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Yachts et yachting

La Coupe de l'"America"

La coupe de l'America a fait courir les yachts les plus célèbres et les plus prestigieux du monde. Son histoire remonte à 1851. Cette année là, les Anglais eurent la surprise d'apprendre que la goélette America, de 170 tonneaux, venait de traverser l'Océan sous gréement de croisière et d'arriver au Havre, où elle se gréait en course dans le but de participer aux régates de Cowes.

Les Américains, nouveaux venus au yachting, avaient travaillé selon leurs idées personnelles, et leur technique, nettement révolutionnaire, ne manqua pas de soulever une vive curiosité et de sévères critiques. Le 22 août 1851, huit goélettes et neuf cotres anglais prenaient le départ contre l'unique représentant de l'Amérique. Dès le début, l'America dominait ses concurrents et gagnait facilement la course. Un siècle s'est écoulé depuis cette fameuse victoire. Mais le vieux conquérant de la coupe n'a rien perdu de son prestige, et il reçoit tous les jours des visiteurs curieux de sa célébrité, sur les rives du Potomac, où il a pris sa retraite sous la protection de l'École navale américaine.

Le prix, qui était de 500 guinées, fut remis triomphalement au New-York-Yacht-Club, et il allait devenir la coupe de l'America.

La défaite anglaise, en présence de la Reine, fut considérée comme une humiliation nationale. Il y eut une interpellation à la Chambre des Communes, et on se prépara à la revanche. Ce n'est qu'en 1870 que James Ashbury, propriétaire de la célèbre goélette anglaise Cambria, décida de courir pour la coupe. Il s'aligna contre 25 goélettes. Quinze seulement terminèrent la course, qui fut gagnée par Magic, et Cambria ne put se classer que dixième.

En 1871, nouvelle tentative avec la goélette Livonia. Il fallait gagner 4 courses sur 7. Livonia les perdit toutes, sauf une. En 1876, on vit un bateau canadien courir pour la coupe. Il fut lamentablement battu. En 1881, même échec d'un autre candidat canadien, l’Atalante.

Comme les courses avaient soulevé, à diverses reprises, des réclamations, la coupe reçut alors un règlement définitif qui subsiste encore.

En décembre 1884, les Anglais ont mis au point deux cotres réputés imbattables, Genesta et Galatea. Finalement, c'est Genesta qui est choisi pour défendre les couleurs anglaises. Les Américains se sont surpassés, de leur côté, avec le célèbre Puritan et, une fois de plus, c'est l'Américain qui gagnera la course. En 1886, le champion anglais est Galatea. Les Américains mettent en ligne Mayflower, et le yacht anglais est battu en deux manches.

La technique anglaise, considérée jusque-là comme supérieure, se trouve nettement dépassée. Le cotre anglais, étroit, profond et lourd, est largement battu par le dériveur américain de construction légère.

En 1887, défi écossais, avec le cotre Thistle, grand favori des deux côtés de l'Océan. Cette fois, la technique anglaise a évolué. On recherche la plus grande surface de voilure et l'allégement. Le champion américain est un nouveau bateau, le Volunteer. La rencontre est suivie par plus de cent mille spectateurs. L'Angleterre espère enfin prendre sa revanche et ramener la fameuse coupe. La première manche est gagnée par les Américains. La deuxième, courue par grand vent, est un match serré et passionnant, longtemps indécis. Mais c'est encore Volunteer qui gagne et sauve la coupe. En 1893 et 1895, deux vaines tentatives écossaises, les dernières. Écœurés, les Écossais abandonnent. L'Irlande, à son tour, va tenter sa chance, et Sir Thomas Lipton va aligner ses fameux Shamrock.

C'est en 1899 que le premier Shamrock rencontre le defender américain Colombia. Mais Shamrock perd toutes les manches. Sir Lipton ne se décourage pas et fait construire Shamrock-II, véritable merveille de l'architecture anglaise. Cette fois, les Américains sont très inquiets. Ils n'ont à lui opposer que le Colombia, le vainqueur de 1899. Cette rencontre de l'année 1901 fut une des plus émouvantes de l'histoire de la coupe. Le premier jour, Shamrock mène toute la course. Mais, sur la fin, le vent tombe, et Colombia le passe au vent arrière et gagne de 37 secondes. La deuxième course est régulièrement gagnée par Colombia, par bonne brise. La troisième course fut fertile en péripéties. Les deux bateaux luttèrent longtemps bord à bord, se passant à tour de rôle, devant une foule haletante. Finalement, Shamrock, bien qu'arrivé premier, ne pouvait remonter son handicap et il perdait la dernière course et la coupe. En 1903, un Shamrock-III tente sa chance. Mais les Américains ont fait construire un formidable champion, le Reliance, qui gagne les trois manches avec facilité. Sir Lipton n'a pas désarmé, et, en 1920, il présente Shamrock-IV contre le champion américain Resolute. Le premier jour, Resolute a une avarie, et il abandonne. Le second jour, Shamrock gagne la course. L'Angleterre est en effervescence. Plus qu'une course à gagner, et les défaites accumulées depuis 1851 seront vengées ! Mais, au cours des 3e, 4e et 5e manches, Shamrock est battu. Dix ans plus tard, dernière tentative de Sir Lipton. 1930 voit arriver en Amérique un des plus beaux et des plus inquiétants champions anglais avec Shamrock-V. Les Américains ont construit quatre bateaux et ils sélectionnent le meilleur, l’Enterprise. C'est un yacht extraordinairement rapide, et il est muni des derniers perfectionnements de la technique. Son mât, de 52 mètres, est en aluminium, et il ne pèse que 1.815 kilos, alors que le mât en bois de Shamrock pèse 2.810 kilos. Il possède 43 voiles, et M. Vanderbilt, qui l'arme avec son syndicat, a dépensé 18.000.000 de francs de l'époque, alors que le bateau anglais n'a coûté que 3.750.000 francs. Dès le début, Shamrock est nettement dominé. Enterprise gagne toutes les courses, et Sir Lipton abandonne ses glorieuses tentatives.

En 1934, les Anglais, qui ont fait un effort considérable, présentent l’Endeavour, contre le Rainbow, champion américain. Ce fut une course palpitante, où l'Anglais gagna la 1re et la 2e course, bien que son équipage de professionnels se fût mis en grève au dernier moment et dût être remplacé par un équipage d'amateurs, qui s'en tira d'ailleurs fort honorablement. Les 3e et 4e courses furent gagnées par le yacht américain. Les deux champions sont à égalité, et les deux bateaux se valent sensiblement. Une fois de plus, l'Angleterre est dans la fièvre. Mais c'est la supériorité de manœuvre des Américains qui sauvera la coupe, en gagnant les 5e et 6e courses après une lutte serrée et passionnante. Dernière tentative en 1937, où le champion anglais Endeavour-II se fait battre par le Ranger, qui gagne les quatre courses brillamment et se révèle alors le meilleur et le plus rapide de tous les yachts qui ont participé à la fameuse coupe, affirmant d'une façon indiscutable la suprématie de la technique américaine pour les yachts de grande classe.

La coupe de l’America a contribué plus qu'aucune autre au progrès de l'architecture navale, de la voilerie et de l'accastillage. Son histoire groupe les noms les plus fameux du yachting international. Mais construire et armer un grand yacht dépasse aujourd'hui les possibilités de la vieille Europe, et il est probable que la plus célèbre de toutes les coupes du yachting restera longtemps encore de l'autre côté de l'Océan.

A. PIERRE.

Le Chasseur Français N°666 Août 1952 Page 478