Octobre finissait. J'avais gravi dans le petit jour
frais les pentes des montagnes massatoises (1), de sorte qu'à neuf heures je me
trouvais déjà sur les lieux de chasse. En bas, dans des burnous de brouillard,
les bois et les villages se drapaient, et une longue écharpe de brume traînait
sur le torrent d'Arac. Après deux heures de montée régulière, je m'assis au
refuge de la tour La Font, tour séculaire et mystérieuse, devenue aujourd'hui
rendez-vous de chasseurs, de touristes et de pâtres. Mon chien mouillé
tremblait devant moi. Je sortis de mon sac tyrolien du pain de ménage, du
saucisson et une fiole de petit vin. Pendant ce rapide déjeuner, le jour sembla
grandir, le brouillard s'allégea, devint rose et, tout infusé de soleil, se
leva : alors, d'immenses étendues de myrtilles se découvrirent, les
petites fleurs des bruyères allumèrent leurs grappes roses et le pic des
Trois-Seigneurs cisela à l'horizon son imposante canine, déjà couronnée de
neige. C'était l'heure : je me mis en chasse.
« Kep » me précédait, croisant sa quête rapide,
revenant souvent près de moi. Le ciel progressivement devint bleu et un joli
soleil d'automne se posa sur mes mains glacées. Je suivis lentement un de ces
sentiers que des générations de brebis ont tracés sur les flancs de la
montagne, et j'y découvris, de loin en loin, de petits crottins violets et
frais. Une plume neuve tremblait au ras du sol, retenue aux doigts d'un
rhododendron.
« Perdreaux, Kep, doucement ! »
L'épagneul breton calma sa course, coula dans un creux de fougères
rousses et, sculptural, se figea. Une belle compagnie de gris se leva dans le
soleil, mes deux coups claquèrent. Kep me rapporta un gros perdreau aux plumes
chaudes qu'il déposa dans ma main. J'étais heureux !
Le reste de la compagnie fila au ras du sol, vira sur l'aile
et disparut vers les bois ...
L'après-midi, je traversais la vaste sapinière glacée,
sombre et mystérieuse. Une odeur de résine y montait, et le vent léger
balançait sur le bleu du ciel les cimes flexibles. Sur le tapis d'aiguilles sèches,
il faisait bon marcher ! Kep allait lentement, en lacets courts sous les
branches basses. Il leva sa tête rousse, huma l'air, traversa une clairière et,
soudain, s'immobilisa.
Un bruit d'ailes battit le silence, une forme noire passa.
Je tirai : des plumes volèrent, maculées de sang. Le grand coq de bruyère
promptement s'éleva, étendit à la manière des rapaces ses ailes et se laissa
glisser vers les lointains où flottait déjà la brume du soir.
Mon cœur battait fort. J'avais du bonheur et du regret. Je
m'assis, impuissant, à une ombre froide, mais la solitude y était
insupportable. Vite je remontai aux crêtes qu'un peu de soleil dorait encore.
Je fus heureux d'y rencontrer le vieux berger attardé et nous fîmes un bout de
chemin ensemble. Je sortis de mon carnier le beau perdreau gris et je racontai
à mon compagnon la fuite du grand coq blessé.
— Rien d'étonnant, me dit le pâtre — et, du ton
confidentiel des personnes bien renseignées, il ajouta : Souvent,
voyez-vous, même mort, le coq s'enfuit.
Sur le chemin du retour, je ne pensais plus au fusil. Je
pensais à la poésie de la montagne, aux clairières caressées de soleil, aux
pelouses douces, aux sources froides, aux sapinières solennelles et à mon beau
coq mort ... qui s'en était allé !
J'étais dans une exaltation extraordinaire ! Tout le
long du chemin, je me suis mis à inventer des alexandrins, que j'étais heureux
de lancer à voix haute dans le soir — comme un enfant qui siffle au retour
de l'école. Ces vers, je les jetais partout, le vent les prenait et s'en
faisait une musique qui m'accompagnait comme une voix amie.
Ah ! souvent, fatigué d'avoir parcouru des étendues
illimitées sans trouver le moindre gibier, j'avais juré de ne plus chasser à la
montagne. Toujours, il m'a fallu repartir. La mystérieuse attirance, c'est une
nostalgie de verdure, de hauteur, de reposoirs d'ombre, une vision qui se
poétise et qui ne me quitte plus ...
J'ai retrouvé là-haut :
Le petit jour doré qui s'agenouille aux cimes,
Le silence glacé des sombres sapinières ...
Les brebis qui broutaient le soleil des bruyères ...
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J'ai revu :
Les cascades d'argent, le ciel, les clartés blondes.
J'ai savouré longtemps un bain d'infini bleu ...
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Et j'ai rapporté, un soir, dans mon carnet de chasse, ces
strophes, inspirées par les mots du berger :
CHASSE AU COQ DE BRUYÈRE
(Même mort, le coq s'enfuit.)
Les coqs sont réveillés dans les forêts sauvages ;
L'aurore a caressé les flancs des monts rouillés ;
Les chasseurs sont déjà dans les grands paysages
Qui se coiffent de ciel et de soleil mouillé.
Les chiens couleur d'automne et la narine ouverte
Flairent et vont, parmi les hêtres rabougris,
Dans la bruyère rose et les myrtilles vertes
Où vivent les grands coqs et les lourds perdreaux gris.
Kep se fige, en arrêt, frémissant, sur la cime.
Il hume une odeur forte aux fontaines du vent.
Un coq bruyant s'enlève et plonge dans l'abîme.
Des coups de feu, l'écho ; plus rien ! Plumes et sang !
Jusqu'au soir, les chasseurs traverseront des pentes,
Ils ne trouveront pas le bel oiseau. Souvent,
Parmi des rocs géants et des brumes mouvantes,
— Comme un boulet puissant qui dévale, — l'élan
Emporte le coq mort sur des ailes vivantes.
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. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Ce soir-là, avant de m'endormir, je répétai mentalement mon
poème.
Au dernier vers, mes paupières lasses se fermèrent d'un seul
coup sur la vision du grand coq insaisissable qui plongeait dans les bas-fonds,
devenait minuscule et s'évanouissait dans la brume.
Jean SUTRA.
(1) Massât (Ariège).
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