Lorsque ces lignes paraîtront, nous saurons ce qu'auront
valu nos coureurs cyclistes amateurs aux Jeux olympiques à Helsinki, et si l'un
d'eux — pour le moins — a cueilli le droit de porter les anneaux
symboliques sur son blanc maillot pour une durée qui ne devra pas prendre fin
avant le 31 décembre !
Car n'est pas amateur (ou professionnel) qui veut. J'entends
bien qu'il serait inconvenant, au lendemain même d'un triomphe olympique (comme
du gain d'un championnat du monde des purs), de monnayer une qualité et un
titre couverts par le plus complet désintéressement.
En vrai, l'état « amateur » est aussi faux que
l'état « professionnel ». L'exemple de Pierre Adam (parmi tant
d'autres), qui fit partie à Londres de cette si belle équipe française de
poursuite avec Coste, Decanali et Blusson, est à retenir.
Il a encore dans les tympans les « hurrah ! »
formidables qui saluèrent la victoire des nôtres sur une quadrette italienne
considérée comme imbattable sur le papier ... mais qui le fut, quand même,
sur la piste. Il se souvient de cette journée, unique dans sa vie, qui lui
valut, par sa grâce et celle de ses camarades, de voir monter dans le ciel
d'Angleterre les couleurs de France. Il serait prêt à recommencer et à
continuer.
Las ! il est devenu pro. Par la faute de qui ou de quoi ?
Je ne sais. Toujours est-il qu'il ne court qu'insuffisamment, pour ne pas avoir
à gagner sa vie autrement et d'ailleurs très noblement.
Serait-il resté amateur qu'il travaillerait autant comme
clerc de notaire, dessinateur ou épicier ; mais il courrait plus souvent
et pour son plaisir exclusif ... pour s'amuser ... et
vraisemblablement serait-il encore qualifié en vue des grandes rencontres
internationales.
Je cite son exemple parce que je connais plus
particulièrement le cas de Pierre Adam que celui de ses équipiers, eux aussi
voués au professionnalisme.
La discrimination « professionnel-amateur » est un
crime pour le sport et pour l'individu. La licence unique, avec suppression des
classes, rendra un jour ses droits à chacun et écartera le risque de scandales
dont eurent à souffrir Jules Ladoumègue et Jean Maréchal, pour avoir été moins
habiles ou plus malchanceux que d'autres.
En mai dernier, l'ancien champion, Georges Paillard, a
ouvert, au Parc des Princes, une école des stayers. Désireux, en effet,
d'éviter la mort sportive d'une telle spécialité, il s'est mis dans la tête de
découvrir des jeunes aptes à coller, à 80 kilomètres à l'heure, au rouleau
d'une moto archaïque et à grandir par les conseils qu'il leur prodiguerait.
Le choix du jeudi a permis à Paillard de donner ses cours
devant les écoliers, spectateurs auxquels le vélodrome concéda la gratuité. En
ce faisant, il a peut-être ouvert la porte à ces journées cyclistes des jeunes
dont nous parlions récemment ici même.
Dans une époque lointaine, l'ancien sprinter Lucien
Faucheux, devenu directeur du vélodrome de Bordeaux, ouvrit lui aussi une
école, mais pour sprinters, à la piste municipale du bois de Vincennes, dont
les habitués avaient fait de lui le pape !
Cette école aurait grand besoin de revoir le jour.
Le Tour de France s'est terminé le mois dernier, précédé ou
suivi d'autres grands tours internationaux et de tours régionaux.
Qui n'a vu passer ces pelotons de coureurs captant
l'attention durant trente secondes, cependant que la caravane, préalable et
publicitaire, tonitruait pendant deux heures d'horloge ?
Avez-vous remarqué les enfants des villages, rassemblés par
leurs maîtres, et coiffant ces palettes qu'on leur distribuait où figure
l'inscription parfois bannie dans la presse ?
Avez-vous remarqué ces plateaux roulants portant cent fois
grossi l'engin ou l'ustensile de nos rêves ?
Avez-vous goûté cette musique « charmante »
dispensée par des disques plus affolés que les pédaliers des géants de la route ?
Avez-vous ? ... Avez-vous ? ...
Par contre, après avoir applaudi les champions, avez-vous
songé à saluer ces directeurs sportifs juchés sur des voitures garnies d'un
matériel soigneusement disposé ? Sans ces choses — hommes, vélos,
roues, voitures — un peloton de coureurs serait vide de sens dans les
temps présents. Sachez que les directeurs sportifs, pour la plupart anciens
champions, s'ils ne courent plus avec leurs jambes, courent encore avec leur cœur ...
Ils ne sont pas la partie négligeable d'une course, mais le cerveau qui
commande.
René CHESAL.
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