Renouveler les semences est une pratique courante de la part
de nombreux agriculteurs, tandis que d'autres ne s'y résignent qu'à regret et
sous l'empire de la nécessité. Leur réserve envers ce procédé tient
essentiellement à deux raisons : une question de prix d'abord, les
semences achetées valant sensiblement plus cher que le grain livré à la
consommation, mais aussi à la crainte éprouvée d'avoir des déboires avec de
nouvelles semences dont ils redoutent le comportement.
Il semble bien, cependant, que la pratique du renouvellement
des semences s'est généralisée et on estime à six cent ou sept cent mille
quintaux la quantité de blé utilisée annuellement en France à cet effet ;
cela représente environ 10 p. 100 des quantités semées. La pratique est
courante également pour l'avoine et l'orge, deux cent mille quintaux pour
chacune de ces deux céréales, mais l'est beaucoup moins pour le seigle, le
sarrasin et le maïs, exception faite toutefois du maïs hybride, pour qui le
problème se pose d'une façon toute particulière.
Les frais entraînés par le renouvellement des semences ne
sont pas négligeables ; ils sont toutefois loin d'être prohibitifs, car
l'opération ne porte généralement que sur une fraction des emblavures. Le
risque principal de l'opération réside dans un mauvais choix de la variété
achetée, et la plupart des déboires enregistrés sont venus de là. La qualité
propre des grains est rarement en cause maintenant, car ce marché est surveillé
assez strictement, et certaines pratiques répréhensibles, autrefois courantes,
le sont beaucoup moins aujourd'hui. Le souvenir de certains échecs est
cependant resté vivace dans certaines régions où les producteurs craignent que
les semences achetées s'adaptent mal à leurs sols et à leur climat. Ils
restent, de ce fait, attachés aux semences produites par eux-mêmes ou par un
voisin et, lorsqu'ils se décident à s'adresser à un organisme spécialisé, il
leur arrive d'exiger des variétés qui firent leurs preuves il y a vingt ou
trente ans, mais qui sont largement dépassées maintenant.
Il est bien certain que le choix d'une semence de céréale ne
doit pas se faire au hasard d'un renseignement hâtif, d'une photographie
avantageuse ou du bagout d'un placier habile, mais à la suite d'une étude
raisonnée, confirmée, au besoin, par les services agricoles départementaux.
Le choix d'une variété de blé tiendra compte de divers
facteurs :
La résistance au froid.
On y attache, à juste titre, une importance particulière
dans les régions à hiver rigoureux comme l'Est et le Massif Central ; ailleurs,
on y fait moins attention, préférant s'occuper surtout du rendement, quitte à
courir quelques risques. Il existe, actuellement sur le marché, des variétés
résistantes au froid à grande productivité : Alsace 22, Côte d'Or, Blé des
Dômes, Reims, par exemple.
La résistance à la verse.
D'une façon générale, les variétés à grosse paille courte
sont les plus résistantes ; on leur préfère parfois des variétés à paille
plus longue et plus fine, surtout là où le bétail nombreux demande une masse
importante de litière. Il ne faut cependant pas sacrifier le grain à la paille.
La précocité.
Plus on craint l'échaudage, plus on recherche des variétés
précoces, et le souvenir des déboires occasionnés par des variétés
d'importation, comme Wilhelmine, est encore présent dans bien des mémoires.
La valeur boulangère.
Mise en évidence lors de la crise de surabondance de
1935-1936, elle semble avoir perdu beaucoup de son acuité.
La résistance aux rouilles.
Il n'existe pas de blé qui résiste absolument aux rouilles,
mais il en est qui y sont très sensibles. Ce fut le cas du Bon Fermier. La
question reste à surveiller, surtout dans les régions humides où ces maladies
se développent avec une particulière intensité.
Ces indications concernent le blé, mais elles sont valables,
dans l'ensemble, pour l'avoine et l'orge ; pour cette dernière
interviennent en outre d'autres facteurs, et notamment la composition du grain
qu'on recherche pauvre en azote, tout au moins pour l'orge destinée à la
brasserie.
La question du seigle est un peu différente. Cette céréale a
contre elle d'être à fécondation croisée. De ce fait, sa sélection est plus
délicate, et surtout il est difficile de conserver pures les variétés.
L'agriculteur qui sème un sac de seigle amélioré récoltera un hybride de ce seigle
et de seigle de pays pour peu que son champ ne soit pas suffisamment éloigné
des voisins. C'est en outre une céréale qui n'est guère cultivée que dans les
terres médiocres et dans les régions à culture peu productive, où on a tendance
à réduire les frais au minimum possible. Si naturel que soit ce sentiment, il
va souvent à rencontre des intérêts bien compris de l'exploitant, et il est
certain que les rendements du seigle pourraient augmenter considérablement avec
des semences de meilleure qualité conjuguées avec une culture plus soignée. Les
résultats obtenus là où cet effort est accompli en sont le sûr garant.
Le sarrasin est encore plus mal partagé, mais sa culture
décline régulièrement et ne semble pas appelée à connaître de renouveau ;
on pourrait cependant améliorer les résultats en attachant plus d'importance
qu'on ne le fait généralement au choix des semences.
Le maïs, tant qu'il fut cultivé en races pures (en principe
tout au moins), se prêtait mal, en raison de son mode de reproduction, à la sélection,
et pendant longtemps les progrès furent minimes. Avec la culture des maïs
hybrides, il en va tout autrement, et il est nécessaire de renouveler la
semence tous les ans. Celle-ci provient de la formation d'un hybride double et
ne saurait devenir une tête de famille. La semence à acheter est, évidemment,
d'un prix plus élevé que le grain ordinaire, mais, comme la quantité à semer
est somme toute minime, le supplément de dépense n'est pas considérable et
compensé largement par l'excédent de récolte.
Le renouvellement des semences de céréales est un des
éléments d'augmentation des récoltes ; il diffuse les variétés nouvelles
et leur permet de se substituer à celles qui leur étaient inférieures ; il
assure aussi l'emploi de semences d'élite, seules capables de tirer du sol le
maximum de production.
R. GRANDMOTTET,
Ingénieur agricole.
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