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Oiseau maçon

La sitelle

J'avais seize ans. À Plombières, derrière l'église, la route de Remiremont s'amorce par une ombreuse allée de tilleuls, qu'on appelait la « Promenade des Dames ». Nous y étions bien trois dames, en effet, à nous y promener, ce jour-là : ma mère, ma sœur et moi, lorsque, d'un des troncs moussus, je vis, à un moment donné, descendre la tête en bas un oiseau rouge et bleu. Quand mon père nous rejoignit, je lui demandai le nom de cet étrange personnage. Pour la première fois de ma vie, il ne sut pas me répondre et je demeure encore surprise que ce naturaliste passionné ait pu ignorer la sittelle, commune dans toute la France.

Dans mon jardin beaujolais, je ne l'ai pas observée tout de suite. Elle n'y fit d'abord que de rares visites et je devais, pour la bien connaître, la rechercher dans la campagne où je ne la rencontrai pas toujours à mon gré. Cependant le nourrissage hivernal l'a peu à peu attirée et, dès qu'elle a pu utiliser les nichoirs, elle est devenue un de nos hôtes les plus fidèles. Depuis de longues années, pour mon grand plaisir, elle anime quotidiennement nos environs de ses allées et venues discrètes ou du tapage de ses cris ; car elle est, tour à tour, silencieuse et très bruyante. Presque aussi prompte que la nonnette à donner l'alarme à tout le peuple ailé, elle le fait de façon plus insistante. Son coup de sifflet puissant domine aisément les cris d'effroi des autres petits oiseaux. Par contre, certains jours, de faibles appels : ti ... ti ... m'ont plus d'une fois fait croire à la présence dans un arbre tout proche d'oisillons quittant à peine le nid. Mes jumelles, braquées aussitôt, m'ont toujours révélé la sittelle, trottant à toute allure, sur quelque branche horizontale, dans son infatigable chasse aux insectes. Mais c'est vers la fin de l'hiver surtout, en février-mars, que son agitation s'accroît, avec l'époque des amours. Pendant des heures, elle fait entendre alors son cri roulé, très semblable à celui du verdier, mais plus sonore. Sa résistance vocale paraît inépuisable. Dans la campagne nue et toujours hivernale, dont sa voix éveille les échos, elle semble une promesse, annonçant le printemps que rien d'autre ne fait pressentir encore.

On ne saurait décrire la sittelle autrement que comme un petit pic, ce qu'elle n'est pas du tout cependant. Elle diffère des pics sur un grand nombre de points et ne possède, en particulier, ni la conformation de leurs pattes, ni les plumes laides de leur queue qui leur servent de point d'appui pour escalader les troncs d'arbres. Bien qu'elle soit de même taille, à peu près, que le pic-épeichette, elle serait bien incapable de creuser, comme lui, son nid dans le bois plus ou moins vermoulu des arbres malades, son bec n'ayant pas la force suffisante, non plus que la coupe en ciseau, qui facilite aux autres leur laborieux travail. Mais elle sait cependant frapper les troncs avec une énergie égale et les escalader verticalement avec une aisance et une rapidité qui lui sont propres. Qu'on joigne à tout cela son apparence physique, son corps trapu, son long bec, sa queue courte et large, et l'on ne s'étonnera pas qu'on lui ait, suivant les régions, attribué les noms de pic-bleu, ou de pic-maçon, malgré son art consommé de descendre des arbres la tête en bas avec autant de rapidité qu'elle y est montée ; art que, bien certainement, aucun pic n'a jamais pratiqué.

Le premier de ces deux surnoms décrit fort bien son élégant et harmonieux plumage : dessus de la tête et dos d'un bleu ardoisé très doux ; ventre roux vif ; gorge et figure blanches avec un très long sourcil noir qui donne souvent à sa physionomie une amusante expression de malice moqueuse. Elle a, lorsqu'elle se voit surveillée, quand elle emporte sur ma fenêtre une graine de soleil, une façon de tourner de côté la tête et de lever le bec d'un air de défi comique qui est d'une drôlerie impayable.

Mais c'est bien sous le nom de pic-maçon qu'elle est le plus généralement connue. Incapable, à cause de son bec trop faible, de creuser dans les arbres les cavités qu'elle recherche pour y nicher, elle est bien obligée de se contenter de celles qu'ont abandonnées les pics ou que l'âge ou la chute d'une branche morte ont produites dans les troncs endommagés. Comme, naturellement, ces demeures de hasard n'ont pas toujours, à leur point d'entrée, le diamètre de son corps — ce qui semble pour elle un principe fondamental de sécurité pour ses œufs et sa nichée, — elle n'a rien trouvé de mieux que d'en rétrécir l'entrée, lorsqu'elle la juge trop grande, avec une sorte de mortier qu'elle gâche et applique très habilement à l'orifice du trou. Cet instinct est devenu si fort chez elle que, même en ce qui concerne les nichoirs dont l'entrée a été calculée de façon à la satisfaire, elle croit devoir les garnir d'un bourrelet de ciment qui dénonce sa présence et les distingue, au premier coup d'œil, de ceux occupés par les mésanges ou par d'autres oiseaux. Ses œufs, justement, blancs à petites taches rougeâtres, à peu près identiques à ceux des mésanges, pourraient amener des confusions, si la sittelle n'avait l'habitude de les installer à même le fond du trou, tout au plus sur quelques fragments d'écorce, tandis que les mésanges, plus exigeantes, matelassent le leur d'une bonne couche de mousse.

Elle se mêle assez souvent à ces dernières, et même parfois à ces curieuses associations d'insectivores : mésanges de toutes les espèces, grimpereaux, roitelets que réunit de temps en temps sur un seul arbre la présence d'un pic-épeiche, dont les vigoureux coups de bec, qui mettent la déroute au camp des insectes, les attirent par l'appât, en ces rudes et froides journées d'hiver, d'une provende que leurs propres forces ne sauraient leur procurer. Toute la bande continue à chasser ensemble un certain temps, puis, peu à peu, chacun regagne les parages qu'il a l'habitude de fréquenter.

La sittelle se nourrit principalement d'insectes, dont elle fait une grande consommation, ce qui la met au premier rang des oiseaux utiles à l'agriculture, mais elle apprécie beaucoup aussi les fruits secs, noix, noisettes, faines, ainsi que les graines de soleil et de chanvre. Comme c'est un oiseau économe et prévoyant, elle a coutume de faire des provisions. Il m'est arrivé bien souvent de trouver, sur le tronc des grands arbres de mon jardin, une graine de soleil, une noisette ou un bout de végétaline coincés sous une lame d'écorce un peu soulevée, où elle sait les retrouver quand l'appétit se fait sentir. Je ne dirai rien de son caractère, qui ne me paraît cependant pas des meilleurs. Il y a communément, dans ses cris, une note d'impatience et de colère qui semble indiquer un tempérament irritable, et ses façons généralement brusques et agitées ne démentent pas cette supposition. C'est bien là, d'ordinaire, le défaut des ménagères affairées et actives qui n'ont pas toujours l'art d'être aussi élégantes que ce curieux oiseau, si original dans tout son comportement.

Pierrette MAGNE.

Le Chasseur Français N°667 Septembre 1952 Page 520