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Tactiques

Tout chasseur a la sienne. Et même plusieurs. Bien entendu, chacun pense détenir la meilleure. Ne détrompons personne ...

Les façons licites de s'emparer du gibier sont multiples. Elles varient non seulement avec les espèces poursuivies et le chien employé, mais encore, pour un même animal, les procédés changent au cours des saisons. Terrain, conditions météorologiques, tempérament du chasseur influent peu ou prou sur nos modes de chasse.

Malgré cette diversité il existe quelques principes élémentaires connus de tous. N'est-ce pas évident qu'il faut battre le terrain « vent dans le nez » ? Non seulement votre compagnon à quatre pattes recueille plus facilement les émanations du poil ou de la plume, mais encore — surtout si la brise forcit — le gibier vous entend moins. Qui niera l'absolue nécessité de cette simple manœuvre ? Cependant, parfois, on l'oublie volontairement, surtout dans les chasses banales où l'on rencontre plus de chasseurs que de pièces.

On est aux premiers jours de l'ouverture. Une compagnie de perdreaux, bien fournie, prend son essor. Elle s'est posée à quelque deux cents pas. Vous connaissez le coin comme votre poche. Pour arriver à bon vent, vous devez franchir le ravin, puis remonter la pente assez rude : quatre ou cinq cents mètres au moins. En route. À mi-chemin, un double tonnerre résonne désagréablement à votre oreille. Cet orage prématuré ne dit rien de bon. Et, lorsque vous arrivez au point repéré, plus d'oiseaux ! Où sont-ils allés ? Où aller les chercher ? Si le « bombardier » continue la poursuite, lui emboîter le pas serait incorrect.

Ne blâmez point ce chasseur si, par la suite, il foule à deux pieds le principe fondamental afin d'arriver le premier pour jouir d'un bruyant départ.

Chasser lentement, très lentement, c'est mettre de son coté toutes les chances de voir le maximum de gibier et de le tirer posément. Que de pièces sauvées parce que le terrain a été traversé et non battu avec minutie ! Un souvenir ancien, mais fort précis, vient à ma mémoire. Par une matinée lourde de septembre, nous essayions de lever perdreaux et lièvres. Trois chasseurs, deux toutous zigzaguaient à travers chaumes, luzernes et labours sans rien lever. Fatigués, nous fîmes halte à l'ombre d'un chêne. Quelques minutes après apparaissait un vieux chasseur très connu, excellent tireur. Et le voilà explorant, sans se hâter, les terrains que nous venions de battre à grands coups, il faut l'avouer. Notre bonhomme avançait très lentement, revenait sur ses pas, s'arrêtait pour surveiller sa chienne, inspectait les moindres touffes. Et nous de rire doucement en le voyant se donner tant de mal alors qu'il n'y avait aucune pièce. Soudain, une détonation coupa notre conversation ; c'était un lièvre. Il est vrai que ces bêtes-là, quand ça dort ! ... Mais, peu après, un doublé énergique sur une compagnie de gris compléta la leçon.

Cette leçon ne m'a pas servi, je l'avoue. Malgré la certitude de tirer davantage, je ne peux adopter une tactique de chercheur de champignons. Il est agréable de rentrer le carnier rebondi, mais ce ne doit point constituer le but final. Pour moi, aller de l'avant dans une nature prodigue de teintes généreuses, riche de variété, demeure un plaisir dont je ne me lasse jamais. Saluer la compagnie de rouges d'un sec bonjour et lui faire un bout de conduite si elle en vaut la peine, d'accord ! Mais aller, venir, lever et relever des oiseaux fatigués, essayer de les anéantir, est-ce un procédé digne des vrais chasseurs ?

La partie solitaire se change souvent en sortie d'équipe. Une tactique générale se superpose alors aux tactiques individuelles. Sans elle, des accidents peuvent se produire ; sans elle, les longues heures de travail restent bien des fois stériles. L'erreur de manœuvre d'un exécutant suffit à anéantir le fruit de savants mouvements. Et lorsque la « grosse bête » se sauve, « l'autre » n'en mène pas large ! ...

