Cette chasse se pratique en période de fermeture et fait brûler
aux coins de l'horizon plus de paroles que de poudre. Les chasseurs citadins
sont plus nombreux dans cette compétition que leurs collègues de la campagne,
car, étant pour la plupart « Jean-sans-terre », il leur faut trouver
le carré de carton qui leur permettra de chasser sans le souci du gendarme.
Le carré de carton est une sorte de passeport qui permet de
franchir des frontières, mais il ne fait pas le gibier. Pourtant, en attendant
le grand jour, il entretient l'enthousiasme. C'est pour l'utiliser qu'on achète
des munitions, toutes plus savamment chargées les unes que les autres, des
chiens couverts de pedigrees mirifiques qui ne garantissent ni l'odorat, ni la
passion de la chasse, des corniauds aussi bons sur la caille que sur le
sanglier.
Il y a des actions de tous les prix, depuis la modique carte
à 100 francs de la société locale, qui n'a qu'une existence végétative,
jusqu'au prix élevé qui donne accès à un cercle fermé.
Naturellement la réputation d'un territoire du point de vue
cynégétique fait affluer les demandes. Certains chasseurs, pour qui la chasse
est un exercice sans passion et qui ne désirent que parcourir les champs avec
un fusil dans les mains, en tuant de temps en temps quelques alouettes ou
quelques grives, sollicitent une carte dans une chasse communale, c'est pour
être tranquilles et ne pas entendre des observations désobligeantes. Mais ils
veulent pour cela payer un prix raisonnable, de 500 francs à 1.500 francs
habituellement.
Au-dessus, il s'agit de communes où la chasse est mieux
organisée grâce à l'étendue des propriétés ou l'existence d'un domaine
communal. On paye en général la carte de 2.000 à 6.000 francs. Pour ce prix, on
ne peut avoir une chasse parfaite. Mais l'étendue de la commune, la valeur du
territoire permettent de chasser, parfois même de très bien chasser. La
conquête d'un gibier vraiment sauvage n'a que plus de valeur, et ceux qui y
excellent ont acquis une connaissance profonde des choses de la chasse.
Quant aux chasses réservées, leur valeur ne réside pas dans
le prix de l'action. Il y a d'abord le fonds sur lequel on chasse et, plus que
la façon dont il est exploité, la qualité des actionnaires qui se trouvent
réunis.
Ce sont là les deux éléments essentiels qui permettront à un
bon garde d'obtenir de bons résultats.
Dès la fermeture, beaucoup de chasseurs se mettent en quête
du territoire où ils chasseront la saison suivante. Certains quittent leur
terrain précédent parce qu'ils n'en ont pas été satisfaits, d'autres parce
qu'ils croient avoir trouvé mieux, d'autres parce qu'ils courent toujours après
une chimère qu'ils n'atteignent jamais. On fait intervenir les cousinages, les
relations, on loue des droits de chasse, on les aménage. On loue les enclaves,
soit pour profiter des voisins, soit pour s'y inclure. Tout cela, c'est déjà
chasser, nourrir des espoirs qui seront peut-être déçus. Dans cette période, on
peut voir à quel point la chasse provoque des jalousies et des rivalités ;
les intérêts personnels se donnent libre cours.
Hélas ! trop de propriétaires veulent à la fois le
gibier et l'argent des actionnaires, trop d'actionnaires ne sont pas décidés à
respecter les engagements qu'ils ont pris. À l'intérieur des chasses, les
privilèges excessifs de certains provoquent des abus de la part des titulaires
d'actions, et le gibier fait les frais de ces marchandages.
La chasse française repose sur les accords qui ont été
conclus durant la période de la fermeture, sur les résultats de la chasse aux
actions et aux cartes. Il est à souhaiter que l'éducation des chasseurs dans la
recherche légitime des actions leur ôte l’idée de profit.
Car, pendant ce temps, le gibier se reproduit. Des gardes
dévoués veillent sur lui.
Quelle joie que la rencontre de la première compagnie de
perdreaux ! On les surprend au détour d'un chemin, la mère inquiète
traînant l'aile, les poussins affolés courant dans l'herbe. Ici, à l'aube, ce sont
de tout petits lapins qui se hâtent vers leur lisière ; ailleurs ce sont
de jeunes canards encore duveteux qui rayent l'eau, là c'est un levraut tapi en
plein découvert et dont les gros yeux immobiles reflètent la terreur.
Ce jeune gibier paraît sans défense et à la merci de ses
nombreux ennemis. Pourtant il grandit vite. L'adaptation à son milieu est
parfaite, car un grand nombre triomphe des embûches et il arrivera jusqu'à
l'ouverture pour se heurter à ses pires ennemis.
Non, le chasseur ne doit pas être l'ennemi du gibier. C'est
une question d'éducation et de compréhension de la chasse.
Je ne crois pas qu'il soit possible de prétendre que la
chasse n'est pas un sport cruel. Mais sur le terrain, devant l'arrêt du chien
ou lorsque les cris d'une meute font retentir les bois de leur musique sauvage,
la passion de la chasse vous envahit. C'est alors, ami chasseur, qu'il faut
savoir n'être pas cruel inutilement, tuer avec modération, abréger les souffrances
de la jolie bête qui nous dispense notre plaisir à profusion, qui satisfait
notre orgueil lorsqu'elle est tombée sous nos coups, qui sur notre table
apportera le parfum des champs et des bois. Achevez sans tarder les blessés, ne
tirez pas trop loin, au risque de toucher du gibier qui sera perdu.
La chasse donne la connaissance de la nature qu'il faut
savoir protéger.
Jean GUIRAUD.
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