Au hasard des routes du ciel, il arrive parfois que des
astres vagabonds, vestiges de quelque planète éclatée dans les profondeurs du
firmament, viennent couper l'orbite de notre Terre. De ces visiteurs inattendus
la liste est déjà longue, mais les plus spectaculaires d'entre eux retiendront
seuls ici notre attention.
Le plus ancien connu est, sans doute, le bolide qui, voici
quelques milliers d'années, frappa le sol américain dans le désert d'Arizona,
marquant son sol d'une excavation de 180 mètres de profondeur et de 1.200
mètres de diamètre : le Meteor Crater. Conçoit-on ce que représente une
telle formation si l'on songe que le Panthéon et sa colline y disparaîtraient à
peu près complètement et qu'y tiendrait au moins deux fois la hauteur des tours
de Notre-Dame ? La recherche du bolide en fut faite ultérieurement. Des
prospections tentées, la première dut s'arrêter à 214 mètres par suite
d'infiltrations d'eau ; une deuxième détecta par méthode magnétique et
électrique la présence d'un bloc ferreux. Dans un troisième essai, 400 mètres
de croûte terrestre fragmentée ouvrirent le chemin à un forêt qui rencontra une
masse minérale d'une telle densité qu'après 10 mètres il restait définitivement
fixé, inarrachable.
En 1908, un fait remarquable retint l'attention du monde
savant. Des ondes atmosphériques et des secousses sismiques avaient couru,
bouclant deux fois le tour de notre globe. Le lendemain, une série de clartés
étranges attirait les regards vers le ciel, prolongeant d'une façon
inexplicable la lumière du jour.
Ce n'est qu'après la première guerre mondiale que ce
mystérieux phénomène fut éclairci. On apprit alors qu'un bolide monstrueux
s'était abattu dans la région presque inhabitée de Krasnoyarsk, en Sibérie
centrale, à l'aube du 30 juin 1908. Il s'effondra dans le vacarme
formidable des éclatements en un lieu solitaire et boisé que parcouraient
seulement quelques nomades et leurs troupeaux de rennes. À 260 kilomètres du
point de chute, des paysans tombèrent en syncope, à demi étouffés par le souffle ;
à 600 kilomètres, hommes et bêtes furent renversés sur le sol et un troupeau de
moutons précipité dans une rivière. Au moment où se produisit la rencontre de
ce bolide avec la Terre, dont l'explosion fut entendue à plus de 1.000
kilomètres, on observa une colonne de feu verticale de 20 kilomètres de hauteur
dont la chaleur se fit sentir à 85 kilomètres.
Au point de chute de ce bolide s'étendent, sur une surface
de 3 kilomètres de diamètre, 200 cratères remplis d'eau, mesurant jusqu'à 500
mètres. Sur un territoire de 8.000 kilomètres carrés on compte 80 millions
d'arbres renversés et dépouillés. La chute se fût-elle produite quatre heures
et demie plus tôt, le bolide serait tombé en plein cœur de Leningrad.
Mais des indigènes furent témoins de cette scène
d'Apocalypse. Laissons parler ces hommes de la grande peur. Reportons-nous par
la pensée en cette aube d'été commençant, vers ce paysage de toundra
mélancolique. Les spectateurs du drame : quelques nomades, quelques rennes ...
Tout est calme, trop calme ... Et le rideau se lève sur ce décor qui, dans
un instant, va être le théâtre d'une infernale destruction ... « Il y
eut, raconte l'un d'eux, distant de 65 kilomètres, une flamme éblouissante au
nord-ouest qui dégageait une telle chaleur que ma chemise faillit prendre feu.
Je me sentis tout enveloppé de flammes. Après disparition, il y eut une
explosion qui me souleva de terre et me projeta à une distance de 2 mètres ou
même davantage ... »
Au même moment, sur la ligne du Transsibérien, à près de 500
kilomètres du point de chute, un chauffeur de locomotive ressentit soudain une
vibration de l'air si violente et entendit un tel bruit que, terrifié, il
arrêta son convoi, persuadé que celui-ci déraillait.
