La saison de football a été fort brillante. Sur le plan
international, les équipes de France n'ont pas subi d'échec, à l'exception
d'une défaite surprise infligée par la Suède. Le Championnat, la Coupe ont été
disputés ardemment et loyalement. Le nombre des joueurs s'est accru, et rares
sont aujourd'hui les villages qui n'ont pas transformé quelque pré, plus ou
moins bosselé, en un terrain où, chaque dimanche, les jeunes tapent dans une
balle. Réjouissons-nous de cette vogue. Pour ceux qui le pratiquent, le
football constitue un exercice distrayant et sain. Aux autres, il offre un
spectacle en plein air qui, de qualité plus ou moins relevée, délasse et amuse
quand il ne passionne pas.
La rançon de ce succès est que la saison s'allonge
démesurément et que, pour les meilleures équipes professionnelles tout au
moins, elle a tendance à s'étendre sur toute l'année. Le Championnat terminé,
des tournées, des tournois, des rencontres amicales s'organisent, et les
joueurs ne bénéficient pas de la détente qui leur serait nécessaire. En outre,
le sport de la balle ronde s'accommode mal des ardeurs caniculaires. Courir
pendant deux fois quarante-cinq minutes sous un soleil pesant, ce n'est plus,
même pour des hommes bien préparés, une occupation raisonnable, mais une tâche
harassante.
On sait que la saison 1951-1952 a été exceptionnellement
favorable à l’O. G. C. N. Traduisons par Olympique Gymnaste-Club
de Nice, un titre assez étrange et saugrenu remplacé le plus souvent par le mot
« Aiglons », bref, conquérant et euphonique.
Donc, les Aiglons ont réalisé l'exploit de remporter, tout
ensemble, la Coupe et le Championnat de France, ce dernier pour la deuxième
fois consécutive.
Nous avons eu la chance de suivre de la coulisse la vie et
le triomphe des « Aiglons ». Il nous est possible de discerner les
causes de la réussite.
Une part de cette réussite est due, on ne peut le nier, aux
fameux « impondérables » qui jouent un rôle ici comme ailleurs. Le
tirage au sort des matches de Coupe a été favorable aux Aiglons, dont la route
a été relativement facile jusqu'aux rencontres décisives. Peu de blessures,
d'anicroches. Si on veut se montrer équitable, on doit admettre que deux
équipes, celles de Bordeaux et de Lille, étaient dignes d'égaler, sinon de
surpasser la formation niçoise.
Notons que, malgré le concours bénévole des impondérables,
les Aiglons n'ont cessé de donner des sujets d'inquiétude à leurs partisans.
Sauf d'heureuses exceptions, les membres de l'équipe ont connu des
défaillances, des périodes de méforme. Le plus célèbre d'entre eux, le jeune
international Bonifaci, était si lamentable au début du Championnat que ses
dirigeants ont été contraints pendant plusieurs semaines de se passer de ses
services. À la fin de la campagne, c'est le capitaine même des Aiglons, Désir
Carré, qui était prié de rester chez lui. Nous pourrions multiplier les
exemples. Ils illustrent notre affirmation : on ne peut pratiquer sans
arrêt le football du 1er janvier à la Saint-Sylvestre. Des
vacances, physiques et morales, sont indispensables. Nous disons bien morales :
même pour un professionnel grassement payé, le football doit demeurer un
plaisir. Suivant une expression imagée, le joueur doit « avoir faim »
du ballon.
Les Aiglons ont pu parer aux carences successives des
membres de leur troupe grâce à la qualité de leurs réserves. Réserves peu
nombreuses mais composées d'hommes avides de prouver qu'ils valaient leurs
camarades et qui, lorsqu'ils ont été appelés à remplacer les titulaires, se
sont surpassés. Il est utile qu'au sein même des équipes subsistent des
rivalités amicales, une émulation. Ainsi nul n'est assuré de conserver sa place
et de toucher les primes substantielles attribuées aux victorieux.
