Que doit-on entendre exactement par acte de chasse,
ou fait de chasse ? Quand est-on en action de chasse ?
Qu'est-ce que chasser ? Nous pensons qu'il est utile de préciser de
temps à autre certaines notions, simples sans doute, mais souvent assez obscures
dans l'esprit du public et des chasseurs eux-mêmes.
La définition qui a notre préférence, et que la Cour de cassation rappelait à très peu près dans un arrêt récent du 13 mars 1952, est la
suivante : l'acte de chasse est celui ayant pour objet la recherche, la
poursuite et la capture d'animaux qui, vivant à l'état sauvage et sans maître,
deviennent la propriété de celui qui les prend. Chaque terme de cette
définition a sa valeur, et elle doit permettre assez facilement de dire quand
il y a ou non acte de chasse et, par suite, dans quels cas il peut y avoir ou
non, suivant les circonstances, délit de chasse et condamnation possible par
les tribunaux.
Il y a des cas simples, et chacun comprendra que l'individu
qui se promène « dans la nature », même sans chien, mais avec un
fusil ou une carabine chargée et armée, se trouve sans aucun doute en action de
chasse, étant à juste titre considéré plutôt comme un chasseur recherchant du
gibier que comme un botaniste à la recherche d'une plante de collection ;
par contre, l'individu qui est surpris sur un terrain où il n'est pas autorisé
à chasser avec un fusil et même un chien, mais avec un fusil non chargé et un
chien tenu en laisse, n'est assurément pas en action de chasse, et il peut tout
au plus être l'objet de poursuites pour le dommage qu'il cause au propriétaire
du terrain sur lequel il se trouve.
Mais il y a bien des cas qui sont loin d'être aussi simples
et sur lesquels les tribunaux sont amenés à se prononcer ; voici des cas
d'espèces parmi les plus connus :
1° Le sieur X a tué et s'est approprié des pigeons, logeant
et se repeuplant dans les bâtiments d'une ville, y étant nourris par la
municipalité ou les habitants : pas d'acte de chasse, pas de délit de chasse ...
mais délit de vol (Cour de Dijon, 12 octobre 1927).
2° Le sieur X a ramassé une pièce de gibier privée de vie et
qu'il n'a pas tuée lui-même : pas d'acte de chasse, pas de délit de chasse
(tribunal d'Orange, 9 février 1893 ; tribunal de Wassy, 21 novembre
1923).
3° Le sieur X a été surpris porteur d'un fusil et en
attitude de chasse, mais il est démontré qu'il n'avait aucune munition sur lui
et que son fusil n'était armé que d'une capsule : pas d'acte de chasse,
pas de délit de chasse (tribunal de Rennes, 1er février 1894).
4° Le sieur X, avant l'heure H du jour J, a été surpris dans
un champ avec son chien de chasse qu'il habituait aux coups de fusil et à obéir
au sifflet ; ses agissements étaient exclusifs de l'intention de
rechercher, de poursuivre ou de capturer du gibier, alors surtout qu'il
utilisait un lapin domestique ou artificiel : pas d'acte de chasse, pas de
délit de chasse (tribunal de Tours, 14 janvier 1930).
5° Le sieur X, également avant l'ouverture, a été surpris
tirant des coups de fusil dans-un champ ; temps prohibé, bien sûr, mais il
est démontré qu'il essayait des cartouches : pas d'acte de chasse, pas de
délit de chasse (tribunal de Nantes, 12 janvier 1933).
6° Le sieur X a été surpris alors que son chien quêtait sur
une propriété où il n'était pas autorisé à chasser, mais il n'est pas établi
que ce fût par sa volonté et il n'est pas établi davantage que son fusil fût
armé et chargé : pas d'acte de chasse, pas de délit de chasse (Cour de
cassation, 21 octobre 1926).
