Dans de précédentes causeries, nous avons fait observer
qu'il était préférable d'assurer aux munitions de chasse une très bonne
pénétration, sans recul ni pression exagérés, plutôt que de s'attacher à
l'obtention de groupements idéalement réguliers. Nous avons déjà commenté à
plusieurs reprises notre manière de voir, mais, aux questions qui nous sont
posées par les chasseurs, nous jugeons qu'il y a encore matière à quelques
explications à ce sujet. On nous a fait particulièrement observer que, depuis
que l'on vend des fusils, on offre de fort belles cibles aux acquéreurs sans,
le plus souvent, leur fournir le moindre renseignement sur la pénétration
correspondante.
Nous ne voudrions pas laisser croire à nos lecteurs que
seule l'étude de la dispersion a accaparé l'attention des arquebusiers, et nous
allons leur exposer comment il convient d'utiliser dans la pratique du tir de
chasse les notions théoriques et les résultats d'expériences que l'on possède
actuellement.
Rappelons que l'effet meurtrier d'une charge de plombs est
proportionnel à la force vive de la fraction de la charge qui atteint le
gibier. Nous savons, en effet, que, dans la capture de ce dernier au moyen des
armes à feu, on recherche au minimum une ou plusieurs fractures immobilisant
l'animal et, mieux, une désorganisation d'organes suffisamment importante pour
amener la mort plus ou moins rapide. L'effet de la pénétration des tissus par
les projectiles est par conséquent une absorption de force vive dont le
rendement est d'autant meilleur que les grains de plomb ne traversent pas le
gibier ; toute l'énergie destructrice se trouve ainsi absorbée utilement.
Nous pouvons faire l'étude de cette question de deux
manières : en cherchant à mesurer pratiquement le choc produit par les
projectiles ou en calculant la force vive disponible par la mesure des vitesses
restantes. La première méthode est plus directe, elle parle mieux à l'esprit
des usagers, et c'est pour cette raison qu'elle a été employée dans les
premières recherches balistiques.
Au XVIIIe siècle, alors qu'il s'agissait
principalement de comparer la qualité des divers lots de poudre noire employée,
on inventa le pendule balistique, instrument fort simple et qui, actuellement,
pourrait être encore utilisé, en cas de besoin, pour de simples vérifications.
Il se compose d'une sorte de mortier de métal, suspendu horizontalement à un
axe placé au-dessus, lequel repose sur des couteaux, absolument comme les
balanciers de pendules. Malgré les dimensions et le poids de l'instrument, il
en résulte une oscillation facile et sans trop de frottements parasites ;
l'intérieur du mortier peut être garni de plomb ou de terre glaise pour
recevoir le ou les projectiles, sans projections d'éclats, de manière à
absorber toute la force vive. Il suffit donc d'effectuer, à distance
convenable, un tir dans l'appareil pour obtenir une oscillation (qu'il est
facile de mesurer en amplitude au moyen d'un curseur), oscillation
proportionnelle à la masse et à la vitesse des projectiles.
Simple comparateur de choc total, à l'origine, on ne tarda
pas à s'apercevoir qu'avec quelques précautions dans la construction on
pouvait, au moyen d'une formule assez simple, mesurer les vitesses des
projectiles si on connaissait la masse de ces derniers. Et le pendule
balistique, dans son ingénieuse simplicité, fut conservé en service au delà de
1860. Il ne fut détrôné que lorsque les chronographes électriques permirent la
mesure directe des vitesses dans de meilleures conditions de commodité et de
précision.
Cette idée de la mesure de l'énergie par le choc est si
intuitive que, dans le concours de fusils de chasse qui eut lieu en Angleterre
en 1879, concours dans lequel la note finale donnée à chaque arme présentée
tenait compte à la fois de sa dispersion et de la pénétration, on employa un instrument
comparateur très ingénieux et qui rendait les mêmes services qu'un pendule
balistique, tout en étant beaucoup plus portatif. Il se composait d'une petite
cible en tôle d'acier de quelques décimètres carrés de surface, reliée, d'une
part, à un ressort compensateur et, de l'autre, à un curseur enregistreur ;
l'ensemble, contenu dans une enveloppe métallique, était mis en place
instantanément à la distance désirée. Les indications du curseur pouvaient être
rapportées soit à l'ensemble des projectiles, soit à leur moyenne individuelle,
le nombre de ceux-ci étant à chaque tir indiqué par la cible. Tel quel,
l'instrument était bien adapté aux expériences à poursuivre et rendit de bons
services.
