Quand, il y a vingt-cinq ans, le grand éducateur
américain Mackensie vint en Europe s'informer de nos méthodes d'éducation
physique, il les estima remarquables, mais il s'étonna de cette sorte de
partialité, allant jusqu'à la jalousie et au dénigrement réciproque, qui
existait entre elles, et qu'il appelait « la guerre des systèmes ».
Or la situation n'a guère changé, et la plupart des adeptes
haussent l' « esprit de corps », louable en soi, au point de faire de
« leur » méthode une panacée universelle et d'oublier et de mépriser
toutes les autres. Ici, comme en éducation générale, cette tournure d'esprit a
pour résultat une spécialisation étroite et sectaire, qui se fait au détriment
de la culture générale. Vouloir ne connaître qu'une méthode et ignorer tout ce
qui n'est pas conforme au catéchisme de celle-ci, c'est aussi ridicule et
malfaisant que si un élève de lycée qui se prépare à entrer dans la vie disait :
« Je ne veux faire que de l'histoire, ou que de l'algèbre ; je veux
ignorer tout ce qui se passe dans les classes de latin, de français ou de
chimie ! »
Qui pense et agit ainsi deviendra peut-être un bon ouvrier,
ou un bon élève, mais jamais un patron, ni un maître.
Si toutes les grandes méthodes d'éducation physique sont
excellentes et leurs auteurs dignes de notre reconnaissance, aucune d'elles ne
peut prétendre être a priori la seule bonne, ni la meilleure, ni être
applicable à tout le monde avec les mêmes bienfaits. Car la vérité est que les
mouvements que l'homme peut accomplir ne sont pas tellement nombreux. Ils se
réduisent à six groupes : flexions, extensions, adductions, abductions,
rotations et circumductions.
Mais il y a la manière de les utiliser et de les combiner,
l'ordre dans lequel ils se succèdent, leur étendue, leur dosage aux différents
âges, pour chaque sexe et pour chaque constitution. L'éducation physique n'est
qu'une question de mesure, et c'est surtout par la perfection du « style »,
c'est à-dire du geste, que les méthodes se différencient les unes des autres.
Mais, quand on ne considère que l'aboutissement, il se ressemble fort lorsque
l'on assiste à deux mouvements appartenant à deux méthodes différentes. Il faut
donc s'affranchir de toute doctrine cataloguée et exclusive, et, sous prétexte
qu'on appartient à une école, de jeter par principe le discrédit sur la méthode
voisine, qui n'est une « concurrente » que pour des raisons
matérielles ou publicitaires.
Les résultats physiologiques obtenus sont également bons
dans toutes les méthodes actuellement en vogue, parce que chacune d'elles a
fait ses preuves au long d'années de travail et de mise au point, qu'il
s'agisse des méthodes suédoise ou de Joinville, allemande ou Sokol, Ling,
Hébert, Demeny ou Isidora Duncan. Sous ces titres se cachent diverses modalités
d'un même mouvement, sous des formes convenant plus généralement à l'enfant, à
l'adulte ou à la femme, mais qui aboutissent à des résultats comparables,
L'important, c'est qu'ils soient bien faits, c'est-à-dire dirigés par un bon
professeur et exécutés par un élève bien doué.
Leibnitz disait : « Tous les systèmes sont vrais
dans ce qu'ils affirment, et faux dans ce qu'ils nient. » Ce que M. de
La Palice traduit : « La façon de donner vaut mieux que ce qu'on
donne. »
Car les gestes qu'ont précisés les graveurs au temps de Périclès
servent toujours de modèle aux aspirants aux titres olympiques de 1952, et le
rythme ordonné par la musique existait, dans les fêtes du muscle, il y a trois
cents ans, comme il existe aujourd'hui chez Malkowski ou chez Irène Popard. Simonide
de Céos, dans son école du Choragion, située près du temple d'Apollon,
enseignait à la fois « la déclamation, la musique et les belles attitudes »,
mais lorsqu'elle faisait, comme on dit aujourd'hui, une « démonstration »
devant les dieux, elle avait soin de la faire exécuter « par des citoyens
choisis ». Toute la question est là !
Du point de vue technique, nul ne peut se vanter, en matière
d'éducation physique, avec certitude, d'avoir inventé depuis trois siècles
quelque chose de nouveau, et notre effort à tous, depuis cinquante ans, n'est
qu'un renouvellement.
Par contre, ce qui est important, c'est de déterminer les
limites au deçà desquelles l'exercice est insuffisant pour apporter ses
bienfaits à un individu donné, et celles au delà desquelles il devient pour lui
nuisible. On l'a bien compris lorsque, il y a quinze ou vingt ans, on a
commencé à créer un corps de professeurs qui ne soient plus seulement des
techniciens d'une méthode, mais de véritables éducateurs, armés d'un bagage
pédagogique et physiologique nécessaire à la fois de la conduite et à la
surveillance de l'entraînement. Et, si nous possédons une supériorité sur les
anciens en matière d'éducation physique et sportive, c'est probablement sur le
chapitre de l'interprétation et du dosage de l'effort.
Dr Robert JEUDON.
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