7° Le sieur X a ramassé sur un terrain où il n'est pas
autorisé à chasser une pièce de gibier qui est tombée après qu'il l'eut tirée
sur un terrain où il avait droit de chasse ; ou encore il a pénétré sur un
terrain où il n'est pas autorisé à chasser, uniquement pour y capturer un
gibier non point mort, mais forcé sur ses fins, c'est-à-dire à bout de forces,
c'est-à-dire à un point tel qu'il ne puisse s'échapper et qu'il soit considéré
comme tombé d'ores et déjà en la puissance du chasseur (par exemple, perdreau
démonté ou lièvre aux pattes brisées) : pas d'acte de chasse, pas de délit
de chasse (nombreuses décisions).
8° Le sieur X a été surpris alors que son chien poursuivait
un gibier sur un terrain où il n'était pas autorisé à chasser, alors qu'il est
établi que ce gibier avait été levé sur un autre terrain et que, en tout cas,
il avait fait tous effort utiles pour rompre les chiens, pour les
rappeler : pas d'acte de chasse, pas de délit de chasse (nombreuses
décisions).
Mais, par contre, on considère qu'il y a acte de chasse,
et par conséquent, étant données les circonstances, il y a délit de chasse
justifiant une condamnation :
— de la part de celui qui, en temps prohibé et sur
terrain où il n'est pas autorisé à chasser, attend un lièvre que poursuit un
chien et le frappe à coups de fouet (Cour de Paris, 15 novembre
1902) ;
— de la part de celui qui, une faucille ou une serpe à
la main, se trouve dans un bois, posté auprès d'un terrier de lapins, et frappe
à coups de talon sur le terrier (Cour de Douai, 24 janvier 1894) ;
— de la part de celui qui tire sur un terrain où il
n'est pas autorisé à chasser un gibier qui n'avait pas été mortellement blessé
hors de ce terrain (Cour de cassation, 20 décembre 1948) ;
— de la part de celui qui, placé près d'un terrain où
il n'est pas autorisé à chasser, fait poursuivre par son chien un gibier sur ce
terrain, étant prêt à tirer si ce gibier est levé et rabattu dans sa direction
(nombreuses décisions) ;
— de la part de celui qui a tiré un gibier sur un
terrain où il n'était pas autorisé à chasser, alors qu'il se trouvait lui-même
sur un chemin public ou sur tout autre terrain où il pouvait normalement
chasser (Cour de cassation, 26 juin l930) ;
— de la part de celui qui, se trouvant sur un terrain
où il n'est pas autorisé à chasser, a tiré un gibier sur un terrain contigu où
il est autorisé à chasser (tribunal de Châlons-sur-Marne, 24 mars
1934) ;
— de la part de celui qui pénètre sur un terrain où il
n'est pas autorisé à chasser pour achever un gibier et s'en saisir alors qu'il
le poursuit dans la retraite où il s'est réfugié (un terrier) et engage avec
lui une lutte plus ou moins animée (en l'espèce avec un furet) (tribunal de
Laval, 13 janvier 1934) ;
— de la part de celui qui, même sans arme, fait quêter
son chien d'arrêt avant l'ouverture de la chasse, alors même que son but n'est
que d'exercer son chien et de le préparer à la chasse (Cour de cassation,
22 novembre 1951) ;
— de la part de celui qui a observé vis-à-vis de son
chien, quêtant sur un terrain où il n'était pas autorisé à chasser, une
attitude passive et a négligé de le rappeler (Cour de Douai, 16 juillet
1926) ;
— de la part de celui qui, après la clôture de la
chasse et en revenant d'une battue, a traversé une forêt pour rentrer chez lui
sans décharger son fusil, sans le mettre à la bretelle, et sans tenir son chien
en laisse (tribunal de Nancy, 20 décembre 1950).
Telles sont quelques décisions de jurisprudence dont, on
s'en rend facilement compte, l'intérêt est toujours actuel.
Jacques GUILBAUD,
Docteur en droit.
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