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Pêche à la mouche

La manne blanche

La manne fait partie des espèces d'éphémères qui ont acquis la notoriété.
Boisset.

La manne blanche du pêcheur est un bien joli éphémère crépusculaire aux couleurs harmonieusement nuancées, blanc mat et jaune doré. Il apparaît fin août, septembre et jusqu'à la mi-octobre par éclosions parfois massives. Sur une largeur de 20 à 30 centimètres, j'ai compté dix à vingt insectes par seconde, qui passaient entre mes jambes emportés par le courant.

Quoique connaissant l'insecte depuis mon enfance où il m'intriguait vivement quand, sur le Pont-Neuf de Toulouse, je le ramassais à pleine main sur le parapet au pied des lampadaires où je le voyais tournoyer en vols serrés à la tombée de la nuit, j'ai mis beaucoup de temps, des années, pour le trouver sur l'eau. Apparaissant surtout en septembre, il passait inaperçu au chasseur que je suis. Une autre raison, c'est que ses éclosions se produisent aux mêmes heures et à la même époque que celles d’Oligoneuriella, pour lesquelles le pêcheur se déplace. En outre, Oligoneuriella, de couleur gris bleuté, paraît dans l'ombre du crépuscule plus clair qu'il n'est en réalité, et lorsque Polymitarcis Virgo, c'est le nom scientifique de la manne, apparaît, il ne donne pas au pêcheur non averti une impression particulièrement différente. Le pêcheur le prend pour Oligoneuriella, d'autant mieux que c'est ce dernier qu'il attend. Par ailleurs, je ne chasse pas les insectes. Je les capture quand je les trouve, pour la raison que ce sont, en général, ceux-là que les poissons gobent. L'occasion peut être longue à venir ...

Je me demande, d'ailleurs, si la manne existait bien réellement autrefois dans mes parcours presque quotidiens. La longue période de sécheresse, qui a sévi ces dix dernières années, a modifié le régime et le fond de la rivière. En même temps qu'il accentuait la disparition d'Oligoneuriella, le changement de régime n'a-t-il pas favorisé l'apparition de Polymitarcis et son développement ?

Mais, un soir, ce fut le désespoir du pêcheur complet. Dans toute ma soirée, Je ne pris que deux vandoises avec mon Oligo-Spent tout au début de la séance, ce qui me parut, après coup, très naturel. J'avais piqué cependant une dizaine de poissons, tous décrochés sur une touche molle et prolongée, preuve évidente qu'il y avait quelque chose d'anormal qui m'échappait. Je ne m'expliquai cette délicatesse du poisson qu'après avoir saisi, en déduction de mon raisonnement, l'un des insectes qui passait sur l'eau. Je me rendis compte, sans le discerner exactement dans l'obscurité, que j'avais affaire à un autre insecte qu'Oligoneuriella puisqu'il était blanc : c'était le cas typique du « désespoir » que j'avais pressenti. Deux insectes étaient sur l'eau simultanément, le favori était, comme de règle, le plus nombreux, c'est-à-dire, ce soir-là, Polymitarcis. Ayant compris, j'étais soulagé, car je cherchais, sans la trouver, quelle pouvait être la raison de ma bredouille.

Je rentrai donc allègrement à la maison avec quelques spécimens de cet insecte, dont je découvris facilement le nom en arrivant chez moi. En pleine lumière, il ne peut être confondu avec un autre.

La manne blanche étant très commune et très connue dans les régions où elle est en abondance, il pourra sembler peut-être superflu d'en faire une description. Mais je pense qu'il existe encore des pêcheurs, pris par les exigences de la vie, qui veulent savoir et qui n'ont pas les moyens de s'informer du nom et de la vie des insectes. C'est pour eux que je fais cette description. Elle est d'ailleurs nécessaire pour le montage de la mouche.

Un mot sur le comportement de ce Polymitarcis. Il est semblable à celui d'Oligoneuriella. Comme lui il vole à son arrivée au-dessus de l'eau en allées et venues, avec peut-être moins de vivacité ; plus de régularité dans le vol pendant un certain temps, il se rapproche ensuite du niveau de l'eau, où son vol devient plus irrégulier, vire-volte, se pose et pond d'un seul coup, se relève et tombe enfin sur l'eau qui l'emporte. Il est gobé au moment de la ponte, à l'état de « spent » et aussi, comme nous le verrons, à l'état de « subimagos ».

Il est attiré par la lumière, ainsi que beaucoup d'autres insectes. Ce comportement est mis à profit en certaines régions du Tarn, où les pêcheurs le ramassent en grande quantité sur des draps de lit sur lesquels on a mis une lanterne. Mélangé et pétri dans une pâte, il constitue un appât et une amorce de premier ordre pour le barbeau.

Description de l'insecte.

— Aspect général : joliesse, presque entièrement blanc. Quelques petites notes complémentaires de noir aux yeux, de jaune vieil or au thorax, de brun à la partie supérieure de l'abdomen précisent cette impression très agréable.

