Nous avons vu (1) de quels spécialistes devait se composer
une meute de lièvre idéale.
Mais la grosse difficulté consiste à trouver tous ces
spécialistes, aux qualités et aux aptitudes si diverses, dans une même race.
Or, théoriquement, une meute, est faite de chiens de même type et de même race.
À part quelques individualités — qui sont comme des
exceptions dans la race — chaque race a ses caractéristiques propres, non
seulement au point de vue physique, mais encore au point de vue moral, au point
de vue des tendances et des aptitudes à chasser de telle ou telle façon.
Parmi les chiens d'une variété très fine de nez, très
attachée à la voie et très tenace, vous trouverez les chiens de centre,
rarement les chiens de centre avancé, et presque jamais les chiens de tête. La
plupart seront d'excellents rapprocheurs, mais pas très lanceurs au sens strict
du mot ; vous pouvez y rencontrer des chiens de chemin.
Dans une variété vive, passionnée, ardente et même
fougueuse, vous pourrez avoir plus de chiens de tête, ou très en avant, qu'il
ne vous en faudrait, d'excellents lanceurs, mais bien peu de chiens de centre
pur. J'ai un de mes amis, fanatique coureur de lièvre, qui me disait un jour avec
désespoir :
« Tous mes chiens sont beaucoup trop en avant ...
Ils filent, ils filent et il y a des défauts qu'ils ne peuvent pas relever. »
Cela tient évidemment surtout au tempérament propre de
chaque variété, mais cela tient aussi à ce que certains éleveurs ont trop
sélectionné d'une façon unique sur telle ou telle mentalité et telle façon de
chasser.
Lecoulteux de Canteleu le constate très judicieusement dans
son chapitre relatif aux croisements.
« Un bon chien étant la base de la chasse à courre et,
pour un chien courant, tout étant dans la nature et presque rien dans l'éducation,
il s'agit de toujours maintenir et même d'augmenter et de perfectionner les
qualités qu'il a et qui tendent toujours à se perdre.
» Le soin longtemps continué, de n'admettre pour la
reproduction que les individus de la même race constitue la pureté de la race,
mais le chasseur le plus expert apprend souvent par l'expérience qu'un certain
degré de perfection ne peut souvent se conserver ou s'obtenir que par
l'introduction passagère d'un sang étranger pour retremper et vivifier
l'ancienne.
» Les amateurs sans expérience commettent souvent la
faute de ne cultiver qu'une famille spéciale isolée, ou une forme particulière,
en perdant de vue l'intégrité générale ou l'amélioration future du tout. Aussi,
un éleveur voulant de la vitesse à ses chiens et ne pensant qu'à cela dans son
élevage et ses croisements pourra arriver à leur donner la vitesse du lièvre,
mais ce sera aux dépens de leur odorat, de leur sagacité et surtout de leur
voix.
» Les éleveurs ne sauraient trop se souvenir, comme une
loi établie de l'économie animale, qu'un degré supérieur et extraordinaire,
naturel ou artificiel, de quelques parties est toujours produit aux dépens de
quelques autres qualités. Ainsi, si l'on pousse le plus loin possible la
finesse de nez et la beauté de la gorge dans une race, elle arrivera à une
extrême lenteur, telle qu'elle pourra faire perdre l'avantage de la finesse de
nez, et cette loi est surtout visible dans les animaux dont les races sont
portées au plus haut degré de pureté. »
Ces réflexions de l'un de nos plus célèbres veneurs du
siècle dernier, qui a chassé tous les animaux du lièvre au loup, avec les
chiens les plus divers, du Basset (du type créé par lui et devenant Basset Lecoulteux)
aux chiens les plus rapides, grands Griffons et Poitevins, devraient être
connues et méditées de tous ceux qui parlent de la chasse aux chiens courants.
Ne sont-elles pas d'ailleurs la confirmation d'un proverbe
qui s'applique dans tous les domaines : « L'excès en tout est un
défaut » ?
Certains maîtres d'équipage (et la plupart de ceux qui en
tiennent exclusivement pour leur race), hypnotisés par la finesse de nez et la
gorge, ont sélectionné tout spécialement et presque uniquement sur la finesse
de nez et la beauté de la gorge : ils ont fini par obtenir des chiens
d'une lenteur désespérante, des chiens souvent musards et inaptes à la chasse.
