Au cœur des immensités océanes, un îlot solitaire reçoit
un jour la visite d'un navigateur de passage. C'est une terre nouvelle, non
portée sur les cartes. Avec un empressement compréhensible, le capitaine en
signale l'existence. Future base navale ou lieu de pêche, les gouvernements
s'émeuvent et s'en disputent la propriété. À grands frais, un navire est
parfois envoyé pour en prendre officiellement possession. Sur les lieux
présumés, le bateau erre longuement, tourne et retourne autour de l'île insaisissable.
Les jours passent ... Il faut se rendre à l'évidence. Si une terre
existait là, voici quelques mois, elle n'y est plus à cette heure. Alors les
experts se penchent sur ce cas étrange, mais bien connu dans les annales
maritimes. Une erreur de position dans le relevé de l'île, une illusion, une
île de vapeur ou de glaces fondantes, autant de causes possibles dont l'une ou
l'autre a joué sans doute.
Ainsi, perdue dans les solitudes de l'Atlantique Sud, fut le
destin de l'île Bouvet. En 1739, un navigateur de ce nom la découvrait.
Recherchée ensuite, elle échappa aux poursuites les plus minutieuses. Et,
pourtant, elle existait réellement puisque, cent cinquante-quatre ans plus tard,
un équipage allemand abordait à ses côtes, mais à plus de 50 kilomètres de
l'endroit précédemment indiqué. Était-ce bien la même, cependant ? À n'en
pas douter, si l'on s'en référait à la description donnée.
De grands navigateurs s'y sont trompés, tel Dumont
d'Urville. C'était en 1840. Il croisait dans les mers antarctiques, que brumes
et glaces se partagent souvent, quand une ligne claire courut sur l'horizon.
Plusieurs jours durant, il suivit le rivage de cette « terre », à
laquelle il donna le nom d'île Clarie. Les navigateurs avertis en prirent bonne
note. Certains gagnèrent ces parages et là cherchèrent en vain. L'île Clarie
avait fondu comme un vulgaire glaçon, mais un glaçon géant qu'elle était.
Parmi ces îles éphémères qui défrayèrent la chronique
maritime, il en est une dont l'histoire vaut d'être contée, car elle est le
type même de la fantaisie et de l'énigme.
Toujours dans l'hémisphère austral ... Deux îlots qui
seraient sans intérêt s'ils n'abritaient d'importantes colonies de phoques à
fourrure. Leur renommée courait les ports au temps du roi-soleil. En 1841, un capitaine
de baleinier anglais s'y rend, y débarque, en note les caractéristiques
essentielles et la baptise « île Dougherty », de son propre nom. Deux
navires qui s'y rendent ultérieurement et indépendamment, complètent les
données premières.
Or l'île aux phoques, présentant un réel intérêt commercial,
allait provoquer le départ successif de plusieurs navires baleiniers. Mais
leurs recherches s'avèrent désastreuses. Sur 100, 200, 250 kilomètres, la mer
est balayée en tous sens. Rien, il n'y a rien ... Comment, d'ailleurs, une
terre aurait-elle pu émerger en ces lieux où, justement, l'océan accuse une
profondeur de 4.000 mètres ? Il faut en faire son deuil. Tous les marins
du monde n'auront plus à rechercher, par 60° de latitude sud et 120° de
longitude ouest, l'île fantomatique qui avait bercé tant d'espoirs.
Un vieux marin norvégien, cependant, dénia cette disparition
et déclara formellement : « L'île existe. Je l'ai vue, de mes propres
yeux vue. » Sur la foi de ses dires, un navire prit la mer, courut vers cette
fortune délaissée ... et rentra quelques mois plus tard avec la triste
certitude que l'île aux phoques, réalité d'hier, avait fait retour, à cette
heure, aux abîmes de l'océan, emportant son secret avec elle.
Unique ce cas, pensez-vous. Allons donc ! Qu'il nous
suffise de nommer, parmi d'autres, l'île d'Émeraude, l'île de Petermann, l'île
de Gillis ... Mieux encore, parfois c'est tout un archipel qui se livre au
jeu subtil d'une apparition et d'une disparition aussi inexplicables l'une que
l'autre, comme l'archipel Nimrod. Certes, ces îles ou ces groupes d'îles ne se
trouvent pas habituellement sur des routes fréquentées des navires et, le plus
souvent, ce sont des bateaux courant les mers, très loin vers le nord ou le
sud, qui les découvrent. Mais, dans certains cas bien précis, il ne paraît pas
que la bonne foi des équipages découvreurs puisse être le moins du monde mise
en doute, d'autant que l'on peut citer des cas parfaitement observés ou telle
île émergea, disparut, reparut à nouveau pour disparaître ensuite. C'est celui,
par exemple, d'une île bien connue, l'île Julia, qui s'inscrivit entre la
Sicile et la Tunisie. Au mois de juillet 1831 commença l'odyssée de cette terre
instable. Un navire anglais faisait route en ces parages. L'attention de son équipage
fut alors attirée par des fumées anormales et denses qui montaient de
l'horizon. De là à croire à quelque incendie monstre d'un bateau en perdition,
il n'y avait qu'un pas. La conduite à tenir est alors fort simple : courir
au secours du malheureux en détresse. Sitôt dit, sitôt fait. Mais, au fur et à
mesure de l'approche, un étrange spectacle se précisait à leurs yeux. Là où
devaient s'étendre les immensités marines, une île émergeait. Y aborder fut
impossible, car le sol était brûlant. En faire le tour fut la seule ressource
de l'équipage.
Bien entendu, un navire anglais réapparut peu après à ses
abords et décréta l'île partie intégrante de l'empire britannique. Mais le
royaume des Deux-Siciles, dont les eaux territoriales englobaient l'île, émit des
prétentions tout aussi justifiées. De longs palabres s'élaborèrent. Les
discussions allaient leur train quand, un beau jour de décembre de la même
année, l'îlot en litige disparut brusquement, sans rime ni raison.
Les deux rivaux avaient depuis longtemps oublié leurs
prétentions respectives lorsqu'en 1863 l'île réapparut. Avertis par le sort qui
lui avait été précédemment réservée, ni l'un ni l'autre ne réclamèrent sa
possession. Bien leur en prit d'ailleurs, car, quelques mois plus tard, elle
retournait à son séjour marin. Pourtant, cette émersion était déjà notable,
puisqu'aux 30 mètres de hauteur qu'elle présentait lors de sa première
apparition elle en avait ajouté une cinquantaine. Une dernière fois, elle
présenta, en 1891, une émergence suivie de retrait et parut alors s'évanouir
définitivement de la scène des eaux.
Le mystère est ici facile à dévoiler. Il ne pouvait s'agir,
en l'occurrence, que d'un volcan sous-marin bavant ses laves et ses pierres
ponces à la surface, créant ainsi un sol flottant, qui, peu à peu gorgé d'eau
ou balayé un jour par la tempête, s'immergea définitivement ... jusqu'à la
prochaine éruption.
Mais ces îles ne sont que menue monnaie à la surface de
notre globe. Qu'un continent tout entier glissât, une nuit de sombre mémoire,
au fond des océans avec sa civilisation florissante, ses villes opulentes et
son humanité aux abois, n'est-ce pas là un grand drame planétaire ? Ce
drame eut lieu peut-être. Ce continent s'appelait l'Atlantide. Fut-il ou non le
fruit du rêve ou fut-il vraiment, jadis, le siège d'un épouvantable cataclysme,
nous le dirons quelque jour en ces pages ?
Pierre GAUROY.
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