Nous avons parlé de rivalité amicale. Le secret du succès
des Aiglons provient, pour une large part, de ce qu'ils composent un cercle de
bons copains, à la ville comme sur le terrain.
Au sortir des séances matinales ou des matches, il est
plaisant de voir les plus modestes d'entre eux s'entasser dans les autos des « as »,
déjà comblés par la fortune. Pourtant quel étrange assemblage : un
Suédois, deux Brésiliens, deux Nord-Africains et des originaires des Flandres,
de Paris, de Lyon, les Provençaux étant en minorité. Très vite, les éléments
disparates se sont amalgamés. Quand on ne se comprenait pas, des gestes, des
rires suppléaient aux paroles. Ainsi s'est constituée une équipe ayant une âme,
l'amour et l'orgueil de ses couleurs. Un tel prodige participe presque de la
sorcellerie.
En l'espèce, le sorcier a été l'entraîneur, dont la méthode — il
l'a révélé — est psychologique. Cet entraîneur n'a pas recherché des
combinaisons subtiles ni des figures de culture physique originales. Il s'est
dit : ces garçons savent aussi bien manier une balle que moi, et,
puisqu'ils sont consciencieux, ils entretiennent la souplesse de leurs muscles
et la puissance de leurs poumons. L'essentiel est de savoir les prendre, chacun
suivant son caractère. Il en est de bouillants, de coléreux, de susceptibles,
d'apathiques. Les Brésiliens ne peuvent être traités comme le Suédois. Il faut
que je m'occupe du Lillois, qui, sans famille, doit se trouver dépaysé sur la
Côte d'Azur. Il a suggéré, plaisanté, calmé d'un bon mot les atrabilaires,
voire emmené au cinéma, en choisissant un film comique, l'exilé en proie à une crise
de cafard. Nous ne prétendons pas que cette formule quasi paternelle constitue
une panacée. Il est certain que les résultats de la cure ont été excellents.
Mais il serait anachronique de s'attarder sur un passé même
proche, puisque, déjà, les foules ont repris le chemin des stades, encourageant
leurs favoris, criant, frémissant et hélas ! huant l'arbitre. Le rideau
s'est levé sur une pièce nouvelle dont nul ne saurait prévoir les péripéties et
le dénouement. Le plus grand attrait du sport est l'incertitude, ce qui le
distingue des autres spectacles.
Ne soyons pas trop sévères pour les acteurs. Ne nous
récrions pas surtout devant les traitements accordés aux vedettes. Certains
chiffres étonnent, voire scandalisent, ils sont bien moins élevés que les cachets
de tel chanteur de charme qui ne risque ni blessures ni fractures et dont la
carrière est moins brève que celle d'un avant-centre. Un footballeur, en
moyenne, dure dix ans, et puis c'est la retraite, l'oubli. Les plus heureux ont
mis assez d'argent de côté pour acheter un commerce, ou bien ils obtiennent une
place d'entraîneur. Combien d'autres n'ont fait que végéter péniblement dans un
club à la trésorerie exsangue !
En définitive, les plus sages, ce sont les gars qui se
contentent, le dimanche, de courir dans une prairie mal nivelée où la balle a
des rebonds capricieux. Autour, accoudés à une barrière, les habitants du
patelin se pressent et s'égosillent, mêlés aux « supporters » de
l'équipe du village voisin qui, ayant frété des cars antédiluviens, encouragent
aussi leurs concitoyens. Nous avons assisté à de telles rencontres champêtres,
aussi ardemment disputées qu'une finale de Coupe de France. Et nous avons
conclu que là était le sport authentique et pur, malgré cafouillages et
maladresses. C'est de la masse obscure des garçons désintéressés qui s'ébattent
partout en France que sortiront les as de demain. Nous en avons remarqué de
fort doués, mais nous nous sommes bien gardé de leur révéler leurs dons. La
ferme, l'établi sont plus sûrs, et l'on savoure des joies plus profondes et
plus pures quand on ne joue que pour jouer, pour son plaisir, pour occuper de
beaux dimanches.
Jean BUZANÇAIS.
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