D'autres, comme mon ami, après avoir constaté qu'ils
réussissaient merveilleusement avec des chiens très allants, très en avant et
très vite, ont sélectionné sur ces seules qualités. Ils ont obtenu des chiens
qui pèchent par manque de sérieux et de persévérance dans les défauts.
La grande difficulté, c'est de rester dans le juste milieu ...
et même, avant d'y rester, c'est de réussir à produire ce juste milieu.
La sélection est évidemment la loi élémentaire dans tout
élevage.
Mais, par la seule sélection, on ne parviendra pas à donner
à la race des qualités qu'elle n'a pas.
Comment, par exemple, donner de l'entreprise et de la
vitesse aux races trop ajustées et trop lentes ?
Comment, en revanche, assagir les variétés trop vites ou
trop légères sur la voie ?
En sélectionnant uniquement sur certains phénomènes dans la race
et en possédant les qualités recherchées ! D'abord, il faut admettre que
naissent de tels phénomènes. Ensuite, il faudrait des années et des années, et
une science, et une persévérance remarquables pour arriver à des résultats
intéressants. De nos jours, à supposer qu'ils pourraient y parvenir, les
veneurs ont trop d'autres occupations et préoccupations pour une entreprise aussi
aléatoire, et d'aussi longue haleine.
Alors, lorsque la race commence à s'affaiblir ou à
dégénérer, le seul moyen c'est de faire appel à un sang étranger.
Pour les chiens courants, en dehors de quelques virtuoses
qui tiennent à leur école, les chiens inutiles par manque de qualités, par
manque de tempérament, de résistance et de train, sont vite abandonnés.
Il y a longtemps que les veneurs ont résolu le problème qui
consistait à obtenir des chiens de même type et de même famille possédant des
qualités très différentes. C'est en produisant des anglo-français.
Dans mon article sur le Harrier porcelaine, j'ai parlé de ce
monsieur qui n'admettait pas qu'on puisse préconiser le petit chien de lièvre
anglo-français. Il allait même jusqu'à qualifier cette idée d' « ânerie ».
Mais ce puriste, qui ne voulait pas d'anglo-français, constituait une meute
anglo-française, avec des Artésiens normands, d'une part, pour faire de la
musique, et des Harriers gris, d'autre part, pour faire le travail !
Mais pourquoi ce qui avait si bien réussi pour les chiens de
grands veneurs, n'aurait-il pas été tout aussi indiqué en petite vénerie ?
Évidemment, comme dans tous les croisements, on ne réussit
pas à tout coup à produire un type parfait, intermédiaire entre les deux races
mères et accumulant en lui toutes les qualités différentes de ces races !
Ce serait trop beau ...
Mais, même en faisant des accouplements dans la race entre
sujets de premier ordre, on ne produit pas que du beau et du bon. Il y a
toujours beaucoup de déchets.
Si la production du petit anglo-français n'est pas encore
très homogène et très fixée (ce serait difficile avec les éléments les plus
divers dont les différents éleveurs font usage), la qualité est en général très
satisfaisante. La meilleure preuve qu'on en puisse fournir, c'est que, par les
fanatiques de la chasse au lièvre, le petit anglo-français est de plus en plus
employé, c'est que, aux épreuves de meutes, où les petits anglo-français
prennent part, ils se montrent toujours parmi les meilleurs et sont parfois les
seuls à forcer leurs lièvres au cours des épreuves.
Ils ont tout de même pris un peu des qualités des deux
races, et, parce qu'ils en ont pris à des degrés divers, on trouve précisément
des très en avant, des centres avancés et des chiens de centre pur. Ils ont
plus de nez, plus de persévérance que les anglais. Ils ont plus d'entreprise et
plus de vitesse que les purs français.
Et, comme l'écrivait fort justement Lecoulteux à propos des
chiens de lièvre : « Il faut qu'ils soient vites et pas musards. Il
faut qu'ils poussent leur voie et ne restent pas à crier sur place dans un
défaut. »
Le rôle du vrai chien de lièvre ne consiste pas seulement à
faire faire une petite promenade à l'animal avec accompagnement de lointaines
mélodies, mais à le harceler vigoureusement avec des cris de plus en plus
proches et de plus en plus menaçants !
Paul DAUBIGNÉ.
(1) Voir Le Chasseur Français de juin et juillet 1952.
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