Pourquoi ce nom qui évoque un poisson allongé comme
l'anguille ou efflanqué comme le chichard ou étiré comme l'aiguille, donné à ce
beau poisson musclé et de si vaillante défense ? Je n'y vois aucune
explication valable.
Si l'on met à part le thon, qui ne peut se pêcher qu'en
barque, et le bar, qui n'atteint pas sa taille, c'est la plus sportive des
captures que peuvent faire sur nos côtes nos pêcheurs au lancer.
Le nom scientifique est plus beau que le nom vulgaire,
c'est le Sciæna aquila ou sciène aigle en français, dont Pline nous
informe que les Romains étaient si friands, presque autant que du rouget.
Il appartient à la famille, voisine des percidés, des
sciénidés, également représentée sur nos côtes par l'ombrine ou verrue. C'est
un poisson rond, assez allongé, au corps couvert de grandes écailles cténoïdes
comme celles de la perche ; il a deux nageoires dorsales, la première
tendue par des rayons épineux et durs et la deuxième moins haute, plus allongée
et molle ; la queue est large, à bord vertical et droit, semblable à celle
de la truite. La tête est massive, la bouche en avant, dans le prolongement du
corps, ce qui le distingue de l'ombrine ou verrue dont la bouche est nettement
infère et la lèvre inférieure munie de la verrue caractéristique ; sa
bouche est large, bien fendue et bien armée de dents aiguës. Le dos est gris
d'acier, les flancs plus clairs, le ventre plat et blanc ; ces couleurs se
fanent d'ailleurs vite sur le sujet mort ; la ligne latérale est très
nette et visible, légèrement phosphorescente la nuit et soulignée de taches
noires.
Les plus petits maigres qu'on capture sur nos côtes font au
moins la livre ; les plus courants vont de 2 à 6 livres, et les captures
de maigres de plusieurs kilogrammes ne sont pas rares ; les plus gros atteignent
jusqu'à 50 ou 60 livres et se font prendre le plus souvent à la barre de
l'Adour, lieu de pêche béni du grand maigre.
De par sa conformation, c'est évidemment un chasseur, un
carnassier ; c'est aussi un nocturne et c'est enfin un méridional. Abondant
sur les côtes d'Afrique, et notamment du Maroc, il ne dépasse guère, l'été
seulement, la latitude de l'île d'Oléron. Il existe également en Méditerranée.
Il chasse les bancs de sardines, de chichards, d'anchois ;
il recherche également l'encornet et la seiche.
Il pond au printemps, en pleine mer, des œufs très petits et
flottants. L'alevin et le jeune maigre sont, au début, planctonophages et, très
vite, recherchent crevettes et petits poissons ; aussi restent-ils au
large. Le maigre ne se rapproche des côtes qu'après la fraie à l'âge de deux
ans et lorsque sa taille est suffisante pour s'attaquer à des proies assez
grosses.
Dès mars, on en prend sur les côtes du Maroc, mais c'est à
partir du début avril qu'on le capture à Saint-Jean-de-Luz et à la barre de
l'Adour, puis il remonte vers le nord. Juin est la grande époque de sa pêche
sur la côte landaise ; après la barre de l'Adour, c'est le cap Ferret qui
est l'endroit le plus réputé. Les pêcheurs de surf-casting le pèchent en août
sur les côtes de Royan, à La Tremblade et jusqu'à La Rochelle. Puis il
disparaît en septembre, après un petit retour sur la côte basque, et gagne le
large, où il pond au printemps et recommence le cycle en apparaissant sur les
côtes marocaines.
Il est souvent confondu avec l'ombrine ou verrue ; j'ai
vu à plusieurs reprises des journaux sportifs publier des photographies
d'ombrines de 10 à 20 kilogrammes qui, en réalité, étaient des maigres.
L'ombrine, sur nos côtes, ne dépasse guère 2 à 3 kilogrammes, et le plus gros
spécimen capturé à ma connaissance pesait 8 kilogrammes.
On le pêche au surf-casting, la grande canne plantée dans le
sable et munie d'un gros moulinet, portant 100 mètres au moins de nylon 50 ou
60/100. L'équipement du pêcheur au lancer est bien connu et je n'y reviens pas.
Un gros hameçon est nécessaire, allant de 2/0 à 6/0. Les petits maigres, et
j'entends par petits maigres, les sujets pesant de 1 livre à 2 kilogrammes,
mordent à tous les appâts : ver de sable, seiche, lagagnon, etc. Le maigre
de plus grosse taille a une préférence marquée pour la seiche salée ou, mieux,
fraîche, taillée en languette pointue en forme de triangle de 2 à 3 centimètres
à la base et allant de 6 à 10 centimètres de longueur. Un morceau d'anguille
fraîche constitue aussi un excellent appât. En barque ou du haut d'une
estacade, et en particulier à la barre de l'Adour, les sportifs feront de
belles captures à la cuillère tournante ou ondulante et surtout à l'anguille
artificielle constituée d'un rouleau ou tuyau de caoutchouc de couleur noire ou
rouge, long de 10 à 20 centimètres. C'est au large de la barre de l'Adour qu'il
m'a été donné de voir, par eau claire, une file de maigres de taille
respectable à l'affût entre les rochers, à l'embouchure de la puissante rivière
qui leur apporte de la nourriture et fait défiler devant eux les petits
poissons. Le Gouf de Capbreton est également un excellent réservoir de maigres.
La touche du maigre est brutale et il arrive d'être cassé,
mais ce méfait est souvent causé par un petit squale fréquent sur nos côtes et
qui est le chien de mer.
Quand le maigre est de belle taille, il faut se méfier de sa
défense, surtout au dernier brisant ; c'est là que se produira le plus
fréquemment la casse ou le décrochage. Si vous n'avez pas de compagnon de
pêche, il sera nécessaire d'entrer résolument dans l'eau. Le dernier « rouleau »
de vague doit être étroitement suivi au moulinet en gardant soigneusement le
contact avec le poisson par un fil constamment tendu jusqu'au déferlement sur
la plage. Bloquez alors le fil et gardez la canne haute ; le gros poisson
arrive sur le sable dans les quelques centimètres d'eau du brisant qui s'étale.
Toujours la canne haute, que vous passez dans la main gauche, gaffez prestement
quand l'eau étalée se retire, en maintenant échoué sur le sable humide le
poisson qui devient vôtre, mais qui voudrait bien suivre son élément naturel en
retraite.
Le maigre est un nocturne. Sa capture en plein jour,
fréquente avant 1939, avant la vogue du surf-casting et la floraison de
chassepots sur les plages, est actuellement assez rare. Les captures se font de
nuit avec deux points de fréquence très marqués au coucher et au lever du
soleil. Comme circonstance favorable, citons aussi une mer mi-montante et une
eau peu agitée. La nuit, le morceau de seiche, toujours légèrement
phosphorescent, reste le meilleur appât avec l'arénicole.
Enfin, le maigre est un excellent poisson, quelles que
soient sa taille et la cuisson, bien que de chair un peu sèche, surtout en
début de saison quand il relève de la fraie ; à ce moment d'ailleurs, sa
défense est beaucoup moins vigoureuse.
LARTIGUE.
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