La deuxième méthode d'appréciation de l'énergie de choc a
été employée depuis l'époque à laquelle les chronographes modernes ont permis
la mesure des vitesses restantes à toutes les distances. Une fois les tables de
tir très bien établies pour une vitesse initiale et une grosseur de plomb, il
est facile d'en déduire immédiatement la valeur de l'énergie destructrice par
grain de plomb, et comme, d'autre part, l'étude de la dispersion permet de
calculer le nombre de grains qui atteignent en moyenne une surface donnée dont
la position est connue dans l'ensemble du coup et cela à toute distance, il en
résulte la connaissance de la valeur totale de l'énergie disponible dans la
silhouette de chaque gibier. Cette deuxième méthode donne, bien entendu, un
résultat fondé sur des moyennes, mais elle a permis de se rendre compte des
lois suivant lesquelles variait exactement l'énergie destructrice.
En outre, l'étude comparative des pénétrations a été menée
en mesurant le nombre de cartons perforés par les grains de la charge. En
raison de l'irrégularité des perforations, il est nécessaire d'introduire
quelques conventions dans la mesure des impacts, mais, telle quelle, la méthode
est simple et donne de bons résultats comparatifs.
On voit donc qu'en résumé l'étude du choc total, de
l'énergie destructrice et de la pénétration a été menée avec autant de soin que
celle de la dispersion. Il reste, bien entendu, à relier les résultats obtenus
avec l'étude de la vulnérabilité des différents gibiers pour en tirer des
indications pratiques concernant le tir de chacun d'eux. Mais la connaissance
des résultats numériques ci-dessus a permis d'élucider certaines questions
intéressantes, en particulier la recherche du maximum d'énergie destructrice
disponible suivant la grosseur des grains de plomb employés et leur vitesse
initiale.
À égalité de recul d'une arme, on peut se demander, en
effet, s'il est plus avantageux d'employer une charge lourde de gros plombs
lancés à une vitesse relativement faible, ou bien une charge légère de plombs
moins gros, animés d'une vitesse aussi élevée que possible sans arriver à la
déformation des grains. Il a suffi de rechercher dans les résultats ci-dessus
les éléments permettant de calculer à différentes distances la valeur de
l'énergie disponible avec l'emploi de vitesses initiales variant entre 300 et
400 mètres pour constater, compte tenu de la dispersion et du nombre des grains
des différentes charges, que la valeur optima de la vitesse initiale était
d'environ 360 mètres et que, d'ailleurs, les résultats étaient peu différents
avec l'emploi des vitesses initiales de 300 mètres et de 400 mètres. C'est là
une des raisons pour lesquelles les cartouches normales sont constituées de
manière à procurer une vitesse initiale de 370 mètres environ, les charges de
calibre ayant de leur côté été légèrement réduites. On peut avoir la certitude
qu'il n'y a pas à chercher de meilleurs résultats au voisinage des charges
adoptées actuellement.
En résumé, dans toute cartouche bien constituée au point de
vue de ses éléments (bourres convenables, charges normales, plomb durci), les
vitesses restantes, qui conditionnent la pénétration, restent toujours en
rapport avec les vitesses initiales, qui, elles, sont soigneusement contrôlées
dans toute fabrication sérieuse. En employant des munitions de cet ordre, le
chasseur n'a aucune inquiétude à avoir concernant la pénétration du coup de
fusil et, lorsqu'il fera, sans autre résultat, sauter la plume ou le poil de
son gibier, il pourra se dire avec certitude qu'il a simplement tiré trop bas.
La connaissance exacte des faits nous place toujours sur le
chemin de la perfection.
M. MARCHAND,
Ingénieur E. C. P.
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