vous voyez, ce n'est point là manœuvre de bon chien et je ne conseillerai à personne de tirer race d'animaux affligés de semblables défauts. »

M. Horace s'arrêta un moment pour se recueillir et savourer une petite gorgée de la vieille fine qu'il chauffait dans sa main. Il ralluma sa pipe, si souvent éteinte, et reprit :

— Ce jour-là, je découplais au Bois-Rond, au sortir des Aubiers. Sur ce plateau s'étendait alors une mauvaise lande, parsemée d'ajoncs et qui gagnait un grand boqueteau. Tout cela est défriché maintenant, livré à la culture, et on a peine à croire qu'il y a vingt ans les Aubiers se dressait en plein massif boisé.

» Donc Feu Follet, le premier, prend une voie sur un chemin de terre, il entre au couvert, rapproche un moment, espaçant ses coups de gueule de sa gorge un peu sourde de cogneur et va lancer un lièvre près de la Croix-des-Joncs. L'animal se dirigeait vers moi, resté en arrière, et je vis bientôt un grand bouquin, roux et râblé, dont les oreilles pointaient vers l'inconnu de cette course menaçante, prendre la plaine. Le vent assez vif gênait les chiens, nous eûmes beaucoup de peine à les rallier, une queue s'étant formée qui avait pris la voie à 500 mètres des chiens de tête et qui, n'entendant pas leurs camarades, chassaient à beau bruit, mais n'avançaient pas. Aidé de mon petit valet, je parvins à les rompre, mais cela prit une demi-heure et je m'aperçus alors que Feu Follet avait disparu. Je ne m'en occupai guère, ayant autre chose à faire qu'à penser à ce cabochard quinteux et lunatique, me contentant de suivre mes bons toutous, qui filaient bon train, en plein bien-aller. Cela marcha ainsi pendant un moment, puis ce fut un défaut. Les chiens requêtaient en silence quand, à la suite d'une saute de vent, j'entends la voix sombre de mon Feu Follet qui menait dans le lointain, et tout seul. Je vous l'ai dit, l'animal était sûr, j'enlevai donc la meute et je rejoignis mon chien dans la lande des Aubiers. Les chiens, qui connaissaient les défauts et les qualités de leur camarade aussi bien que moi, avaient rallié facilement, et Feu Follet, très satisfait, abandonna aussitôt la menée pour se mettre derrière mon cheval.

» Nous passons de grandes bruyères, le lièvre revenait au lancer quand, au carrefour de la Croix-des-Joncs, nouveau défaut. J'assiste aux grands devants pris tout de suite par les requérants, un jeune chien semble avoir la voie, il crie un peu sur la berme du chemin et, continuant, fait bondir un lièvre rasé dans des herbes blanches ; les autres ont rallié et, comme dans ces fins de chasse Feu Follet daignait parfois travailler, se souvenant, car il était gourmand, des curées précédentes, je me crus obligé de l'encourager : « Au coûte ! Valet ! Au coûte ! » Mon tricolore — c'était le seul de cette couleur — se décide, saute au fourré, rejoint la meute, mais pour l'abandonner presque aussitôt et je l'aperçois prenant une allée : « Eh bien ! grand paresseux, cela ne sent pas encore assez la « cuisine » sans doute ? » Mais le chien continue, file au carrefour et, trois minutes après, je l'entendais mener d'une voix de tonnerre, en s'éloignant de nous. Mon petit valet suivant bien ses chiens, il m'était possible d'en avoir le cœur net, je pique des deux et, prenant de l'avance, je gagne les devants dans des bois qui me sont depuis longtemps familiers et arrive au passage que doit franchir l'animal poussé si gaillardement par les chiens ; après un moment très court, je vois sauter un petit lièvre gris ; c'était le change dont Feu Follet n'avait pas voulu ...

» J'arrêtai donc mes chiens et fis rallier sur Feu Follet ; quelques instants après, ils prenaient mon lièvre de chasse, le beau bouquin roux et râblé que j'avais vu par corps au lancé.

» C'est le seul chien parmi les nombreux que j'ai connus que j'ai pu croire de change sur lièvre dans les pays où j'ai opéré. Car, contrairement à ce que l'on a pu dire et écrire, j'ose affirmer que le chien de change sur lièvre est une exception, une rareté. Des vies entières de veneurs sont là pour nous en apporter le gage, et nous sommes loin, n'est-ce pas, mon jeune ami, conclut M. Horace de Puyperdu en achevant sa fine, de ces fameux équipages normands (d'autres disent gascons !) dont tous les chiens étaient de change sur lièvre. »

Guy HUBLOT.

Le Chasseur Français N°666 Août 1952 Page 451