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Le sport sous-marin

Invitation chez Amphitrite

Un goût sportif inédit a fait son apparition depuis une douzaine d'années et a suscité un tel enthousiasme qu'il s'est propagé et développé avec une rapidité peut-être sans exemple dans l'histoire des activités humaines dites d'agrément ; il s'agit de la chasse sous-marine.

Les deux principales raisons de cette vogue résident, d'une part, dans l'attrait irrésistible du spectacle de l'univers sous-marin et, d'autre part, dans les possibilités inattendues qu'a révélées dès l'abord l'exploration des fonds de la mer. L'esprit sportif, épicé même d'un soupçon de parfum d'aventure, a constitué un facteur non moins important se conjuguant avec les deux premiers.

La création et le perfectionnement accéléré d'un matériel approprié — équipement et armes — ont suivi une progression parallèle, et l'explication de ce synchronisme, de cette synergie pourrions-nous dire, se trouve dans un fait qu'on a trop rarement l'occasion de constater : la collaboration étroite entre utilisateurs et constructeurs.

Il est hors de doute que la faveur dont jouissent d'ores et déjà la chasse sous-marine et les autres activités se rattachant à la plongée individuelle n'est pas un engouement passager qui ira s'atténuant avec le temps comme un jeu qui passe de mode. Au contraire, elle ne fera que se développer, et à une cadence dont celle des années récentes ne donne sans doute qu'une faible idée.

À cela il y a une raison toute simple, quoique primordiale. La mer est le réceptacle de richesses dont la population du globe, en plein accroissement, a un besoin qui se fait chaque jour plus urgent. Or les ressources de toutes sortes, alimentaires, industrielles et autres, qu'offrent les océans sont pratiquement illimitées, attendu que, rien qu'en surface, ils représentent une étendue deux fois et demie plus grande que celle de la totalité des terres ; si l'on considère que cette masse d'eau a une profondeur moyenne d'environ quatre mille mètres, on entrevoit les possibilités que présente une telle réserve animale, végétale et chimique.

Jusqu'à notre époque, c'est de la surface surtout que la mer a été exploitée autrement qu'en tant que route pour les vaisseaux ; à partir du moment où l'homme commence à y descendre individuellement et librement, un champ nouveau s'ouvre à ses entreprises.

Il n'est donc pas excessif de dire que les dilettantes et les sportifs qui ont été les initiateurs de la plongée libre pour leur seul agrément et dans un but de chasse auront été inconsciemment les défricheurs de cette ère nouvelle.

Selon la mythologie, Neptune, tout dieu qu'il fût, ne devint pas l'époux d'Amphitrite, fille de l'Océan, en se présentant à elle dans sa puissance et armé de son trident, pour lui déclarer de but en blanc son inclination. Il fallut, pour qu'il parvînt à ses fins, l'entremise d'un dauphin dont les sages discours lui permirent d'accéder au cœur de sa belle.

Il n'est pas interdit, peut-être, de voir dans cette fable le symbole d'une très ancienne expérience, à savoir qu'on ne pénètre pas chez Amphitrite, personnification de la mer, comme dans un moulin et en se fiant à sa seule prestance. Il y a la manière ! Les discours propitiatoires du dauphin ne seraient ainsi, en l'occurrence, que la voix de la raison, de la modération et de la connaissance.

Sur le môle du port se tient le patron d'un bateau entouré de touristes impatients d'aller faire une promenade en mer ; le ciel est un peu nuageux mais clair, la mer est plutôt calme et il n'y a pas de vent. Les « probabilités » météorologiques ont, d'autre part, été données comme bonnes. Pourtant, le vieux marin, après avoir regardé longuement vers le large, a déclaré tout soudain qu'il ne sortirait pas. Quelques jours plus tard, c'est l'inverse ; la mer paraît houleuse, une brise assez sensible s'est établie et de gros nuages blancs cheminent là-haut. Et voilà que le patron du bateau de promenade invite avec bonhomie les amateurs à partir en mer !

Décidément, il est incompréhensible ... Bien sûr, et pour cause ! Lui connaît, et les autres non.

Plus que partout ailleurs, quand il s'agit de la mer, le savoir et la force ne suffisent pas : il faut aussi la connaissance.

Où nous voulons en venir, c'est que, si rien n'est plus facile, relativement, que de se mettre à l'eau avec le dessein d'aller traquer les poissons dans leur élément et dans leur habitat, encore faut-il s'initier et s'entraîner méthodiquement et prudemment à la plongée. Il est essentiel, en effet, de ne pas essayer de brûler les étapes, mais, au contraire, de se familiariser progressivement avec la technique de ce sport passionnant ; autrement il pourrait en résulter des déboires et, à tout le moins, une désaffection aussi regrettable qu'injustifiée.

L'alpinisme aussi est un sport passionnant et qui réserve des jouissances de qualité. Il ne pourrait venir cependant qu'à l'idée d'un présomptueux ignorant d'entreprendre du premier coup une ascension en haute montagne. Il en va de même du sport sous-marin. Et il n'est pas question de savoir si le néophyte est déjà excellent ou médiocre nageur ; l'erreur serait aussi grande que, pour reprendre notre exemple, celle du coureur à pied qui voudrait, pour ses débuts d'alpinisme, escalader une paroi rocheuse verticale surplombant un gouffre, sous le prétexte qu'il n'y a que quelques dizaines de mètres à franchir.

Il s'agit de tout autre chose, et il existe une technique particulière résultant de l'expérience et de l'observation.

Un jugement superficiel pourrait laisser croire que ces apparentes restrictions sont en contradiction avec l'optimisme manifesté plus haut quant à l'avenir de la plongée libre ; c'est précisément le contraire. Nous sommes passionné de ce sport, mais c'est parce que nous l'aimons vraiment que nous voudrions éviter que des nouveaux venus ne s'en éloignent faute d'avoir su l'aborder rationnellement, ou encore pour s'être fiés à des informations douteuses.

Le moi étant haïssable, nous n'appuierons pas sur nos propres performances de nageur et de plongeur ; qu'il suffise au lecteur de savoir qu'au moment même où il lit cette brève causerie son auteur est probablement en action de chasse sous-marine, ou encore en plongée sous quelques dizaines de mètres d'eau à la recherche de vestiges archéologiques propres à aider à l'étude des civilisations de l'antiquité, et cela non pas par obligation professionnelle, mais par goût.

Henri CHENEVÉE,

Directeur du Centre d'études sous-marines.

Le Chasseur Français N°667 Septembre 1952 Page 544