Dans le but d'augmenter un peu la diversité des matières
présentées dans nos articles forestiers, nous nous proposons d'étudier, ici,
les uns après les autres, les différents produits donnés par la forêt française :
produits ligneux, depuis les bois de feu jusqu'aux billes destinées au
tranchage et au déroulage, produits divers tels qu'écorces, liège, résine, etc. ...
Nous commencerons aujourd'hui par les bois de feu. Nos
forêts qui sont en majeure partie, comme on le sait, des taillis et des
taillis-sous-futaies d'essences feuillues, sont capables de produire une grosse
quantité de bois de feu (environ 30.000.000 de stères). Or la consommation de
feu, qui fut considérable dans le passé, n'a fait que décroître depuis le
siècle dernier. Jadis, on ne se chauffait qu'au bois et, surtout, la plupart
des industries utilisaient le bois comme combustible : forges, salines,
verreries, briqueteries, tuileries, faïenceries, poteries, fours à chaux,
clouteries, etc. ... Nos forêts étaient fréquentées par une foule de bûcherons,
de charbonniers, de muletiers transportant en longues caravanes le charbon de
bois et le bois de feu vers les usines. Il fallait 16 stères de bois pour
fournir le charbon de bois nécessaire à la fabrication d'une tonne de fonte.
Pour évaporer dix quintaux de sel, on brûlait une corde (2st,75) de
bois ; avec un stère on ne pouvait souffler qu'une centaine de bouteilles.
À la fin du XVIIIe siècle, pour 36 millions d'habitants (dont 9
millions de citadins et 27 millions de ruraux), la consommation de bois de feu
pour usage domestiques et industriels dépassait encore 100 millions de stères.
On comprend pourquoi des besoins considérables ont, pendant des siècles, imposé
aux forestiers des méthodes spéciales de culture des forêts et ont souvent
amené, auprès des centres industriels, une dégradation des massifs boisés dont
les effets sont encore visibles de nos jours.
Par la suite, l'exploitation des mines de houille, le
percement des canaux, la création de voies ferrées, la houille blanche, le
pétrole amenèrent une disparition quasi totale de l'utilisation du bois de feu
ou du charbon de bois dans l'industrie. Les villes, qui drainèrent vers elles
une proportion croissante de la population, adoptèrent aussi la houille, le gaz
d'éclairage et l'électricité comme combustible domestique. À certaines époques,
en particulier avant la deuxième guerre mondiale, la mévente des bois de feu
fut considérable. Actuellement, le commerce des bois de feu n'est favorisé que
par suite du prix élevé des produits concurrents.
Nous ne traiterons pas ici de la question du chauffage au
bois, qui a déjà fait l'objet d'un article dans Le Chasseur Français.
Apprécié pour sa gaîté, pour la rapidité avec laquelle il donne sa chaleur et
aussi parce qu'il est sain, le chauffage au bois reçoit de la part des citadins
de nombreux reproches : difficultés de stockage, souvent impossibilité
d'avoir du bois bien sec, manque de place pour le scier et le fendre, bistrage
des cheminées, poêles non adaptés à ce combustible. L'habitant de la campagne,
lui, peut obtenir du bois à un prix abordable. Il le scie et le fend lui-même
pendant les périodes creuses de son travail. Il le fait sécher un an ou deux
avant de le brûler et possède des cheminées adaptées à ce combustible.
Signalons que de nombreuses maisons françaises ou étrangères fabriquent des
poêles remarquables pour brûler du bois, même des poêles à feu continu. Nous
avons vu en Suisse de très belles installations de chauffage central au bois.
Par conséquent, le chauffage au bois peut continuer à
trouver des adeptes dans l'avenir, mais il faut pour cela que les exploitants
forestiers s'astreignent à ne pratiquer que l'abattage hivernal, condition
importante pour avoir du bois bien dessévé qui sèche bien, sans perdre son
pouvoir calorifique. Ce bois doit être livré à la clientèle à un calibrage et à
une siccité en relation avec les désirs de l'acheteur. Par exemple, en ville,
on ne livrera que du bois débité à 20 ou 25 centimètres de longueur et fendu,
ayant au moins 8 mois de séchage. À la campagne, on pourra le livrer en bûches
de un mètre et ayant trois mois de coupe.
Voyons maintenant les autres débouchés des bois de feu.