Dimensions d'un insecte moyen : cerques 15 millimètres, corps 12 millimètres, abdomen 6 millimètres, thorax et tête 5 millimètres, pattes de devant 6 millimètres, grandes ailes 16 millimètres, petites 7 millimètres. Mais les dimensions de cet éphémère sont essentiellement variables et justifient l'utilisation d'hameçons allant du n°12 au n°15. La dimension totale du corps varie chez le mâle et chez la femelle. Cette dernière, toujours plus grande, varie de 15 à 18 millimètres environ. Les ailes, couleur mate, blanc laiteux, transparentes dans l'eau une fois mouillées, sont grandes, même les rudimentaires. Les pattes sont blanches. Les cerques varient de 28 à 34 millimètres chez le mâle, plus courts chez la femelle ; cette dernière en a trois au lieu de deux chez le mâle. La femelle décidément bizarre transporte ses œufs en deux paquets oblongs symétriquement placés à l'axe de l'abdomen. On les distingue chez l'insecte en vol au début de l’éclosion et c'est assez amusant à voir.

Choix de la mouche et technique.

— Profitant de l'expérience acquise avec Oligoneuriella, je me suis décidé d'emblée à ne monter ma mouche qu'en « spent », c'est-à-dire en mouche à ailes horizontales taillées. Cependant je la monte aussi en araignée imitant le « subimago », ce que les Anglais appellent « dun », spécialement pour le jour. Je raconterai une autre fois la genèse de cette autre histoire. Comme pour Oligoneuriella, c'est dans les courants, les chutes, les rapides, dans le nerf même du courant qu'il faut pêcher, c'est là que passe la plus grande partie des insectes et que les poissons les attendent, en faisant vibrer la mouche, la retenant, la relâchant, traverser même le courant. Dans ces conditions, des mouches à ailes verticales sont vite déformées et flapies ; la mouche à ailes horizontales a plus de tenue, ses ailes vibrent dans le rapide courant. Elles reprennent naturellement leur forme « par construction » aussitôt que la mouche dérive. Elles peuvent indifféremment travailler en sèche ou en noyée, quoique logiquement leur place soit en surface. En tout cas, quelles que puissent être les raisons théoriques invoquées pour justifier ce choix, l'expérience, les résultats obtenus prouvent que le « spent » doit être préféré au moment de l'éclosion crépusculaire. Mais il peut être employé aussi, cela paraîtra surprenant peut-être, mais c'est une réalité, le jour, même au soleil, même sur la vandoise réputée pour être imprenable dans ces conditions. Sans doute, la pêche est plus délicate ; avoir le sens de l'eau, connaître la rivière sont nécessaires pour ne point s'épuiser en lancers inutiles ; la cadence des prises n'est pas aussi rapide que le soir, et il faut savoir ne pas insister dès que les montées cessent ; mais n'est-ce pas intéressant de prendre ainsi quelques poissons en plein soleil, en attendant le soir aux prises nombreuses, sans doute, mais combien plus faciles ?

La pêche à la manne se pratique avec le même succès à la mouche classique qu'au flotteur lesté, principalement en mouche sèche ou en surface. Adopter l'un ou l'autre de ces procédés suivant les lieux.

Montage de la mouche.

— Matériaux : hameçons n°13, de préférence, mais aussi 12, 14 et 15 ; hackles de coq blanc vieux, camail ou collerette à défaut, à barbules de moyenne longueur en rapport avec la taille adoptée et la longueur des ailes ; fil de soie et de préférence de coton mercerisé blanc non ciré, fil de soie marron clair ou tango jaune-or ; quelques barbules longs, en faire un petit pinceau de trois ou quatre pour les cerques.

1° FIGURE 1. — Mettre en place : cerques, hackle, fil blanc, fil jaune.

2° Enrouler fil blanc de c à b — b étant le commencement de la courbe — en prenant le fil jaune à partir de a seulement, c'est-à-dire à moitié de la hampe de l'hameçon.

3° FIG. 2. — Passer le fil blanc sous les cerques, revenir par-dessus, former le corps, laisser pendre le fil blanc.

4° FIG. 3. — Enrouler le fil jaune de a à c (fin au thorax par-dessus le fil blanc), l'arrêter par un tour de fil blanc.

5° FIG. 3. — Enrouler le hackle en entier de d situé à un millimètre de l'œillet à c — dix à quinze tours et plus, suivant hackle et hameçon — en remontant quelque peu vers a, le fixer par quelques tours de fil blanc et faire la tête avec le nœud final a à l'œillet, avec ce fil que l'on cirera à ce moment seulement.

6° FIG. 3. — Tailler les barbules suivant un plan horizontal parallèle à la hampe de l'hameçon suivant e-f — s'ils sont trop touffus, dégager en taillant à ras du corps, b — avec la pointe des ciseaux tenus verticalement. Les pattes doivent être plus nombreuses que dans la réalité (flottaison) sans excès toutefois.

7° FIG. 4. — Mouche vue de dessus en plan : Tailler les barbules à ras sur le thorax entre g, h, i, j. Tailler ensuite les barbules suivant le pointillé, verticalement d'abord, finalement araser tous les barbules verticaux pour ne laisser que les barbules sensiblement horizontaux ou des fragments de barbules raccourcis ne dépassant pas ce plan horizontal des ailes ; pour la forme des ailes, voyez fig. 4 : triangle aux angles arrondis.

8° Enfin tailler horizontalement les barbules au-dessous, en ménageant les pattes (fig. 5), profil schématique.

N. B. — Ne pas s'inquiéter si l'œillet de l'hameçon est un peu trop emmitouflé par les barbules des ailes.

P. CARRÈRE.

Le Chasseur Français N°666 Août 1952 Page 469