Des morts, il y en eut, certes ... Combien ont disparu,
d'ailleurs, sans laisser de traces, témoin ce troupeau de 1.500 rennes dont on
ne retrouva que quelques restes calcinés et qui, avec leurs gardiens,
flottaient quelque part dans la poussière de la steppe, poussière l'instant
d'avant vivante, que balayait le souffle du vent !
Qu'un hasard malheureux ait amené ce bloc vagabond dans le
ciel de notre capitale, et rien n'aurait subsisté des millions d'êtres et des
demeures qui s'étendent sous le ciel paisible d'Île-de-France.
Fait unique ? Non pas. Récemment, le 12 février
1947, tombait en Sibérie orientale une autre gigantesque météorite. Trois cents
témoins interrogés lui attribuèrent un éclat supérieur à celui du soleil. Son
freinage par l'atmosphère terrestre la porta à une température de 5.000 degrés.
Sectionnant sa masse en une multitude de petits fragments, elle donna lieu à
une averse unique en son genre dont les gouttes de feu géantes étaient de fer
ardent. Arbres déchiquetés, racines émergées, troncs décapités, cèdres fendus,
épicéas traversés par des éclats de fer cosmique furent, comme il se doit, la
menue monnaie du spectacle dévastateur où 9 tonnes de fer recueilli s'étaient
données libre cours.
Mais que sera-ce alors, pensez-vous, si un astéroïde de plus
grande taille venait percuter la Terre ? La voici bien, la vraie crainte,
la seule, celle qui étreignait nos ancêtres gaulois lorsqu'ils redoutaient que
le ciel ne leur tombât un jour sur la tête ... Crainte vaine ? On le
voudrait ... N'est-ce pas ainsi pourtant que, le 30 octobre 1937,
l'arrivée de la minuscule planète Hermès mettait en émoi les astronomes ?
Du fond des abîmes célestes ce bolide se précipitait vers nous et nous frôlait
étourdiment à 350.000 kilomètres, distance dérisoire astronomiquement parlant,
inférieure à celle qui nous sépare de la Lune. Jamais astre, cependant, ne nous
avait effleurés d'aussi près.
À 72 kilomètres par seconde (telle était sa vitesse), il eût
suffi d'une heure et demie pour que la suprême rencontre eût lieu. Alors c'en
eût été fait de notre turbulente humanité ! Heure critique où celle-ci,
dans un flamboiement colossal, fût retournée au néant ! Un ébranlement
formidable aurait secoué notre globe désemparé, libérant de ses flancs déchirés
l'énergie qui sommeillait encore sous sa croûte minérale. Dans le ciel, un instant
illuminé, un monde nouveau aurait jailli de ce bouillonnement silencieux ...
Et nous irions notre chemin funèbre à travers l'espace obscur et glacé ...
Des millions d'années passeraient et la vie qui ne saurait se résigner
chanterait ses conquêtes naissantes sur un globe où la Terre et l'astre inconnu
mêlant leurs poussières s'offriraient un destin nouveau.
Au rappel de ces éventualités admissibles autant
qu'inquiétantes le lecteur éprouve sans doute quelque émoi secret, mais réel.
J'aurais mauvaise grâce pourtant à ne point le tranquilliser et m'en voudrais
de lui distraire fût-ce une heure de sommeil ! Qu'il sache donc que le
calcul des probabilités permet d'affirmer qu'il n'est guère qu'une fois sur
50.000 millions d'années que le fait ait chance de se produire.
Et cependant elle reviendra quelque jour l'indésirable
visiteuse, la petite planète Hermès, resserrant chaque fois plus sa trajectoire ...
Mais ce temps-là sera déjà celui où l'on s'entretiendra de nous au passé, car
depuis longtemps nous ne serons plus ...
Pierre GAUROY.
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