Tout d'abord le bois de boulange. Il faut environ 1/3
de kilogramme de bois pour cuire 1 kilogramme de pain. On utilise comme bois de
boulange de préférence un bois tendre (résineux, tremble ou bouleau) refendu à
7 centimètres environ, ou encore de la charbonnette d'essences diverses livrée
généralement en bottes de 0m,66 de long et de 1 mètre de tour. Le
bois de boulange doit s'enflammer facilement, dégager rapidement une grande
quantité de chaleur. On dit que le pain cuit au bois est le meilleur, mais on
conçoit qu'en ville la cuisson du pain au bois entraîne d'insolubles
difficultés d'approvisionnement et de stockage. Là encore, le bois de chauffage
ne peut guère défendre ses positions qu'à la campagne, et à condition que les
exploitants forestiers observent pour sa présentation les mêmes règles que pour
le bois de feu.
Un autre débouché des bois de feu est la fabrication du charbon
de bois. Nous n'en parlerons pas ici en détail, réservant cela pour une
autre rubrique dans une série d'articles qui étudieront les métiers de la
forêt. L'importance de la consommation de charbon de bois a d'ailleurs décru
elle aussi depuis le XVIIIe siècle. La fabrication du charbon de
bois s'est concentrée dans quelques grosses usines qui, en même temps,
recueillent et mettent en œuvre les produits de la distillation du bois dont
nous parlerons dans un article relatif au bois, matériau de l'industrie
chimique. Notons seulement que la consommation de charbon de bois comme
carburant pour les véhicules à gazogène, qui, pendant les dures années de
guerre, connut un certain essor, a presque disparu de nos jours. Cependant, les
gazogènes ont joué un rôle méritoire, et, grâce à eux, ont pu circuler de
nombreux véhicules nécessaires à la vie de la nation. Nous pensons que si,
pendant le temps de paix, alors que nous disposons de matériaux corrects pour
faire des générateurs ou des filtres, on se donnait la peine d'améliorer ce
genre de véhicules, on pourrait peut-être arriver à maintenir ce débouché du
charbon et à réduire nos importations d'essence.
Une remarque analogue peut être faite pour le bois
carburant, qui a pu lui aussi faire fonctionner des véhicules et des
moteurs fixes.
Quels autres débouchés s'offrent aux bois de feu ?
Distinguons d'abord les bois d'essences résineuses ou feuillues tendres
et les bois de feu d'essences feuillues dures.
Les premiers peuvent être classés comme bois de papeterie
si leur diamètre dépasse 7 centimètres et si leur courbure, les nœuds qu'ils
contiennent, leurs tares éventuelles sont compatibles avec les cahiers des
charges. Notons que beaucoup de papeteries étudient et essayent l'utilisation
de bois plus petits, en particulier de charbonnette.
La fabrication de panneaux de fibres par le procédé
du défibrator, utilisé chez nous, par exemple, par la firme Isorel, emploie,
outre les rondins, des croûtes et délignures de scierie, et pourrait peut-être
aussi utiliser la charbonnette.
L’hydrolyse du bois par les acides forts pour la
fabrication de sucres, d'alcool, de levures, etc., s'est surtout adressée
jusqu'à maintenant aux rondins de bois de tendres, mais elle pourrait absorber
la charbonnette et même la sciure.
Les débouchés des bois d'essences feuillues dures sont moins
immédiats. Leurs fibres courtes limitent leur utilisation en papeterie, mais on
peut tirer (cela se fait depuis longtemps en Allemagne) de la cellulose pour
Industrie chimique soit par le procédé au bisulfite de calcium (hêtre),
soit par le procédé à la soude (châtaignier détanné). De même des procédés dont
nous parlerons dans un article sur les bois à fibres permettent d'utiliser de
nombreux feuillus durs pour la fabrication du carton. D'autre part, le
procédé utilisé aux U. S. A. par la Masonite Corporation permet de
transformer en panneaux de fibres des feuillus durs sans utilisation de
résines synthétiques.
Enfin, il est possible avec ces bois de réaliser la synthèse
de l’alcool méthylique et, par distillation, d'en extraire des acides
et alcools organiques divers et de l’acétone.
La chimie de la lignine n'a pas dit non plus son
dernier mot (elle n'en est qu'à ses premiers pas). Les bois de feu, dont la
production en forêt peut être diminuée, mais non supprimée, connaîtront
vraisemblablement dans l'avenir des utilisations bien différentes des
utilisations actuelles, qui permettront de mieux tirer partie de ce remarquable
matériau qu'est le bois.
LE FORESTIER.
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