Voilà qui semble contraire à la définition même du poisson,
animal aquatique par excellence. De fait, presque tous les poissons mis à sec
meurent rapidement par asphyxie, leurs branchies étant faites pour absorber
l'oxygène dissous dans l'eau, mais non l'oxygène de l'air.
Toutefois, certains poissons résistent mieux à l'assec. Par
temps frais et humide, on transporte facilement pendant plusieurs heures, hors
de l'eau, mais dans des sacs ou des herbes humides, carpes et tanches d'un
étang dans un autre. Mais il y a des cas où le poisson sort de lui-même de son
milieu naturel pendant un temps assez long. Dans nos pays, c'est le cas de
l'anguille, qui, la nuit quitte parfois l'eau, pour accomplir des trajets assez
importants dans l'herbe humide des prairies et passer d'une rivière à l'autre.
Le poisson-chat résiste également très bien : à l'assec, il peut passer un
temps très long dans de la vase humide ; on sait d'ailleurs la difficulté
qu'il y a à débarrasser de cet indésirable une nappe d'eau, même artificielle
et vidable. Il m'est arrivé, après avoir jeté des brouettes de poissons-chats
dans une fosse creusée dans le fond d'un étang mis en assec, d'en trouver,
après plusieurs jours, quelques-uns encore vivants parmi les cadavres en
décomposition de leurs congénères,
Il existe aux Indes un curieux poisson, l'ophiocéphale,
semblable à nos loches de rivière, mais avec une tête triangulaire et obtuse,
et qui peuple les rivières et les marais. Sa longueur va de 50 centimètres à 1 mètre.
Il a l'habitude de sortir souvent de l'eau et de marcher à terre en se servant
de ses nageoires pectorales comme de béquilles. Les jongleurs indiens le montre
souvent comme une curiosité. Il est très facile à transporter même à longue
distance ; il peut rester, même par temps chaud, plusieurs heures en assec.
L'été, quand les marais sont desséchés, ces poissons s'enfouissent dans la vase
et demeurent à l'état de vie ralentie pendant toute une saison. Ils possèdent
un organe respiratoire annexe tout à fait spécial constitué de cavités qui
peuvent se remplir d'air et dont la paroi est formée d'une membrane où
circulent de nombreux vaisseaux capillaires sanguins ; ce sont ces organes
respiratoires annexes qui sont la caractéristique des ces poissons exotiques
qu'on appelle des anabantides et dont le nom populaire est « souris ».
En plus de leurs branchies, ces poissons possèdent de chaque côté de la tête
des organes respiratoires annexes en forme de rosettes et constitués de lames
concentriques et de crêtes ondulées parcourues par un réseau très complet de
vaisseaux sanguins ; ces réservoirs aériens sont en communication avec les
branchies et avec le pharynx, communication qui est commandée par une valvule
spéciale. Ainsi le poisson respire par ses branchies quand il est dans l'eau et
se sert de ses organes respiratoires annexes lorsqu'il se promène en dehors de
son élément naturel. Ce sont de véritables poumons élémentaires que, grâce à
une valvule en « by-pass », le poisson ferme et met en fonctionnement
ses branchies ou inversement.
L'anabas ou « souris des tropiques » est un
poisson d'Extrême-Orient qui non seulement se promène à terre pour passer d'une
mare à l'autre, mais encore cherche sa nourriture, et notamment les vers de
terre, parmi les herbes. Dans un mémoire publié en 1797, un explorateur danois
aux Indes signala qu'il avait trouvé un de ces poissons sur le sommet d'un
palmier. En réalité, l'anabas ne peut pas grimper sur les arbres, mais il
arrive parfois que, se promenant à terre, il soit saisi par des corbeaux ou des
oiseaux de proie et déposé sur le sommet des arbres avant d'être dévoré. C'est
en outre un poisson excellent à manger. Les Indiens et les Malais le capturent
en abondance et le mettent dans des cages humides dans lesquelles il reste
vivant plusieurs jours : ils ont ainsi une réserve de poisson frais
facilement conservable (1).
Le plus curieux est le périophtalme, poisson tropical qui
vit dans la vase et sur les pieds des palétuviers ; il ressemble un peu au
gobie de nos pays, mais il a une taille un peu plus grande avec deux yeux
globuleux et exorbités qui peuvent être orientés dans toutes les directions. Il
sort de l'eau, rampe sur la vase sèche, sur les racines des palétuviers, et
peut même grimper sur d'assez grandes hauteurs ; on le voit souvent rester
au soleil perché sur une pierre au milieu des marais. Il respire avec une
chambre branchiale, tout en laissant sa queue dans l'eau. Il est certain que le
périophtalme passe plus de temps à terre que dans l'eau. Sa nourriture se
compose principalement de fourmis et d'insectes qu'il trouve en abondance sur
les racines et les troncs des arbres.
Certains poissons-chats africains et asiatiques en arrivent
même à ne pas pouvoir respirer dans l'eau. Le cuchia, qui est le silure des
eaux douces et saumâtres de l'Inde et de la Birmanie, est le plus souvent sur
les gerbes des berges des marais et des rivières tout comme les serpents. Ses
branchies sont très réduites et ne lui servent guère à la respiration ;
c'est l'organe annexe de respiration aérienne qui est de loin le plus important.
Il ne peut rester longtemps immergé et est obligé de remonter souvent à la
surface. Ceci est évidemment le cas le plus extrême qui soit connu.
Enfin, d'autres poissons des régions tropicales tels que le
protoptère d'Afrique et le lépidosiren d'Afrique du Sud ont la paroi de la
vessie natatoire qui en arrive à ressembler au poumon des vertébrés supérieurs.
Ces poissons sont susceptibles de résister à de fortes périodes d'assec. Quand
vient la période sèche, ils se font une petite chambre fermée dans la vase et
passent là des mois entiers à l'état de vie au ralenti, en respirant avec leurs
organes annexes tout comme avec une paire de poumons (2).
LARTIGUE.
(1) La seuls précaution à prendre, à part, évidemment, de
mettre ces cages à l'ombre, est de bien fermer la porte pour éviter les
évasions. Voilà un pays où les marchands d'aquariums ne doivent pas faire
fortune !
(2) C'est un des rares cas où l'utilité de la vessie
natatoire est bien en évidence. On admet que, chez les autres poissons, elle ne
sert que d'organe régulateur de la densité du corps immergé pour lui permettre,
tel un ludion, de monter ou de descendre dans l'eau. On ne peut qu'admirer la
nature d'avoir su placer dans les étangs des pays tropicaux où la saison sèche
est si longue des poissons qui peuvent si facilement passer de la vie aquatique
à la vie terrestre. S'il n'y en a pas chez nous, à part l'anguille, c'est que
le régime des eaux est suffisamment régulier pour qu'il ne soit pas utile au
poisson de pouvoir vivre à certains moments sur la terre.
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