Prenons le cas, plus courant, d'un oiseau ou d'un volier se dirigeant droit sur le chasseur. Ils sont encore loin. Vite un saut derrière ces roseaux. Erreur ! Ce mouvement a été décelé ; les volatiles changent de direction. La meilleure solution consiste, je crois, à garder une immobilité absolue jusqu'à ce que les oiseaux soient à une vingtaine de mètres. À cet instant, on a la marge nécessaire pour tirer en le devançant le premier du volier ; pivoter et doubler les derniers par cul. Parfois — je songe alors aux palmés — les longs cous, surpris, montent en chandelle, en se groupant dès que le fusil se lève. Belle occasion d'arrêter net l'ascension de quelques-uns !

Il y a aussi les tacticiens de l'approche, capables d'effectuer, même en terrain nu, de longs parcours sans éveiller la méfiance du gibier. J'eus l'occasion d'admirer un as de la reptation — type couleuvre ou escargot, je ne sais. En tout cas, je l'ai vu traverser une prairie semi-marécageuse à une allure si réduite qu'il était presque impossible de déceler le mouvement ; les vanneaux se laissèrent tirer à portée. Par fort vent, il adoptait certain camouflage spécial qui eût fait tiquer un brigadier pointilleux. Nous en arrivons ainsi à des tactiques — diurnes ou nocturnes— menant à la destruction massive. Ces procédés n'ont rien à voir avec la chasse pure, et nous laissons aux gardes le soin de les apprécier à leur juste valeur ...

Pour terminer sur une note plus gaie, pensons aux malchanceux — ne disons pas maladroits — qui arrivent rarement à tuer quelque chose. Le feu sacré, c'est beau, mais il faudrait tout de même rapporter rôti ou civet ... Un déplacement de 50 ou 100 kilomètres vaut bien cela, et la dame du logis sera contente. Avant le retour, sur place, il y a toujours un débrouillard heureux de vendre plume ou poil. Cependant, certains jours, rien à acheter. Quelle tactique adopter ? Le dimanche soir, les magasins restent fermés ... Dès le samedi après-midi, les prévoyants font leurs emplettes. Double avantage : certitude de n'être pas bredouille et possibilité d'épater les copains.

De mauvaises langues parlent encore de ce brave V ... qui, fin septembre, trimbala deux malheureux lapins sur son dos. Durant cette chaude journée, les bêtes auraient eu besoin de la fraîcheur du frigo d'où on les avait sorties. V ... rentra tard, harassé, sans penser à « mettre le nez dessus ». Catastrophe ...

— Demain, un bon civet ! dît-il à son épouse. Quand il rentra déjeuner, Madame lui demanda, non sans ironie :

— D'où viennent-ils, tes lapins ? Le « comme d'habitude », si vrai pourtant, déchaîna le drame, et les explications tentées ne firent que gâter l'histoire.

Allait-il seulement à la chasse, le dimanche ? Quel coup au cœur pour un enragé tel que V ... Si au moins Mirza avait pu parler et prendre sa défense ! ... Qu'il ait un coup de fusil tordu, d'accord ; mais de là à soupçonner que ...

Reconnaissons qu'il existe une catégorie de soi-disant chasseurs dont la sortie dominicale constitue un moyen rêvé d'évasion et d'aventures. Aubes glacées, coups de mistral ne les refroidissent guère. Paix au gibier. Ils en rapportent pourtant ...

Albert — toujours lui — m'a conté une petite histoire « tactique » aussi vraie que toutes celles qu'il connaît. Il s'agit d'un de ces chasseurs volages qui, après deux jours de Camargue (!), rentre au logis. Il n'a pas dépassé la grande banlieue, mais revient « sur les genoux » et chargé de gibier. Madame l'accueille avec un empressement peu ordinaire. Ce qu'elle a pu s'ennuyer durant ces quarante-huit heures ! En réalité, elle a mis en lumière la vérité du « Qui va à la chasse perd sa place » !

Au milieu de la nuit, le chasseur, tout en dormant, poursuivait le beau rêve de la veille. Il entend cependant sa compagne murmurer :

— Mon Dieu ... mon mari ... Vite !

Sans hésitation, l'homme bondit hors du lit, enjambe la fenêtre et saute ... du cinquième étage ! Il a dû trouver le voyage long et comprendre, un peu tard, qu'il n'était plus au rez-de-chaussée du pavillon habituel ... On trouva encore quelques petits morceaux. Albert termine par un « Dieu l'a puni » bien senti et ajoute : « Quant à sa femme, elle ne sait pas ce qui l'attend ! »

Tout comme nous.

A. ROCHE.

Le Chasseur Français N°666 Août 1952 Page 455