Nous ne décrirons pas à nouveau le barbeau, l'ayant fait
déjà les années précédentes dans ces colonnes et puis parce que tous nos
confrères le connaissent fort bien. Ce gros cyprin, qui peut atteindre 0m,70
de longueur et un poids supérieur à 6 kilogrammes, est très répandu dans nos
cours d'eau. Il habite aussi bien les fleuves et les grandes rivières profondes
que celles de moindre importance aux courants rapides. Ces dernières, aux eaux
claires, fraîches, et aux fonds rocheux, tourmentés, sont son habitat préféré,
et c'est là que sa chair blanche et ferme constitue, malgré ses arêtes, un mets
des plus enviables. Le barbeau ne vit guère que sur le fond et c'est un
précieux nettoyeur de rivières. Aux vers, larves, mollusques et crustacés
aquatiques qui forment sa nourriture ordinaire, s'ajoutent tous les détritus
organiques comestibles que charrient les courants et qu'il saisit de ses
grosses lèvres cartilagineuses. Dans l'obscurité, il est guidé par ses quatre
barbillons, organes de tact très sensibles. Si, tant que les eaux restent
fraîches, il s'attaque de préférence aux matières carnées, à mesure qu'elles
baissent et se réchauffent, on voit croître sa prédilection pour les substances
végétales. Du 15 juillet à la fin de septembre, ce sont ces dernières qui
l'emportent. Blé, maïs, féveroles, raisins, pain ordinaire et noquettes de
chènevis sont acceptés avec empressement, ainsi que certaines pâtes composées,
secret de certains spécialistes, qui en obtiennent des résultats inconnus des
débutants. C'est de cette pêche que nous allons parler aujourd'hui.
Notons, tout d'abord, l'obligation de n'employer que des
pâtes fermes, étant donnée l'habitude du barbeau de se tenir dans les courants
accentués ; des pâtes trop molles seraient diluées en quelques minutes et
les esches devraient être si souvent remplacées que cela deviendrait
fastidieux. J'ai pu obtenir de certains spécialistes des renseignements sur la
composition des pâtes dont ils se servaient avec un éclatant succès et, n'ayant
rien d'un cachottier, je la dévoilerai à nos confrères.
Les principales sont : la pâte à l'ail ; celle au
chènevis ; celle à la crevette et enfin, la meilleure de toutes, la pâte
au gruyère.
La base de toutes les pâtes fermes est la mie de pain frais,
sortant du four.
La pâte à l'ail se compose de cette mie triturée avec de
l'ail réduit en purée à l'aide d'une solide fourchette en fer.
On agit de même pour la pâte au chènevis, mélange de mie
encore chaude, de graines de chènevis moulues très fin et d'huile de chènevis
comme liant. La pâte à crevette se fait de semblable façon, en pilant des
queues de crevettes un peu faisandées et en les mélangeant intimement avec le
pain. Enfin, la pâte au fromage demande du gruyère détrempé dans l'eau salée
pendant vingt-quatre heures et incorporé à la pâte le plus également possible.
De toutes ces pâtes, on fait des boulettes de la grosseur d'une forte noisette,
destinées à enrober complètement un grappin à trois branches qui y sera
entièrement caché. C'est plus péchant et tient mieux qu'à l'hameçon simple.
La pêche à la pâte s'adressant surtout aux belles pièces, il
faut être solidement équipé : canne en bambou munie d'anneaux et moulinet
contenant 50 mètres de soie imperméable, grosseur F ; bas de ligne de 5
mètres de longueur, en fortes florences ; gros catgut ou, mieux encore,
nylon 30/100e, transparent et élastique (résistance 3kg,500).
Chez nous, les pêcheurs à la pâte ne pèchent pas le barbeau
à la coulée ; les sols pierreux et inégaux, remplis d'obstacles, s'y
opposent. C'est donc à la ligne plombée ordinaire qu'ils opèrent, en employant
d'habitude deux de ces lignes simultanément.
L'amorçage préalable est nécessaire. Ce sont ordinairement
des fragments de tourteaux de la grosseur du poing et préalablement humectés
qui sont employés à cet effet. Ils coulent tout de suite et ne dérivent guère
que de quelques mètres dans le courant ; la longue traînée huileuse qu'ils
produisent en se désagrégeant lentement attire les barbeaux d'assez loin. Il
est bon d'y adjoindre aussi des boulettes de terre grasse, grosses comme une
orange, contenant une certaine quantité des matières dont est composée la pâte
dont on se sert : ail pétri avec du pain ou de la chair de crevette
écrasée, poussière de tourteau et enfin gruyère passé et fort, introduit soit
dans les trous de fragments de crassier d'usine ou à l'intérieur de coquilles
d'escargots vides. Cet amorçage peut se faire pendant plusieurs jours de suite,
le soir ; il n'en sera que plus efficace.
L'action de pèche.
— Elle n'est pas bien compliquée. Lancer les boulettes-esches
en douceur en même temps que la balle percée, au milieu de l'amorce. Veiller à
ce que le fil soit bien tendu, d'abord entre la boulette et la balle, ensuite
entre celle-ci et l'extrémité du scion, et poser les cannes sur leurs supports
habituels. Quelques pêcheurs se servent, comme indicateur, d'une courte plume
effleurant la surface liquide.
Tous les pêcheurs savent que le barbeau n'est pas tatillon, chipoteux
comme la brème ou la carpe. S'il n'a pas faim, il ne sortira pas de son repaire
ni ne remontera pas de l'aval. En cas contraire, il remontera sur l'amorce et,
quand le goût de la boulette-esche lui parviendra, il la recherchera avec
obstination. Quand, enfin, il l'aura trouvée, si elle est à sa convenance, vite
deux ou trois coups de nez pour mieux en apprécier la saveur, puis il l'engame
et fuit avec elle vers le large et en profondeur. Le scion salue, le fil se
déroule et la plume, si plume il y a, fuit délibérément. Le ferrage ne doit pas
longtemps tarder ; sans être brutal, il sera net et décidé, afin de
crocher l'adversaire par sa lèvre charnue.
La place me manque pour décrire la lutte avec un gros
barbeau, qui est parfois fort émouvante. La grosse affaire est de le décoller
du fond, et il faut le tenter dès le début, en relevant la canne à la
verticale. Il ne s'agira plus, ensuite, que de le maintenir entre deux eaux,
l'éloigner des obstacles et ne donner du fil que contraint et forcé, en tâchant
de le récupérer aussitôt que possible. C'est en manœuvrant avec prudence, mais
aussi avec décision et à-propos, qu'on arrivera enfin à amener ce lutteur
obstiné à portée de la grande épuisette qui doit faire partie intégrante du
matériel de tout pêcheur de barbeaux.
R. PORTIER.
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